Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette crise. Il y a bien évidemment un problème de moyens directement lié à la crise financière que traversent les départements, comme toutes les collectivités territoriales, avec les contraintes budgétaires imposées par l’Etat. Chaque département se débrouille comme il peut ou comme il veut à partir de ses priorités, vu qu’il n’y a aucun pilotage national sur le sujet. Dans tous les cas, on est véritablement dans une crise du financement des politiques sociales et la protection de l’enfance ne fait pas exception. Cette situation s’explique également par l’augmentation des publics accueillis, avec notamment, depuis quatre ans, l’arrivée continue de mineurs non accompagnés. Un phénomène qui n’est régulé par personne, géré à la petite semaine et cela vient impacter un dispositif qui est déjà affaibli par des difficultés de financement. Le troisième facteur est le changement de public. Le dispositif de protection de l’enfance a ainsi été monté dans les années 1970-1980 pour accueillir des jeunes enfants. A cette époque, l’évaluation des situations donnait souvent lieu à des orientations pour des placements à moyen ou long terme dans des familles d’accueil et dans des structures collectives.
Mais depuis, la loi du 7 mars 2007 a imposé la déjudiciarisation. Ainsi, toutes les mesures de protection se déterminent seulement après des négociations avec les parents et après un certain nombre de dispositifs administratifs avant le dispositif judiciaire. Un fonctionnement qui retarde l’âge d’arrivée des enfants dans le dispositif judiciaire. Et même si nous n’avons aucune évaluation de cette loi, nous constatons que les enfants arrivent de plus en plus tard à partir de 12, 13 ans avec des troubles installés. C’est d’ailleurs souvent le résultat de l’échec de la prévention et des mesures à domicile. On tente ainsi de les faire rentrer au chausse-pied dans des dispositifs qui ne leur sont pas du tout adaptés. Dans les faits, les travailleurs sociaux n’ont plus que trois ou quatre ans pour essayer d’apaiser, soigner des adolescents qui vont très mal avant que le couperet des 18 ans ne tombe.
Nous sommes arrivés à un paroxysme de l’organisation de la protection de l’enfance. On peut dire que notre système est à bout de souffle et qu’il est urgent de faire enfin appliquer les textes, notamment la loi de mars 2016, afin de transformer profondément les dispositifs de suivi à domicile et d’accueil. Mettre en place cette loi, c’est partir des besoins fondamentaux de l’enfant. A ce sujet, pour la première fois dans l’histoire de la protection de l’enfance, il y a eu une conférence de consensus où on s’est tous mis d’accord sur comment définir les besoins fondamentaux de l’enfant. On est donc sur quelque chose d’objectivé et qui fait sens pour tout le monde. Après, il faut accepter cette nouvelle donne, c’est sur ces critères-là que l’on doit organiser la protection de l’enfance, caractériser les dangers et les parcours. Aujourd’hui, on sait ce qu’il faut faire pour garantir ces besoins fondamentaux mais on est encore très loin d’avoir pu tirer tous les fils de cette prescription et d’avoir véritablement construit des projets pour l’enfant qui soient compatibles avec ses besoins fondamentaux.
C’est effectivement le paradoxe de la décentralisation de la protection de l’enfance. Alors qu’il s’agit principalement d’organiser l’exécution de décisions judiciaires, le pilotage est néanmoins confié au département. Concrètement, le décideur est le judiciaire, on a donc un pilote qui ne décide pas beaucoup et un décideur qui n’organise rien et ne finance rien. Une organisation qui a engendré la situation dans laquelle nous nous trouvons, c’est-à-dire que les mesures judiciaires de placement ne sont même plus automatiquement exercées par les départements, nous sommes ainsi dans un déni complet du dispositif de la protection de l’enfance.
Il est très urgent aujourd’hui d’être dans une dynamique de mise en œuvre de la réforme avec les financements qui s’imposent. Il faut lever les injonctions paradoxales pour permettre aux acteurs de terrain de s’y retrouver et de transformer leurs pratiques mais cela nécessite des moyens suffisants. Penser transformer à moyens descendants est une hérésie, il faut des choix politiques courageux.