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Performance, vous avez dit performance ?

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Tableau de bord, indicateurs de performance, objectifs, obligation de résultats… Le secteur social et médico-social est désormais jugé, jaugé et évalué à l’aune de la performance en s’appuyant sur des outils de gestion digne de toute entreprise privée. Mais que signifie la performance dans et pour un établissement social ? Une approche purement comptable ou une logique globale intégrant des paramètres sociaux, environnementaux, médico-économiques ? C’est tout le débat autour de cette révolution de la performance.

LA DÉMARCHE DE PERFORMANCE A ÉTÉ INTRODUITE PAR LA LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES (LOLF) – promulguée le 1er août 2001 et mise en complète application à partir de 2006 – qui a modifié en profondeur les modes de gestion de l’Etat en passant d’une logique de moyens à une logique de résultats et qui a généralisé le raisonnement en termes d’indicateurs de la performance. Pour le secteur social et médico-social s’ouvre alors un conflit de valeurs entre deux mondes avec, d’un côté, celui de la performance et du résultat et, de l’autre, celui de l’assistance, de l’aide ou de l’accompagnement de publics fragilisés. Mais le couperet est tombé, et il va falloir faire avec… « Les établissements et services doivent rendre compte de ce qu’ils font et pour cela ils doivent pouvoir caractériser l’activité avec différentes mesures qui se déclinent, dans la logique du tableau de bord partagé, dans des indicateurs de différents niveaux de pilotage. Rejeter ces éléments de caractérisation d’une activité s’apparente aujourd’hui à une posture de “déni” des réalités économiques, d’une saine gestion des deniers publics qui s’imposent maintenant à tous. Résister serait sans doute rester “en dehors du monde réel” dans une vision ou une relation enchantée du/au travail social », soulignait, en 2013, l’ancien Conseil supérieur du travail social (CSTS), dans une note de synthèse problématique intitulée « La performance en travail social ».

De la théorie à la pratique, le secteur médico-social s’est vu progressivement doté par les pouvoirs publics des instruments de pilotage et d’évaluation de la performance. Construit, à partir de 2009, avec l’ensemble des partenaires du champ social et médico-social dont les fédérations, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et l’Agence nationale d’appui à la performance (ANAP), le tableau de bord de la performance regroupe un ensemble d’indicateurs de moyens, de ressources et d’activités des établissements et services médico-sociaux (ESMS). Après des phases d’expérimentation, les indicateurs de l’ANAP ont été généralisés, entre 2015 et 2017, à l’ensemble du territoire. Présenté comme un « outil commun aux gestionnaires de structures dans les champs personnes âgées et personnes handicapées (enfants/adultes), et aux autorités de tarification et de contrôle », ce tableau de bord a pour objectifs de « mesurer la performance, l’efficacité (degré de réalisation des objectifs) et l’efficience (rapport entre les ressources et les résultats) », de faciliter le dialogue et les échanges des structures avec les agences régionales de santé et les conseils départementaux, de permettre le pilotage interne des structures et de « favoriser la diffusion d’une culture du pilotage, de la mesure et de l’évaluation dans les structures médico-sociales », précise l’ANAP. Le secteur est également passé dans une logique de benchmarking, du parangonnage. En clair, les ESMS peuvent comparer les résultats de leurs indicateurs et se situer par rapport aux structures de même catégorie.

Un outil controversé

« On note l’absence d’une vision tournée vers l’utilité sociale, vers le développement du travail en réseau et des relations communautaires, mais aussi vers la satisfaction des salariés ou encore d’une partie de l’efficacité organisationnelle questionnant la qualité des services fournis et la satisfaction des usagers. L’ANAP propose une définition multidimensionnelle restrictive de la performance ayant une forte orientation économique et financière », analyse Gulliver Lux, maître de conférences en sciences de gestion à l’université de Rennes 1, dans ses travaux de recherche (1). Et de poursuivre : « Cette représentation de la performance proposée par l’ANAP renvoie aux représentations historiques issues du “new public management”, qui préconisait une gestion plus efficiente des ressources et une meilleure efficacité organisationnelle. L’aspect gestion des ressources financières est aussi dominant. »

Lors de la campagne 2018, le taux de remplissage du tableau de bord par les ESMS concernés, a atteint 83 %. « Le champ des établissements et services médico-sociaux, bien qu’il continue de connaître une évolution dynamique de ses dépenses, subit lui aussi une contrainte croissante sur ses marges de manœuvre du fait des objectifs de réduction de la dette publique et de maîtrise des déficits budgétaires. Depuis une dizaine d’années, les acteurs du champ médico-social se sont progressivement appropriés les raisonnements et outils visant à piloter et renforcer l’efficience de leur gestion. Le déploiement du tableau de bord de la performance, désormais généralisé, contribue à l’outillage de chaque acteur et du dialogue de gestion entre gestionnaires et autorités de tarification », note la CNSA, dans son projet de guide sur la mesure de l’activité des ESMS.

