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« Gilets jaunes » : les enseignements d’une crise de confiance

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L’individualisme poussé à son paroxysme et l’abandon de la notion de projet collectif sont à l’origine de la situation sociale actuelle, qui révèle une société en quête de sens.

« L’ÉVOLUTION DES “GILETS JAUNES” EST PRÉOCCUPANTE. Une colère justifiée peut se transformer en un réservoir de plaintes et d’ambitions. Pour autant, ce constat ne doit pas décrédibiliser les fondements d’un mouvement qui, soutenu par une majorité de nos concitoyens, ne porte pas seulement sur le pouvoir d’achat. Cette révolte reflète aussi une quête de sens. Il va donc falloir agir non seulement sur les conditions matérielles de vie, mais aussi sur les éléments constitutifs du “vivre ensemble”.

Ce serait une grossière erreur que le président de la République se contente de voir dans ce mouvement une révolte contre l’excès de fiscalité et la régression du niveau de vie. Car, tout d’abord, les revendications visent bien autre chose que le simple pouvoir d’achat, pour s’attaquer aussi au fonctionnement de notre démocratie. C’est le cas de la demande concernant le référendum d’initiative citoyenne, qui trouve fort légitimement son fondement dans la multiplication des normes et des mesures autoritaires prises sans concertation préalable. C’est aussi le cas de la revendication sur le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui s’explique essentiellement par un souci d’équité à un moment où se vérifie partout l’extension des inégalités.

La nécessité d’un projet de société

Mais au-delà des revendications, ce mouvement reflète quelque chose de bien plus profond : une véritable quête de liens sociaux et de repères collectifs, dont l’Odas a depuis de nombreuses années dénoncé la déliquescence, entretenue par les errements de la puissance publique ces trente dernières années.

A l’origine de cette situation, l’impact d’une pensée dominante qui, en glorifiant sans réserve depuis les années 1970 l’autonomie des personnes, en a fait une fin en soi. Alors qu’elle devrait être avant tout une passerelle vers les autres, elle enracine l’individu dans son isolement et dans la peur de l’autre. Et comme depuis lors aucun contrefeu n’a été dressé face à l’hypertrophie de l’individualisme, l’ancrage culturel de la défiance se renforce. Il devient désormais aussi nocif pour la préservation du “vivre ensemble” que la progression du chômage et des inégalités.

C’est pourquoi il nous faut espérer que les gouvernants ne se contenteront pas de réponses matérielles, mais engageront aussi un véritable chantier sur la définition d’un projet de société. C’est d’autant plus souhaitable qu’une voie nouvelle mériterait d’être explorée : celle de redonner toute sa portée à notre devise républicaine, en projetant la liberté et l’égalité, non pas vers un éparpillement des volontés, mais vers leur salutaire regroupement pour mieux surmonter la vulnérabilité croissante du monde moderne. Cette aspiration à une société plus fraternelle est d’ailleurs désormais partagée par tous ceux qui voient dans la progression de l’indifférence, de l’intolérance et de la haine le terreau de toutes les difficultés. La réapparition du mot “fraternité” dans le débat public et dans les médias montre bien que le concept entre dans l’actualité. C’est un signe positif, à condition que la fraternité ne devienne pas un nouveau terrain de jeu pour communicants, mais qu’elle se concrétise dans une démarche d’envergure apte à induire de vrais changements. Comme j’essaie de le montrer dans mon dernier livre (La fraternité n’est pas une chimère. 35 réformes indispensables pour rétablir le vivre-ensemble), tous les grands chapitres de la vie en commun doivent être repensés, qu’il s’agisse de la citoyenneté, de la solidarité, de l’éducation, de l’emploi… Avec la volonté de s’appuyer partout sur les dynamiques qui relient et les valeurs qui rassemblent.

La valorisation de la diversité des âges et des cultures

Cette évolution pourrait notamment se concrétiser dans notre modèle d’inclusion, qui s’avère très perfectible, particulièrement en ce qui concerne les personnes vieillissantes. Celles-ci étaient d’ailleurs nombreuses à manifester, avec comme préoccupation majeure de montrer leur capacité d’agir. Dans une société dont un tiers de la population aura demain plus de 60 ans, il serait temps d’admettre que la France, en vieillissant, s’ouvre de nouvelles opportunités. En effet, rien n’est plus paradoxal que de parler de “soutien aux” personnes âgées à propos de personnes qui, très majoritairement, n’ont aucun besoin d’aide. On devrait, au contraire, parler de “soutien par” les personnes âgées, sachant que leur vécu et leurs connaissances pourraient être bien mieux exploités dans une multitude d’activités (éducation, protection de l’enfance, insertion, humanisation des services publics…). Certes, de nombreux retraités ont déjà une activité bénévole, mais il faudrait dorénavant en faire une priorité politique, dans une société en quête d’efficacité et de repères. Et cette restructuration du rôle des personnes âgées dans la société pourrait s’accompagner d’un nouveau regard sur les personnes issues de l’immigration. En effet, si nous parvenons à changer notre regard sur l’âge, nous parviendrons à le changer sur les origines. Dans les deux cas, il s’agit de positiver l’hétérogénéité croissante de notre société. Dans un monde de plus en plus complexe et métissé, qui peut douter de l’utilité de pouvoir bénéficier de la contribution utile de toutes les expériences et de toutes les cultures ?

La mobilisation de la citoyenneté

Un nouveau modèle d’intégration ainsi amorcé, il faudra alors veiller à ce que chaque habitant, quel que soit son âge, retrouve le bien-fondé de l’interdépendance et adapte en conséquence ses postures de consommateur et d’acteur. Or aucune expérience ne sera réellement déterminante à l’échelle d’une communauté humaine sans une forte implication du mouvement associatif et des élus locaux. C’est ce qui donne une résonance particulière à la dynamique collective engendrée depuis quelques années par la Journée citoyenne, qui permet de mobiliser une fois par an la population d’une commune ou d’un quartier autour de chantiers collectifs d’amélioration du cadre de vie. Cette initiative concerne dorénavant plus de 2 000 communes, et la participation volontaire des habitants ne cesse de s’accroître. C’est une illustration importante d’un besoin qui s’exprime de plus en plus : contribuer à la réalisation d’un projet collectif.

C’est pourquoi il faut agir pour que cette initiative puisse se généraliser, en montrant qu’elle suscite une amélioration considérable des relations sociales, avec le développement de réseaux pérennes de parentalité, d’échange de savoirs, de covoiturage… Mais pour que ces actions de promotion de la citoyenneté soient facilitées, il est urgent de mettre fin à la dictature des normes, qui freine considérablement les initiatives locales. Au moment où la crise nous force à rechercher d’autres réponses que celles fondées sur les seuls moyens financiers, nous devons faire du droit à l’expérimentation, prévu juridiquement mais totalement délaissé, un droit réel. Et pour favoriser ce mouvement, rien ne serait plus utile que de créer une institution comparable à celle du défenseur des droits chargée de recenser les obstacles bureaucratiques pour mieux les neutraliser. C’est à cette condition que les collectivités locales feront de l’enjeu de la citoyenneté une priorité, en mobilisant l’ensemble de leurs équipements et services, tant pour recenser les besoins que pour promouvoir le bénévolat et repérer les bénévoles potentiels. Avec comme perspective d’aboutir à la création, dans chaque ville, d’une véritable “maison de la fraternité”, animée par les associations et les habitants pour orienter et accompagner les personnes dans la construction d’un parcours bénévole en adéquation avec leurs envies et les besoins du territoire.

Le rétablissement du rôle des maires

C’est là que réapparaît le rôle incontournable des maires. En effet, l’observation des réalités de terrain montre que si la liberté et l’égalité sont principalement du ressort de l’Etat, la fraternité est l’affaire des maires. Car si la définition des droits et des dispositifs sociaux doit être identique sur l’ensemble du territoire, la construction de liens d’écoute, d’entraide et de respect ne peut être décrétée, elle ne peut qu’être encouragée dans chaque espace public. Or, ces dernières années, plusieurs réformes ont progressivement privé les maires de leurs responsabilités sur les ressources et les dépenses de leur collectivité, mais aussi sur la définition de leur territoire d’intervention. Avec la loi “NOTRe”, la création dans de nombreux territoires de conseils d’agglomération composés parfois de plusieurs centaines de représentants, n’ayant que quelques heures pour délibérer sur des dizaines de textes, n’offre plus qu’une image caricaturale de la démocratie locale. Cette réalité a souvent été évoquée par les “gilets jaunes”, fortement attachés à leurs édiles locaux.

Il convient donc de rétablir les maires dans la plénitude de leurs responsabilités et de remettre en cause toutes les dispositions prises au titre de la loi “NOTRe” chaque fois qu’elles s’avèrent incompatibles avec le rôle sociétal des élus locaux. Et c’est une exigence décisive pour l’avenir de la démocratie, dans un monde de plus en plus enclin à défigurer l’homme en le privant de reconnaissance et en asséchant sa responsabilité. »

Tribune

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