Recevoir la newsletter

Les invisibles de la société

Article réservé aux abonnés

Le phénomène de pauvreté des personnes âgées, qui s’atténuait régulièrement depuis le début des années 1970 avec l’amélioration des retraites, est-il à nouveau d’actualité ? Si l’Insee évalue à 7,4 % le taux de personnes de 65 ans et plus vivant sous le seuil de pauvreté, certaines catégories de seniors et certains territoires sont particulièrement touchés.

LE SECOURS CATHOLIQUE A ACCUEILLI 1,4 MILLION DE PERSONNES EN 2017, dont de plus en plus de seniors, a établi le rapport statistique annuel de l’association « Notre Etat de la pauvreté en France 2018 », publié le 8 novembre. « Au fil des ans, la hausse lente mais constante des personnes âgées reçues dans nos accueils est une tendance qui se confirme », explique Daniel Verger, responsable du pôle « études, recherches et opinion » au Secours catholique. Même si leur part reste encore marginale, les personnes de 65 ans et plus accueillies dans les permanences représentent désormais 6 % du total pour les Français et 3 % pour les étrangers. Les plus de 60 ans pèsent 10 % du public aidé par l’association, une part « en augmentation de près de 5 points » depuis 2010. Cette hausse a pour principale cause l’insuffisance de ressources financières des retraités et est étroitement lié à la question de l’isolement, puisque 80 % des personnes âgées reçues vivent seules. « La situation de fragilité croissante des seniors traduit une précarisation progressive des personnes âgées isolées dont les enfants ont quitté le foyer : 80 % des personnes de plus de 60 ans rencontrées sont des hommes et femmes seuls ou des couples sans enfants cohabitant. Leurs maigres pensions de retraite ou la faiblesse du minimum vieillesse pour ceux n’ayant pas accumulé de droits (notamment les femmes au foyer) ne suffisent plus à couvrir un coût de la vie croissant », note le rapport du Secours catholique.

7,4 % de retraités pauvres

En France, le taux de pauvreté est resté stable en 2017, s’établissant comme l’année précédente à 14 % de la population, selon une estimation publiée le 9 octobre par l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). Quelque 8,8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté fixé, soit moins de 1 026 € pour quelqu’un vivant seul, moins de 1 539 € pour un couple, ou encore moins de 2 565 € pour un couple avec deux enfants. En 2015, les seniors font deux fois moins souvent que les 25-64 ans partie des plus modestes et sont aussi deux fois moins souvent concernés par la pauvreté monétaire notamment en raison de l’effet redistributif des dispositifs sociaux ciblés sur les personnes âgées (minimum contributif et minimum vieillesse). Ainsi, 25,7 % des moins de 30 ans vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 7,4 % des 65 ans ou plus. En 2015, le niveau de vie moyen des seniors était de 25 130 € (2 090 € par mois) contre 24 410 € pour le reste de la population (2 030 € par mois), soit 3 % de plus. Depuis 2008, la part de seniors appartenant aux 20 % les plus modestes a légèrement diminué, de même que la part de pauvres. Le niveau de vie des seniors a nettement progressé jusqu’aux générations 1941-1945. La raison ? L’arrivée à 65 ans de personnes avec des pensions de retraite de plus en plus élevées, en raison de carrières plus complètes et de salaires plus hauts, explique l’Insee. Toutefois, le niveau de vie est plus faible aux « grands âges » : avec 1 993 € par mois en moyenne, les personnes de 75 ans ou plus disposent de 162 € de moins que les 70-74 ans et de 207 € de moins que les 65-69 ans. Le taux de pauvreté est plus élevé à partir de 75 ans (8,1 %) qu’entre 65 et 74 ans (5,9 %). « Cela traduit la situation relativement plus défavorable des personnes de 75 ans ou plus vivant hors institution. Les retraites des personnes les plus âgées sont plus faibles, notamment en raison d’une proportion plus importante de veuves ayant eu des carrières incomplètes, voire ne bénéficiant que d’une pension de réversion », décrypte l’Insee, dans son étude 2018 sur « Les revenus et le patrimoine des ménages ». Les retraités vivant sous le seuil de pauvreté sont, en proportion, plus nombreux dans les départements du pourtour méditerranéen et en Corse.

Si les personnes âgées sont moins touchées par la pauvreté que les autres catégories d’âge, il n’en demeure pas moins qu’une fois qu’elles sont pauvres, les chances de s’en sortir sont plus faibles. « Il est très peu probable que leur situation évolue, alors que les plus jeunes peuvent toujours espérer un avenir meilleur. Au bout de deux ans, les deux tiers des plus de 65 ans sont toujours pauvres, contre 43 % des moins de 65 ans », précise l’Observatoire des inégalités. Dans son premier rapport sur la pauvreté en France, publié en octobre 2018, l’Observatoire des inégalités souligne également que l’Insee, qui ne prend en compte que les ménages individuels, ne comptabilise pas une grande partie de la population la plus pauvre, dont notamment « tous ceux qui vivent durablement en collectivité ». Parmi eux, les 728 000 résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qui représentent 10 % des personnes de 75 ans ou plus et un tiers de celles âgées de 90 ans ou plus. Combien d’entre eux sont en dessous du seuil de pauvreté ? « Il faut y ajouter notamment les immigrés qui vivent dans des foyers de travailleurs, les détenus (70 000 personnes), en passant par les établissements sanitaires de long séjour (pour les personnes lourdement handicapées notamment) où les résidents doivent être rares à disposer de revenus supérieurs au seuil de pauvreté… La société Adoma loge à elle seule 60 000 personnes, dont une grande majorité de travailleurs immigrés âgés aux très faibles ressources », rappelle l’Observatoire de la pauvreté.

Les immigrés ont un niveau de vie médian inférieur de 35 % à celui des non-immigrés et leur taux de pauvreté approche les 40 %. Et les vieux immigrés n’échappent pas à ce sort. « Très majoritairement, les travailleurs immigrés ont occupé des emplois peu qualifiés et peu rémunérés, et la modicité des salaires de la période d’activité se répercute dans le niveau des retraites. A cela s’ajoute des périodes de travail fréquemment non déclarées dans l’agriculture et le bâtiment. Cette population perçoit donc souvent l’allocation de solidarité aux personnes âgées. […] Les femmes âgées immigrées vivant seules ont des ressources particulièrement faibles car généralement leurs carrières ont été très courtes. Ce qui explique qu’elles soient, selon les associations d’aide alimentaire, surreprésentées parmi leurs publics », peut-on lire, dans une étude de l’Observatoire national de l’action sociale (ODAS)(1). Par ailleurs, à côté de ces personnes âgées en situation de précarité bénéficiant de prestations sociales, il existe une population d’« invisibles », constituée de personnes âgées « pauvres » situées à la lisière des dispositifs d’aide : des personnes au-dessus des seuils des minima sociaux et échappant ainsi à l’action publique mais également des personnes renonçant à ces aides (volontairement ou involontairement).

La pauvreté des personnes âgées n’est pas que monétaire. Elle est également relationnelle. L’isolement peut être tantôt un facteur aggravant, tantôt une conséquence de la précarité. Selon une étude de la Fondation de France, en 2014, 1,5 million de personnes de plus de 75 ans étaient en situation d’isolement relationnel, soit une personne âgée sur quatre. L’association Les Petits Frères des pauvres révélait dans son étude « Solitude et isolement, quand on a plus de 60 ans en France en 2017 », que 300 000 Français de plus de 60 ans sont en situation de mort sociale. Ils ne rencontrent quasiment jamais ou très rarement d’autres personnes et cumulent ainsi les quatre types d’isolement : familial, amical, voisinage, réseau associatif. Les femmes de plus de 75 ans et aux revenus modestes sont particulièrement concernées. « La pauvreté, cumulée avec l’avancée vers le grand âge, exacerbe l’invisibilité des personnes âgées isolées. L’isolement social accélère les pertes d’autonomie notamment chez les plus âgés et augmente les dysfonctionnements des prises en charge. Plusieurs études ont ainsi démontré que cet isolement est la cause de nombreux non-recours aux soins ou entraîne des aides inadaptées », analyse l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES). Alors que de plus en plus de démarches administratives se dématérialisent, Les Petits Frères des pauvres a également alerté, en septembre dernier, sur les incidences de l’exclusion numérique sur cette population fragilisée. « L’exclusion numérique […] met un nombre important de nos aînés encore plus en marge de la société et les isole davantage dans notre monde hyper connecté », « y compris pour les plus jeunes comme les 60-69 ans, encore nombreux à être non-utilisateurs », soulignent les auteurs de l’étude. Cette exclusion touche plus particulièrement les plus de 80 ans – soit plus de 1,7 million de personnes – et les personnes aux revenus inférieurs à 1 000 €.