S’inscrivant jusque-là dans une démarche volontaire et non réglementaire, les indicateurs du tableau de bord de la performance du médico-social devraient devenir opposables en 2019 sur les données 2018. Et se substituer aux actuels indicateurs médico-sociaux économiques (IMSE) demandés lors du dépôt des budgets et prévus par le code de l’action sociale et des familles. Ainsi, un projet d’arrêté visant à rendre obligatoire cet outil a été soumis au Comité national de l’organisation sanitaire et sociale le 9 octobre 2018. Plusieurs fédérations se sont opposées à ce texte. Les raisons de ce rejet en bloc ? « D’abord, parce que durant toutes les concertations sur la construction de ce tableau de bord avec l’ANAP, il n’avait jamais été question (bien au contraire) que cet outil devienne réglementaire, toutes les concertations, à l’époque, ayant été conduites autour d’un outil de dialogue de gestion souple et non opposable », commentait le Synerpa, sur son site Internet, le 30 novembre dernier. « Ensuite, car le taux de remplissage minimal à hauteur de 90 % exigé [contre 70 % actuellement] dans ce projet d’arrêté semble tout à fait irréaliste à l’ensemble des fédérations publiques comme privées, le tableau de bord comportant pas moins de 162 items », ajoute-t-il. Le Synerpa et sept autres fédérations du secteur (AD-PA, Croix-Rouge française, Fehap, Générations mutualistes, Nexem, Uniopss, UNA) ont adressé un courrier commun au directeur général de la cohésion sociale « pour demander une révision totale de ce projet d’arrêté ».

Parties prenantes

Dans la boîte à outils de la performance du secteur, il faut désormais ajouter le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM). Qualifié de « levier de performance » pour les ESMS par la DGCS, dans une instruction du 21 mars 2017, le CPOM – et le passage à l’état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) qui en écoule – devraient être, aux yeux de la puissance publique, vecteurs de performance.

Depuis quelques années, portée par plusieurs fédérations (FHF, Fehap, Fnaqpa, Uniopss…), émerge l’idée d’inscrire le secteur dans une logique de « performance globale », c’est-à-dire une logique qui intègre la performance financière mais aussi la performance dans les domaines comme l’environnement, l’impact social, la réputation, la gestion des risques… « Inspirée du concept de la “responsabilité sociétale de l’entreprise” [RSE], la performance globale vise une harmonie entre les performances économique, sociale, sociétale et environnementale, et place au centre de ses préoccupations la prise en compte des parties prenantes [institutions, familles, salariés, partenaires, fournisseurs, opinion publique…]. » « C’est aujourd’hui une véritable opportunité pour les ESMS », considèrent Florence Clarge et Peggy Gless, auteurs de La performance globale dans les établissements sanitaires et médico-sociaux(2). « Cette approche est censée répondre aux attentes de différentes parties prenantes qui ont, elles-mêmes, leur propre conception de la performance. Par exemple, un dirigeant peut concevoir la performance comme l’atteinte d’un équilibre budgétaire ou la rentabilité financière ; pour un aide médico-psychologique, elle peut se caractériser par le degré de qualité des conditions de travail au domicile d’une personne âgée ; pour la personne âgée, la performance peut se mesurer dans le degré de qualité perçue des services offerts et des soins effectués… », illustrent Sandra Bertezene et David Vallat(3). « La performance globale est un mode de management qui implique un changement de perspectives : tout l’enjeu est de convaincre qu’il ne s’agit en aucun cas d’une nouvelle contrainte qui s’ajoute ou d’un phénomène “politiquement correct”, mais bien d’une nouvelle manière de manager, combinant des politiques et des orientations isolées, pour faire émerger une gouvernance opportunément collective et responsable« , ajoutent Florence Clarge et Peggy Gless. Une opportunité qui pourrait s’avérer gagnante pour le secteur. En 2016, une étude de France Stratégie portant sur 8 500 entreprises a évalué les effets, directs ou indirects, des politiques RSE sur la performance financière. « La RSE procure un gain de performance en moyenne de l’ordre de 13 % par rapport aux entreprises qui ne l’introduisent pas, en particulier quand elle relève de l’initiative volontaire et non de mesures contraignantes », conclut le rapport.

« Au-delà de la performance financière, les performances sociale, sociétale, organisationnelle s’avèrent essentielles pour toutes les organisations. Dans le médico-social, ce mot revêt un caractère particulier. Il convient d’éviter d’opposer le financier à la qualité, pour envisager un apport mutuel de ces deux visions de la performance. Si le médico-social bénéficie des avancées du sanitaire dans le domaine de la performance financière, des potentiels d’optimisation, et des recherches de gaspillage ; la performance économique ne saurait être un objectif en soi. C’est plutôt un moyen au service d’une performance globale de l’accompagnement des personnes. Cette vision holistique de l’autre est moins fréquemment mise en avant ; c’est pourtant ce que le secteur peut apporter aux autres domaines d’activité. Au centre des préoccupations des professionnels du secteur médico-social, se situe le lien avec l’autre. C’est dans cette vision de l’autre tel qu’il est, dans ce travail de recherche de lien que se situe la véritable performance du secteur. Parce qu’accompagner une personne dans sa propre réalisation, c’est une véritable performance, que les acteurs du secteur renouvellent quotidiennement », analyse Célia Lemaire, maître de conférences en sciences de gestion à l’EM Strasbourg business school.

Le pilotage des structures

Une convention développement durable a été établie entre l’Etat, l’ANAP et les principales fédérations du secteur sanitaire et médico-social. L’ANAP, au travers de « Mon observatoire du développement durable » (MODD), a coordonné la première campagne de collecte de données. Le rapport, publié en décembre 2017, a permis d’établir un état des lieux de la maturité des démarches de responsabilité sociale des entreprises/organisations et d’identifier des pistes d’actions. « Un tiers des structures pilotent leur activité avec un tableau de bord composé uniquement d’indicateurs financiers ou obligatoires, sans indicateurs extrafinanciers. A contrario, un quart des structures adoptent une démarche globale de pilotage de la structure, incluant des indicateurs extrafinanciers », notait alors le rapport.

Notes

(1) « Les représentations de la performance des directeurs d’établissements et services médico-sociaux ».

(2) Publié aux éditions Les Etudes hospitalières.

(3) Auteurs de « Manager la RSE dans un environnement complexe, le cas du secteur social et médico-social français » – Editions EMS, 2015.

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