Plutôt que de décrire des profils types, il faut insister sur le manque de données les concernant. Il y a tout d’abord un flou parce qu’il y a des mineurs qui ne demandent pas de protection, des mineurs qui sont reconnus majeurs et des majeurs qui sont reconnus mineurs. Les mineurs non accompagnés (MNA) accueillis en protection de l’enfance ne représentent pas l’ensemble des mineurs isolés présents en France. Par ailleurs, nous avons également un problème de données plus général en matière de protection de l’enfance : il s’agit d’une politique départementale et les départements ne remontent pas forcément leurs données ou les mêmes données à l’Observatoire national de la protection de l’enfance. C’est pourquoi dans les différentes stratégies, il y a toujours un axe qui concerne la production de données dans la protection de l’enfance. Ce n’est pas spécifique aux MNA, mais la chose s’est accru avec ces jeunes qui peuvent passer d’un département à l’autre, qui peuvent quitter le territoire et y revenir. On ne sait pas par exemple combien de MNA font l’objet d’une procédure pénale. C’est aussi lié à l’absence de « données ethniques » en France.
On ne peut pas parler d’unanimité, car on ne connaît pas encore le positionnement de certaines associations. En revanche, il y a une forte mobilisation associative qui touche plusieurs secteurs : des associations de l’insertion et de l’hébergement (Aurore, Emmaüs Solidarité ou la Fédération des acteurs de la solidarité), des associations de protection de l’enfance (Les Apprentis d’Auteuil, l’Armée du salut ou l’œuvre de secours aux enfants), des associations de droits de l’enfant (Unicef), des associations de droits des personnes et des étrangers (Cimade, Gisti). C’est en partie cette mobilisation qui a pu permettre au Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) de s’exprimer défavorablement sur ce décret. L’Uniopss, comme de nombreuses associations, est opposée au principe même de création de ce fichier : c’est une mesure qui nous semble discriminatoire. C’est un signal de plus qui indique qu’on va traiter les enfants étrangers différemment. Or, c’est contraire à la protection de l’enfance, aux engagements internationaux de la France, à la Convention internationale des droits de l’enfant. Cela nous semble dangereux. D’autant plus au regard de l’utilisation qui pourrait être faite des données contenues dans ce fichier.
S’opposer à ce projet de décret, ce n’est pas nier que des départements rencontrent des difficultés en matière de protection de l’enfance de manière générale. Il faut plus de moyens accordés aux départements. Quand on voit qu’une décision de placement peut mettre plusieurs mois à être appliquée, cela interroge. En revanche, il faut rappeler que, d’après les chiffres dont on dispose, les mineurs non accompagnés représentent moins de 10 % des enfants pris en charge par la protection de l’enfance. Ils ne mettent pas à eux seuls en déséquilibre le bon fonctionnement d’une politique publique. En revanche, la création de ce fichier risque de générer des crispations dans les équipes. Des travailleurs sociaux pourraient ne pas vouloir saisir des informations ou accompagner les MNA présumés en préfecture. Si, aujourd’hui déjà, l’évaluation questionne, avec ce fichier, cela ira beaucoup plus loin. Il ne s’agira plus seulement de dire si une personne est mineure ou majeure. Il s’agira de déterminer in fine si la personne est expulsable ou pas. La décision sera encore plus lourde de conséquences. Il nous paraît plus important de travailler de manière concertée, avec l’ensemble des acteurs – départements, associations, professionnels de la protection de l’enfance… – sur l’amélioration de la qualité de l’évaluation de la minorité et de l’isolement, dans le respect des droits de l’enfant, plutôt que sur la création d’un fichier qui ne ferait qu’accentuer les crispations qui existent sur les territoires.