LA MALADIE D’ALZHEIMER SE CARACTERISE PAR UN DECLIN DE LA MEMOIRE, de la capacité d’apprentissage et d’autres domaines cognitifs, avec une progression graduelle des symptômes cognitifs et comportementaux. Aujourd’hui, la France compte près de 900 000 personnes atteintes de cette maladie et, en 2020, si rien ne change, elles seront environ 1,25 million (un Français sur quatre de plus de 65 ans devrait être touché). En raison des contraintes que cette pathologie cause dans la réalisation des activités de la vie quotidienne, elle a un impact très important sur l’autonomie des patients qui en sont atteints. Pour prendre en charge cette problématique, il existe à ce jour diverses thérapies non médicamenteuses, dont l’utilisation des nouvelles technologies. Et, en particulier, des jeux vidéo : ce qu’on appelle les serious games, à savoir le développement de jeux dits « sérieux », avec un but précis (une vocation médicale, dans le cas présent). Une pratique qui est en plein développement. Mais, pour l’heure, il n’existe encore que peu d’études scientifiques montrant les bénéfices que peuvent apporter ces serious games sur les fonctions cognitives et la qualité de vie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée.
C’est l’une des missions principales de Cobtek (Cognition Behaviour Technology), une équipe d’accueil de l’université Nice-Sophia-Antipolis, dont le Centre mémoire de ressources et de recherche (CMRR) du CHU de Nice est l’un des membres fondateurs. « Les jeux vidéo envahissent désormais notre quotidien et, dans les prochaines années, il y aura une génération de seniors gamers. Il y a donc un intérêt à étudier de près l’impact de ces jeux sur la mémoire et sur les troubles du comportement. Or, et c’est source de polémique, nous manquons de recommandations, d’études homogènes sur l’utilisation de ces solutions », confirme Renaud David, médecin au CMRR.
Présent au Congrès national des unités de soins, d’évaluation et de prise en charge Alzheimer, qui a eu lieu les 12 et 13 décembre à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), ce spécialiste des symptômes psychologiques et comportementaux dans les pathologies neurodégénératives est intervenu justement pour démontrer l’apport des serious games dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer. « Afin de standardiser, de généraliser ces solutions, nous les étudions en observant de près les opportunités, leurs forces, leurs faiblesses et/ou leurs menaces, poursuit-il. L’un des atouts majeurs est que ces jeux permettent de renforcer l’implication et la motivation des personnes âgées. Les craintes, elles, sont que ces solutions numériques remplacent petit à petit le soignant. Les premiers réticents sont donc souvent les soignants, les personnels sanitaires, plutôt que les personnes âgées. »
C’est en ce sens que l’équipe Cobtek développe, depuis 2014, le site MeMo (Memory Motivation), qui fait l’objet d’un protocole de recherche clinique. Concrètement, cette plateforme en ligne propose gratuitement des exercices d’entraînement utilisables, à leur domicile, par les patients souffrant de troubles cognitifs. « Les exercices sont conçus pour travailler une fonction cognitive précise, en limitant au maximum les interférences d’autres troubles potentiels, tout en gardant un aspect ludique et, si possible, écologique, explique Renaud David. Les jeux sont créés pour que la difficulté s’adapte aux performances de l’utilisateur, afin de limiter la mise en échec tout en étant stimulants. »
« L’objectif est d’arriver à connaître quel impact l’utilisation de toutes les capacités cognitives peut avoir sur certains troubles du comportement. En effet, pour des troubles très fréquents comme l’apathie, la dépression et l’anxiété, voire l’agitation, peut-être que certaines nouvelles opportunités s’offrent à nous et peuvent être une alternative ou, au moins, un complément aux thérapies actuellement utilisées », détaille encore le médecin, avant d’affirmer : « Quand on compare des sujets apathiques et non apathiques, les résultats obtenus sont assez intéressants. En effet, sur le ressenti quant à l’utilisation de solutions numériques, on observe quelques différences entre les apathiques et les non-apathiques, mais les sujets apathiques arrivent globalement à trouver un intérêt à des choses pour lesquelles, a priori, ils n’en ont pas. Ils sont ainsi capables de rester assez longtemps sur leur tablette pour jouer, alors que ces personnes sont connues pour être sans motivation, sans implication. »
Car ces jeux n’ont d’intérêt que s’ils arrivent à accaparer l’attention de la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer. C’est à cette fin qu’ils sont personnalisés au maximum. « Sinon, comme pour les solutions classiques, on se dirige vers un échec de la prise en charge », précise Renaud David, avant de conclure : « De manière générale, les serious games permettent de personnaliser l’approche, de proposer des interactions multiples, de diffuser l’accès aux soins et à des solutions parfois seulement réservées à des personnes proches d’un hôpital. Grâce à de simples jeux vidéo, davantage de malades peuvent être traités. Ce n’est pas négligeable. » Dans les faits, l’étude clinique en cours aidera à « valider l’efficacité des exercices MeMo d’un point de vue cognitif et des activités de vie quotidienne, ce qui permettrait d’en favoriser la diffusion et de renforcer l’accessibilité à ce type de prise en charge non médicamenteuse auprès des personnes âgées souffrant de troubles neurocognitifs ».
LE LABORATOIRE COBTEK, en partenariat avec l’association Innovation Alzheimer, a créé plusieurs serious games, dont l’un appelé X-Torp, destiné aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade léger. Il s’agit d’un jeu d’aventure, une sorte de bataille navale virtuelle. Concrètement, « le joueur, installé à bord d’un sous-marin, vit une expérience de jeu immersive au cours de laquelle il va réaliser, sans s’en rendre compte, différents tests neuropsychologiques », explique Renaud David. Le jeu a été testé sur 18 patients (dont 10 atteints de la maladie d’Alzheimer) au CHU de Nice-Sophia-Antipolis. Les participants ont réalisé 13 sessions d’entraînement durant cinq semaines, pour un total de 10 heures de jeu, et les premiers résultats s’avèrent encourageants : ils montrent une amélioration des performances physiques, cognitives et motrices des patients.