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La double peine pour les « sans adresse »

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Un collectif interassociatif dénonce depuis plusieurs semaines les difficultés ou l’absence d’accès à une domiciliation administrative pour les personnes sans domicile stable. Objectifs : inscrire ce dispositif essentiel d’accès aux droits dans les priorités gouvernementales et obtenir son financement.
Pas d’adresse, pas de droit ! ».

Cette formule choisie par les associations résume clairement les conséquences sociales du non accès à la domiciliation pour les personnes sans domicile stable. Depuis plusieurs semaines, la Fédération des acteurs de la solidarité, le Secours catholique, Emmaüs France, Dom’Asile et le Collectif national droits de l’Homme (CNCH) Romeurope, se mobilisent pour interpeller le gouvernement sur les difficultés d’accès à la domiciliation rencontrées sur de nombreux territoires. « La domiciliation n’est pas qu’une adresse postale pour recevoir du courrier. Elle permet d’aborder d’autres questions telles que l’accès aux soins, l’hébergement, le logement, l’emploi. Pour beaucoup de nos associations qui ont des agréments, notamment des accueils de jour, cela permet de débuter un accompagnement global auprès des personnes très exclues, en rupture avec certains services de droit commun », souligne Hélène Chapelet, chargée de mission veille sociale-hébergement à la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).

En janvier 2017, lors de la campagne présidentielle, présentant son projet pour lutter contre le mal-logement, le candidat Emmanuel Macron s’était engagé devant la Fondation Abbé Pierre, « d’assurer un droit à la domiciliation, qui permet de déclencher d’autres droits. ». Or, au grand dam des acteurs du secteur, la domiciliation ne figure pas au rang des priorités gouvernementales et elle est absente de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, du plan quinquennal « logement d’abord », et du plan national pour un numérique inclusif. « Sous le quinquennat Hollande, le sujet de la domiciliation était bien présent et nous pensions avoir enfin réussi à le rendre visible. Cette étape fondamentale à toute démarche d’accès aux droits et d’insertion n’a pas été oubliée lors des concertations avec les associations sur la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté mais elle n’a pas été retenue dans les pistes de travail conservées par le gouvernement », déplore David Hedrich, coordinateur à Dom’Asile.

Pour les acteurs du secteur, si la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) du 24 mars 2014 a permis des avancées certaines et à simplifier l’accès au dispositif de domiciliation, sa mise en œuvre reste néanmoins difficile et les personnes sans domicile stable se retrouvent face à un service public qui demeure trop souvent défaillant. A l’occasion d’une journée francilienne de la domiciliation, le 10 octobre, à Paris, les associations ont listé les nombreuses difficultés qui concourent au parcours du combattant des « sans adresse » : manque de moyens, méconnaissance des droits, refus illégaux de certaines communes de domicilier, mise en place de critères abusifs, inégalités territoriales, exclusion de certains publics sur des bases discriminatoires… Elles sont remontées au créneau en adressant, le 5 novembre, un courrier à Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. « Le premier frein, identifié depuis longtemps par l’ensemble des acteurs du champ, est l’absence de financement dédié pour cette mission », soulignent les signataires. Dans l’optique d’obtenir un budget dédié à la domiciliation, les associations ont soutenu un amendement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019. Après de nombreuses rencontres, la mobilisation inter-associative semble enfin avoir porté ses fruits au moins pour remettre la domiciliation sous le feu des projecteurs. « Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement, nous a fait part de son intérêt pour le sujet et de sa préoccupation et souhaite travailler avec les services dans les prochains mois afin de trouver des solutions sur le terrain pour aider et accompagner les organismes domiciliataires dans leurs missions », se satisfait Hélène Chapelet. Pour rappel, les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale (CCAS ou CIAS) ou les communes lorsqu’il n’y a pas de CCAS/CIAS sur le territoire sont soumis à l’obligation légale de domicilier les personnes sans hébergement stable ayant un lien avec leur territoire.

Saturation

Les organismes agréés par le préfet de département peuvent également assurer cette mission. Mais la domiciliation ne fait l’objet d’aucun financement en propre ni pour les CCAS/CIAS et ni pour les structures domiciliataires alors que ce dispositif représente une charge de travail importante et nécessite la mobilisation de moyens conséquents (personnel, locaux, outils informatiques, téléphoniques…). Ainsi, selon les estimations de l’Union nationale des CCAS et CCIAS (UNCCAS), pour un CCAS, le budget relatif à la domiciliation peut représenter 80 000 euros par an, voire quatre fois plus dans certaines grandes villes. « On ne sait pas combien de personnes ont besoin aujourd’hui d’une domiciliation. On connait le nombre de personnes sans abri [150 000], et par ailleurs, beaucoup de personnes hébergées par des tiers ont besoin d’une adresse. Le coût d’une domiciliation est assez variable d’une structure à un autre mais la moyenne est entre 80 et 100 euros par personne. C’est pourquoi nous avions demandé une enveloppe non budgétaire pour aider les organismes qui doivent faire face à une augmentation des demandes de domiciliation », explique Hélène Chapelet. La question du financement est d’autant plus urgente que le dispositif de la domiciliation arrive sur certains territoires à saturation. Avec l’augmentation des situations de précarité, les structures domiciliataires voient leurs files d’attente croître et se retrouvent dans l’impossibilité de répondre à l’ensemble des demandes.

« Le nombre d’élections de domiciliation a connu une hausse significative et régulière, qui touche aussi bien les CCAS/ CIAS que les associations agrées et qui se concentre en partie dans les zones urbaines : entre 2012 et 2014, cette augmentation est, à titre d’illustration, de plus de 70 % en Seine-Saint-Denis, 31 % dans les Pyrénées-Atlantiques, 25 % dans le Rhône », liste la Fédération des acteurs de la solidarité. Selon la dernière enquête de l’UNCCAS, la hausse des demandes est de + 27 % entre 2013 et 2017, soit un total de 118 000 personnes domiciliées par les CCAS et les CIAS. « Premier signe de la tension du dispositif de domiciliation en Ile-de-France, près de la moitié des refus d’élection prononcés par les organismes agréés ont pour motif le manques de moyens et/ou le nombre maximum de domiciliations atteint, tel que prévu dans l’agrément », a précisé la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (DRIHL), lors d’une réunion de présentation de la synthèse des schémas départementaux de la domiciliation, le 14 décembre, à Paris.

Interprétations aléatoires

Au-delà de la question du financement, les associations pointent également du doigt le fait que certains CCAS/CIAS ne remplissent pas leur obligation légale de domiciliation. Les personnes qui souhaitent se faire domicilier auprès d’un CCAS doivent obligatoirement justifier de leur lien avec la commune au moment de la demande d’élection de domiciliation. « Avec la loi ALUR, le critère de lien avec la commune est moins restrictif qu’auparavant, ce qui constitue une avancée. Mais l’interprétation du lien avec la commune est assez aléatoire d’un CCAS à un autre. Certains l’entendent comme dans les textes réglementaires de manière très large mais d’autres ont une lecture plus restrictive, ce qui pose un problème d’accès aux droits et d’égalité de traitement entre les personnes », insiste Katya Benmansour, chargée de mission analyse juridique à la FAS. « Pour une partie des CCAS de communes de petite ou moyenne taille, il y a une méconnaissance du dispositif de la domiciliation. Un vrai travail d’information est actuellement mené par la Direction générale de la cohésion sociale. L’autre raison est plutôt d’ordre politique. Certaines communes ne veulent pas avoir des personnes très pauvres, domiciliées sur leur territoire, quand bien même cela ne les engage à peu de choses à part leur distribuer le courrier et offrir quand les personnes en font la demande quelques démarches d’accès aux droits », ajoute-t-elle. De son côté, le Collectif national Droits de l’Homme (CNDH) RomEurope dénonce le refus de certains CCAS à reconnaître le lien des habitants de bidonvilles, de squats et de résidences mobiles avec les communes où ils séjournent.

