EN TROIS JOURS, LA PROTECTION DE L’ENFANCE A ACQUIS UN SECRÉTAIRE D’ÉTAT, en la personne d’Adrien Taquet, nommé le vendredi 25 janvier, et une feuille de route, qui a été annoncée le lundi 28 janvier. Le gouvernement a ainsi donné un coup d’accélérateur sur le sujet, de là à y voir un lien avec un documentaire de France 3, qui dénonçait de graves dysfonctionnements au sein de certains établissements de l’aide sociale à l’enfance (ASE), il n’y a qu’un pas que la ministre des Solidarités et de la Santé s’est refusée à franchir, alors que la stratégie nationale ne cesse d’être reportée depuis des mois. Agnès Buzyn espère pouvoir annoncer cette stratégie, tant attendue, en juillet prochain afin que les mesures puissent intégrer le projet de loi de finances (PLF) ou le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Mais pour se faire, Adrien Taquet va devoir mener un travail très volontariste avec l’ensemble des parties prenantes du secteur dans les mois à venir, en suivant cette feuille de route qui définit les orientations de la future stratégie nationale sur la protection de l’enfance, avec un mot d’ordre : la concertation.
« Lutter contre les inégalités de destins et rétablir l’égalité des chances en offrant un accès aux droits fondamentaux », telle est l’ambition d’Adrien Taquet, secrétaire d’Etat fraîchement nommé à la protection de l’enfance lors de la présentation de sa feuille de route. Inconnu des acteurs du secteur, la majorité d’entre eux ne lui en tiennent pas rigueur : « Un regard neuf et sans a priori sur le sujet peut être une bonne chose », commente Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l’enfance (Cnape).
Adrien Taquet a ainsi présenté, lundi 28 janvier, ses axes de travail, développant largement notamment l’effectivité des droits de ces enfants. Il souhaite ainsi défendre le droit à une protection réelle : « Nous devons assurer une meilleure exécution des décisions de justice. » Un engagement qui fait écho aux multiples alertes des professionnels – juges des enfants et travailleurs sociaux de l’ASE – qui ont dénoncé ces derniers mois des délais de prise en charge trop longs entre le signalement, la décision de la mesure de protection par le juge et la réelle prise en charge de l’enfant en danger(1). « Un constat alarmant », selon Agnès Buzyn et Adrien Taquet, qui ont ainsi diligenté une évaluation qui va être menée par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’inspection générale de la justice, qui sont d’ores et déjà missionnées pour faire cet état des lieux national des difficultés rencontrées et des retards de prise en charge.
Parallèlement à cela, Adrien Taquet souhaite promouvoir un « droit à une stabilité et à une sécurité affective qui ne sont pas toujours assurées », un élément essentiel pour le développement de l’enfant. A cet égard, une démarche de consensus va être mise en place pour permettre de définir au niveau national les différents modes de prise en charge à privilégier. Un sujet qui pose implicitement la question du recrutement des familles d’accueil car celles-ci sont de moins en moins nombreuses. Au sujet de la stabilité affective, les ministres ont également évoqué une réflexion sur l’adoption simple qui pourrait être une solution pour stabiliser le parcours de vie de ces enfants. Agnès Buzyn a ainsi précisé : « Nous devons travailler sur les limites que nous impose le droit pour favoriser l’adoption d’enfants. Aujourd’hui, certains enfants pourraient avoir des parents accompagnants mais le droit ne le permet pas. »
Le droit à la santé est également sur cette feuille de route, qui reprend des mesures qui ont déjà été évoquées par Agnès Buzyn en novembre dernier. Une préoccupation prépondérante dans la protection de l’enfance alors qu’un enfant sur trois souffre de troubles du développement moteur et que 40 % de ces enfants n’ont pas de carnet de santé à jour. Un parcours de santé coordonné pour ces enfants qui donnerait accès à un panier de soins, notamment en termes de suivi psychologique pris en charge à 100 % par la sécurité sociale, est ainsi en cours d’élaboration. Un suivi médical qui ne doit pas s’interrompre au moment de la sortie de l’ASE. Pour ces jeunes, l’accès à la CMU-C pourrait devenir automatique, cette piste faisant l’objet d’une réflexion. Concernant le droit à l’éducation et aux études supérieures, alors que 70 % des jeunes sortent sans diplôme de l’aide sociale à l’enfance, Adrian Toquet évoque l’idée de nommer des référents « protection de l’enfance » dans les rectorats afin de prévenir la déscolarisation et le décrochage, la mobilisation de places d’internat pour les enfants placés ou encore des bourses spécifiques pour les études supérieures.
Si l’effectivité des droits des enfants de l’aide sociale à l’enfance est un des objectifs, la prévention en est un autre. Et pas des moindres selon Adrien Taquet : « Avant de placer les enfants, essayons de mieux accompagner les parents. Notre responsabilité est d’agir en amont pour éviter les placements. » Il évoque ainsi les pistes d’un parcours de périnatalité pour les parents dès quatre mois de grossesse et d’un dispositif de suivi après la grossesse avec la protection maternelle et infantile (PMI). Le rapport de la députée Michèle Peyron (LREM), consacré à la PMI, attendu pour la mi-février, devant aider à préciser cet accompagnement. Parallèlement à cela, le repérage est au cœur des préoccupations. Adrien Taquet souhaite ainsi responsabiliser la population alors qu’actuellement seulement un quart des personnes suspectant un acte de violence contre un enfant donne l’alerte. Mais au-delà de cela, il s’agit de mettre en place un référentiel national de repérage et d’évaluation des risques de danger des enfants afin de mieux les repérer en uniformisant les pratiques sur l’ensemble du territoire. La Haute Autorité de santé étant mandatée sur ce sujet.
Cette feuille de route donne des ambitions, mais elle ne précise pas les moyens qui vont y être alloués. Un oubli qui inquiète beaucoup les acteurs du secteur. C’est le cas notamment de la directrice générale de la Cnape qui s’interroge : « Comment va-t-on faire pour atteindre ces objectifs alors qu’il y a un manque de moyen. Le financement n’est pas une question accessoire, c’est crucial, car cela peut escamoter les réponses et amener à des drames. » A cette question, Agnès Buzyn répond : « C’est une politique globale donc les moyens vont être apportés par tous les ministères concernés. Sur l’accès à la santé, ce sera les budgets de la sécurité sociale ; pour les référents dans les rectorats[2], ce sera pris en charge par l’Education nationale. » Et de conclure : « Chacun va apporter sa pierre à une politique de protection de l’enfance digne de ce nom. »
Une réponse qui ne satisfait pas pour autant l’Assemblée des départements de France (ADF) qui rappelle que ce sont « les départements qui ont consacré 7,37 milliards d’euros en 2017 » et non l’Etat. Une responsabilité et un financement qui ne devraient pas changer de main alors que la question de la gouvernance de la protection de l’enfance va être posée durant ce travail de concertation. Sur une possible recentralisation, aucune zone d’ombre, Adrien Taquet est catégorique « il n’en est pas question ».
Dans tous les cas, l’ADF dit attendre après ces annonces des actes alors qu’elle dénonce depuis des mois des structures qui sont saturées « du fait de l’arrivée massive de jeunes migrants qui se présentent comme des mineurs non accompagnés ». Un sujet important pour les départements qui regrettent cet oubli dans la feuille de route alors que la prise en charge de ces enfants représente 2 milliards d’euros en 2018 selon les estimations de l’ADF.
Un sujet que va certainement pouvoir faire l’objet d’échanges directs entre le secrétaire d’Etat et l’ADF car le mot d’ordre d’Adrien Taquet, pour élaborer cette stratégie, est la concertation. Les travailleurs sociaux, les magistrats, les enseignants, les professionnels de santé, les parlementaires ou encore le défenseur des droits et les enfants placés vont ainsi être sollicités pour y participer alors que la stratégie définitive doit permettre que « la protection de l’enfance ne laisse plus aucun enfant sur le bord du chemin ». Une ambition louable et partagée par tous mais qui nécessite des moyens…
(2) Sur les référents dans les rectorats, voir notre interview sur ash.tm.fr : bit.ly/2MFE3nY.