Ehpad trop chers

Existe-il un lien entre le nombre important de personnes dépendantes qui restent à domicile et le taux de pauvreté ? C’est ce que semble attester une étude de l’Insee de juin 2018 sur la perte d’autonomie des seniors qui vivent à leur domicile. Si la part de seniors à domicile est évidemment plus importante dans les régions comptant le moins de places d’Ehpad par habitant de 75 ans ou plus, elle s’explique également par le taux de pauvreté. 6,3 % des personnes de 60 ans ou plus, vivant à domicile, sont en situation de perte d’autonomie en France, hors Mayotte. En métropole, la part de seniors à domicile en perte d’autonomie est particulièrement élevée dans les Hauts-de-France (7,5 %), en Corse (7,4 %), en Occitanie (7,1 %) et en Provence-Alpes-Côte d’Azur (6,8 %). En revanche, les Pays de la Loire et la Bretagne sont les régions qui ont les plus faibles proportions de seniors en perte d’autonomie à domicile, mais également celles qui sont également moins touchées par les difficultés sociales. Les taux de pauvreté par tranches d’âge y sont inférieurs à 8 % chez les seniors de 60 ans ou plus. Les régions dans lesquelles les personnes âgées connaissent le plus de difficultés sociales (Corse, Hauts-de-France, Occitanie, départements et régions d’outre-mer) sont celles où elles résident le plus souvent à domicile et où les situations de perte d’autonomie à domicile sont les plus fréquentes. La part de seniors à domicile en perte d’autonomie est également particulièrement élevée en Guadeloupe (11,8 %), en Martinique (11,3 %), à La Réunion (10,9 %) et, dans une moindre mesure, en Guyane (8,2 %). « A une moindre échelle, on retrouve en outre-mer les mêmes liens entre perte d’autonomie à domicile, difficultés sociales et offre de places en institutions qu’en métropole », note l’étude. Vieux, pauvres et malades… la triple peine pour une partie des personnes âgées.

Minimum vieillesse : entre revalorisation et non-recours

L’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) – ex-minimum vieillesse –, destinée aux plus de 65 ans (60 ans en cas d’inaptitude au travail) ayant de faibles ressources s’élève pour une personne seule à 833,20 € par mois. Deux revalorisations de 35 € au 1er janvier 2019 et 2020 vont porter ce montant maximal à 903,20 € par mois. Fin 2015, environ 555 000 personnes bénéficiaient du minimum vieillesse, dont 68 000 n’ayant aucune pension de retraite. D’après le rapport parlementaire sur « l’évaluation des politiques publiques en faveur de l’accès aux droits sociaux », l’ASPA serait « sans doute une des prestations les plus touchées par le non-recours ». Les travaux d’analyse menés notamment par le Conseil d’orientation des retraites ont déterminé au moins trois facteurs à ce non-recours : une méconnaissance de la prestation ou l’ignorance de son existence ; une réticence/renonciation à la demander compte tenu de la complexité des démarches administratives ou par peur de la stigmatisation. Enfin le non-recours lié à la récupération sur succession des sommes versées sur la part de l’actif net successoral excédant 39 000 € pour la métropole et 100 000 € pour les DROM.

Notes

(1) Soutien aux personnes âgées immigrées – Recueil de bonnes pratiques – Etude menée avec les ministères de l’Intérieur et des Solidarités et de la Santé.

Décryptage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur