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“Je sais ce que signifiel’isolement et le déracinement”

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Depuis huit ans, à Nantes, Charles Soussan a mis sur pied un service de traiteur « sans frontières », qui offre aux familles migrantes régularisées un moyen de s’intégrer tout en faisant découvrir leurs traditions culinaires. Un tour du monde gustatif qui séduit autant les papilles que par son engagement en faveur des réfugiés.

AUTOUR DE LUI, LA CUISINE EST EN EBULLITION. Un joyeux tintamarre de casseroles qui s’entrechoquent, de couteaux qui hachent d’un geste expert sur fond de conversations animées. Assis sur un coin de tabouret, Charles Soussan, par qui toute cette agitation est arrivée, chaparde tout ce qui lui tombe sous la main. « C’est tellement bon », articule le sexagénaire en désignant les tiropita, ces chaussons albanais à la feta et au basilic, qu’il savoure avec un plaisir non dissimulé. Déjà deux heures que les cuisinières du Goût des Autres s’activent derrière les fourneaux de cette cuisine professionnelle située dans le nord-est de Nantes. Au menu : des spécialités culinaires d’Albanie, d’Algérie, de Géorgie ou encore d’Irak qui seront englouties par quelque cent cinquante convives le lendemain pour les dix ans de la chorale Au clair de la rue. Il est loin le temps où des réfugiées allaient cuisiner chez des particuliers les bons petits plats de leur pays, contre rémunération ! « Au départ, nous n’avions ni cuisine, ni matériel, ni formation, se souvient le fondateur de ce service de traiteur unique en France. