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Le domicile, plébiscité mais sous-financé

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A l’issue de la consultation citoyenne organisée du 1er octobre au 5 décembre 2018 dans le cadre de la concertation nationale « grand âge et autonomie », l’une des propositions largement plébiscitées par les Français est la volonté de pouvoir vivre à domicile. Selon les estimations, 1,7 milliard d’euros seraient nécessaires pour pérenniser les services d’aide à domicile et mettre fin à la politique de la rustine.

REBELOTE. POUR LA CINQUIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, LE TAUX D’ENCADREMENT des prix des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) – fixé à 1,42 % pour 2019 – suscite l’insatisfaction des fédérations du secteur. « La dernière année où le taux était correct, c’était en 2013, avec 3,5 %. Depuis, il n’a cessé d’être trop bas pour permettre aux structures, qu’elles soient entrepreneuriales ou associatives, de pouvoir investir, voire pour beaucoup, de survivre. L’Etat peut demander à des acteurs de faire des efforts exceptionnellement une année ou deux en pariant sur le fait qu’ils vont pouvoir résister. Mais au terme de cinq années, il n’y a plus de réserves ! », s’agace Olivier Peraldi, directeur général de la Fédération du service aux particuliers (FESP), qui avait évalué, lors des rencontres préparatoires avec les ministères, le taux minimal nécessaire de 4,70 %. « Alors que l’on explique, dans le cadre de la concertation nationale “grand âge et autonomie”, qu’il faut revoir le financement et la gouvernance de la politique d’accompagnement de la dépendance en France, les mêmes refusent de voir la réalité des coûts du service. Les pouvoirs publics peuvent faire de grands discours sur le fait que le domicile est la solution pour le vivre ensemble mais si on ne le finance pas, il y aura une offre dégradée aussi bien quantitativement que qualitativement. Rappelons que le service des services à la personne est le seul secteur économique qui cumule trois contraintes : une forte intensité de main-d’œuvre, une faible marge, et une concurrence avec le travail au noir », poursuit-il. Le mécontentement est également à son comble du côté de la Fédération française des services à la personne et de proximité (Fedesap), qui avait proposé, pour sa part, un pourcentage d’augmentation des prix pour 2019 de 2,45 %. « Les moyens alloués au secteur sont aujourd’hui loin des enjeux. Alors que le maintien à domicile est une solution plébiscitée par 94 % des Français, il reste le parent pauvre », déplore Amir Reza-Tofighi, président de la Fedesap.

Fragilisation face à l’augmentation du coût du travail

Dans un courrier en date du 21 décembre 2018, la FESP avait multiplié – en vain – les arguments pour sensibiliser le ministre de l’Economie et des Finances et la ministre des Solidarités et de la Santé sur la nécessité de revaloriser le taux des tarifs d’aide à domicile au regard de l’augmentation du coût du travail. « En un an, le Smic aura cumulé une hausse de 1,24 % en janvier dernier et de 1,5 % au premier janvier prochain. Alors que cette évolution de 0,27 € par heure de travail pèse sur les marges sans aucune possibilité de compensation – notamment par le prix au client –, celles-ci ont également subi une hausse de la cotisation maladie (+ 0,11 %), du plafond de la sécurité sociale (+ 1,28 %), des cotisations des complémentaires santé annexées au plafond de la sécurité sociale et au regard de la sinistralité (environ 2 € supplémentaires mensuels par salarié), de la gratification des stagiaires (+ 1,25 %) », égrène la FESP dans son courrier.

Vincent Vincentelli, responsable « réglementation des secteurs d’activité » à l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), considère que le taux directeur de 1,42 % est « davantage un symptôme de la maladie que sa cause ». Quand la tarification et le financement sont faits par les conseils départementaux, on sait qu’ils sont manifestement insuffisants. Pour les services non tarifés, la capacité d’augmentation des prix est également insuffisante. En 2015, une étude commanditée par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) avait estimé le coût de revient minimal de l’heure d’intervention des services à domicile à 24,31 €. Bien au-dessus donc du tarif médian pratiqué par les conseils départementaux auprès des structures qui est de l’ordre de 19,29 € par heure. « L’urgence, aujourd’hui, porte sur une réforme des moyens et des investissements. Penser qu’une réforme de la tarification des Saad puisse se faire à budget constant est imaginaire. Les structures qui ont réduit leurs coûts n’ont plus de marges de manœuvre », ajoute Vincent Vincentelli. L’UNA considère qu’il faudrait injecter immédiatement 1,7 milliard d’euros dans le secteur de l’aide et du soin à domicile. « Il y a entre 150 000 et 250 000 emplois à créer dans les cinq ans dans le secteur, mais s’il n’y a pas les moyens ils ne verront pas le jour. Si on continue à tordre le cou à l’ensemble des structures, on ne voit pas bien comment elles pourront survivre au-delà des cinq ou dix années qui viennent. L’avenant 36 permet aux conseils départementaux, s’ils le souhaitent, de financer la prise en compte des temps et des frais de trajet. Cette mesure, qui, par nature, devrait être obligatoire, a été estimée à plus de 60 millions d’euros. On ne voit pas comment avec 1,42 % on va pouvoir répondre à ces problématiques. La réponse budgétaire à court terme n’est pas à la hauteur des enjeux et elle est même inquiétante pour le secteur. Cela va par ailleurs permette à un certain nombre de conseils départementaux de légitimer un cadrage encore plus drastique, notamment dans la négociation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) », critique Hugues Vidor, directeur général d’Adessadomicile. Amir Reza-Tofighi rappelle que l’activité de l’aide à domicile ne se résume pas qu’aux heures de présence auprès des personnes accompagnées et que le financement doit prendre en compte également des heures de coordination, de réunion entre les équipes. De fameuses heures de travail que les conseils départementaux qualifient d’« heures improductives »…

Les conséquences humaines du sous-financement du secteur

Vincent Vincentelli alerte également sur les conséquences humaines du sous-financement du secteur et notamment sur la dégradation des conditions de travail des professionnels de l’aide à domicile. « Il y a aujourd’hui des Saad qui n’ont plus aucune marge de manœuvre sur les salaires, des difficultés croissantes de recrutement à tel point que cela se répercute sur les éléments les plus précieux dont disposent les services, à savoir les personnels intervenants à domicile. » Si les chiffres du bilan 2017 de la branche des risques professionnels de l’assurance maladie (AT-MP) faisaient apparaître que le nombre d’accidents du travail était « à son niveau le plus bas depuis 70 ans » tous secteurs confondus, le secteur de l’aide et des soins à la personne (ainsi que les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) n’était pas concerné – et c’est peu dire – par cette amélioration. Il affiche, bien au contraire une hausse des risques professionnels avec un indice de fréquence à 97,2 contre 56,8 dans le BTP, en baisse de 3 %). « Les personnes accompagnées, les salariés, les employeurs souffrent de l’absence de prise de décision politique dynamique pour le secteur. Il y a aujourd’hui des services qui disparaissent, ce qui génèrent notamment dans les secteurs ruraux des déserts médico-sociaux », alerte-t-il.

Selon Olivier Peraldi, la dynamique de création d’activité du secteur du domicile fait déjà les frais de deux années de mise en œuvre du nouveau régime de la loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV) avec notamment des conseils départementaux qui n’accordent plus d’autorisations. Conséquence : « une dégradation de la capacité des structures à pouvoir maintenir un volume de services suffisant ». Alors que, en juillet 2017, la FESP et la CNSA avaient signé une convention de partenariat « Performance 2020 » destinée à cofinancer les coûts de modernisation et de professionnalisation des structures d’aide à domicile adhérentes de la fédération, le directeur général de la FESP reconnaît qu’il est aujourd’hui « délicat de faire vivre cette convention alors que les structures sont empêchées de développement ».

La concertation nationale « grand âge et autonomie » apportera-t-elle les réponses attendues de longue date par les acteurs du secteur au sous-financement du secteur ? Tout en se satisfaisant que les questions de financement et de gouvernance du secteur fassent l’objet de travaux, Olivier Peraldi pointe du doigt toutefois « un biais dans la composition du groupe de travail » et « la faible présence des opérateurs de terrain entrepreneuriaux comme associatifs par rapport à des représentants de l’administration centrale qui n’ont pas l’expérience de la gestion des structures et de leur financement ». Pour le président de la FESP, la question de la gouvernance est également cruciale. « Il n’est plus possible d’avoir tous les pouvoirs dans les seules mains d’un même acteur public, à savoir le département. Etre juge et partie, cela pose un problème. Etre une collectivité territoriale qui autorise ou pas, qui contrôle les structures qu’elle a autorisées, qui fixe les tarifs applicables par cette même structure, qui établit le niveau du plan d’aide de la personne accompagnée, délivre ou pas l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), et tout cela sans aucun contrôle. Il y a 102 départements et donc 102 méthodes, pratiques, règles différentes. Ce n’est pas cohérent, pas performant et cela pose une vraie question de l’égalité face à l’action publique, de l’égalité pour les personnes accompagnées et de l’égalité des structures. »

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