« Il y a de nombreux refus oraux, pas forcément motivés ou des manœuvres dilatoires. On fait attendre, on fait passer par des commissions, afin de gagner du temps jusqu’à une décision d’expulsion d’un terrain. A force de refus ou en anticipant les refus, les personnes se tournent soit des associations qui sont elles-mêmes saturées, soit vers des villes qui ont une interprétation moins restrictive du lien avec la commune de manière. Quand il y a une commune réfractaire, cela se répercute sur les autres. Pour les CCAS, la responsabilité est collective », explique Clotilde Bonnemaison, chargée de mission au sein de RomEurope. à titre d’exemple, en 2015, le tribunal administratif saisi en référé avait ordonné à la mairie de Couëron (près de Nantes) de domicilier des occupants d’un bidonville situé sur la commune. Le Défenseur des droits avait publié une décision le 18 octobre 2017 concernant ces refus de domiciliation. Depuis, les acteurs de la domiciliation travaillent en concertation sur le terrain. « Pour accompagner les agents du CCAS dans la domiciliation des personnes Roms et s’assurer d’un bon service rendu à ce public, un travail partenarial s’est mis en place dès 2015 entre le CCAS et deux associations nantaises jouant un rôle clef auprès de ce public : Médecins du Monde et l’association Saint Yves (permanence Chaptal) », explique l’UNCCAS, sur son site Internet. 36 personnes roumaines sont domiciliées en 2018 sur cette commune, sur 49 bénéficiaires en totalité, soit 73 % du public.

Coordination département-région

« Le premier enjeu est que les CCAS respectent la loi et le second est qu’il y ait des coordinations plus importantes au niveau départemental et régional pour équilibrer les demandes de domiciliation », insiste Clotilde Bonnemaison. Si la loi ALUR a institué les schémas départementaux de la domiciliation, instances de pilotage et de concertation autour de la domiciliation, l’UNCCAS comme les associations du secteur critiquent le fait que le pilotage de ces schémas soit très aléatoire d’un territoire à un autre. « Il faut travailler sur une méthode aussi bien du côté des organismes agréés que des CCAS et avoir un logiciel pour avoir des données par départements, régions et au niveau national, sur le nombre de domiciliation sur l’année, le nombre et les motifs des refus. La question d’un logiciel métiers et de suivi d’activité est fondamentale à la fois pour la gestion du courrier au quotidien mais également pour objectiver les besoins et produire des statistiques », expliquent Hélène Chapelet et Katya Benmansour. Récemment une nouvelle voix s’est fait entendre pour exprimer l’urgence de répondre aux différents obstacles rencontrés par le dispositif de domiciliation. Dans un avis dédié à l’urgence d’agir en faveur des personnes vivant dans la rue, adopté le 12 décembre dernier, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), rappelle à l’État « son devoir de rendre effectif le droit à la domiciliation », et de « confirmer son rôle d’organisateur du service de domiciliation des personnes sans-domicile ». « L’État doit soutenir et financer les organismes auxquels il délègue cette mission de domiciliation, et les doter de logiciels adaptés à leur travail de gestion des courriers et colis », souligne le CESE. Et pour l’instance, tous les moyens sont bons pour chaque acteur réponde enfin à ses obligations. Ainsi le CESE suggère à l’État de recourir au « name and shame » [nommer et faire honte] en publiant les listes des communes et départements qui se soustraient à leurs obligations.

Les demandeurs d’asile « doublement exclus »

Parmi les attentes exprimées par des associations, la fin du régime spécifique de domiciliation pour les demandeurs d’asile. « 40 à 50 % des demandeurs d’asile ne sont pas hébergés aujourd’hui, ce qui les conduit à devoir recourir aux plateformes d’accueil pour demandeurs d’asile (PASA) qui ont des difficultés à assurer le service de domiciliation auprès de ce public », explique Katya Benmansour. « Cette domiciliation est sous-financée et les acteurs sont saturés. Il y a de plus en plus de possibilités d’être exclus de cette domiciliation en cours de procédure d’asile. Au 1er janvier 2019, les PADA qui domicilient vont avoir un nouveau cahiers des charge qui contient encore plus de motifs de résiliation. Se pose alors la question des possibilités de recours pour ces personnes exclues en cours de procédure. Les demandeurs d’asile se trouvent doublement exclus, à la fois par les PADA qui ont des conditions de radiation très nombreuses et par la domiciliation de droit commun (CCAS/structures domiciliataires) », poursuit David Hedrich, coordinateur à Dom’Asile.

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