Le Premier ministre Edouard Philippe a dit in extenso qu’« au 1er janvier, les personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évoluer n’auront plus à justifier de leur situation pour renouveler leurs droits, ceux-ci seront accordés à vie ». En réalité, les personnes handicapées devront toujours justifier de leur situation pour faire valoir leurs droits, et ce dans les mêmes conditions qu’auparavant à quelques détails près. C’est d’autant plus gênant lorsque cette communication que je qualifierais de « cynique » est relayée et amplifiée, pour des raisons qui leur appartiennent, par des associations dites « représentatives ». C’est le cas de l’APF Handicap qui parle par voie de presse d’une « avancée réelle, effective et forte pour les personnes ».
Il aurait été bien plus heureux et juste de prévoir un principe et une exception. Le principe serait qu’une personne en situation de handicap ne pourrait se voir diminuer ses droits préalablement attribués. Seule exception pour pouvoir modifier ces droits : une décision motivée de la MDPH [maison départementale des personnes handicapées] dans laquelle elle justifie que la situation de la personne handicapée s’est significativement améliorée.
Au fond, ce qui est insupportable pour les personnes handicapées, ce n’est pas tant de devoir faire renouveler leurs droits que le risque, à chaque renouvellement, de les voir évaluer à la baisse, notamment pour des raisons de politique budgétaire. Cette même crainte est d’ailleurs présente à chaque changement de département de la personne qui prend alors le risque, en déménageant, de voir sa situation jugée moins favorablement par une nouvelle MDPH.
La carte mobilité inclusion est une fusion de deux cartes existantes : la carte invalidité et la carte stationnement. En réalité, la carte invalidité peut être attribuée à titre définitif pour les personnes les plus handicapées depuis 1953 et la carte de stationnement depuis 2007 !
L’automaticité de la délivrance à titre définitif de la carte mobilité inclusion est prévue depuis 2016(2) pour les bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés [AAH] présentant un taux d’incapacité de 80 % ou pour les personnes âgées les plus dépendantes parmi les bénéficiaires de l’allocation aux personnes âgées [APA]. Concernant ces droits, rien ne change ou presque, puisque, désormais, ils seront attribués de manière définitive et automatique aux personnes présentant « un taux d’incapacité permanente d’au moins 80 % et dont les limitations d’activité ne sont pas susceptibles d’évolution favorable, compte tenu des données de la science ».
L’article 2 du décret prévoit son octroi à durée indéterminée uniquement pour les personnes qui présentent « un taux d’incapacité permanente d’au moins 80 % et dont les limitations d’activité ne sont pas susceptibles d’évolution favorable, compte tenu des données de la science ». Un arrêté devra fixer les modalités d’appréciation de ces situations, et naturellement il n’est pas encore publié, ce qui pose déjà la question de l’effectivité de l’annonce.
Surtout, ces personnes qui sont les plus handicapées auront toujours besoin de faire renouveler la prestation de compensation du handicap [PCH] qui finance les aides techniques et les aides humaines permettant leur maintien à domicile. Et cette demande de renouvellement indispensable se fait en pratique sur le même dossier MDPH avec le même certificat médical à remplir que lorsqu’il était procédé à la demande de renouvellement du droit à l’AAH. En clair, ces personnes auront toujours le même dossier à remplir et seront seulement soulagées d’avoir deux cases en moins à cocher. On ne peut pas vraiment parler d’avancée forte, comme le prétend le gouvernement.
C’est l’ancêtre de la PCH et elle ne concerne aujourd’hui que certaines personnes qui en étaient déjà bénéficiaires et qui ont fait le choix de ne pas passer à la PCH. Autrement dit, c’est une allocation qui a vocation à disparaître. Très souvent, le choix de ne pas passer à la PCH « aide humaine » est motivé par la crainte de voir les maisons départementales des personnes handicapées évaluer leurs besoins en aide humaine à la baisse. Ce choix est également guidé par le fait que le contrôle d’effectivité des dépenses liées à l’utilisation de la PCH est perçu comme plus contraignant.
Donc, désormais, l’ACTP sera renouvelée sans limitation de durée, mais uniquement pour certains bénéficiaires. En clair, il s’agit d’un droit à vie à l’ACTP pour des personnes qui en bénéficiaient déjà avant le 1er janvier 2006 et qui, du fait de leur situation, auraient plutôt tout intérêt à opter pour la PCH dont les montants sont plus importants.
Cela peut apparaître comme un progrès. Mais en réalité, c’est sans aucune conséquence pour les personnes concernées. En effet, les parents d’un enfant présentant un taux d’incapacité de 80 % ont toujours opté soit pour la PCH, soit pour ce que l’on appelle le complément d’AEEH. Il en existe six catégories, qui correspondent à un complément d’allocation dont le montant varie selon les besoins de l’enfant et la situation des parents. Or, la durée d’attribution de ce complément, comme celle de la PCH, n’a pas été modifiée par les récents décrets. Les parents devront donc toujours justifier de leur situation et de celle de leur enfant handicapé, sur le même dossier qu’auparavant et aussi souvent qu’auparavant.
(1) Décret n° 2018-1222, J.O. du 26-12-18 – Voir ASH n° 3090 du 28-12-18, p. 21.
(2) Décret n° 2016-1849 du 23 décembre 2016.
(3) Décret n° 2018-1294, J.O. du 29-12-18 – Voir ASH n° 3092 du 11-01-19, p. 17.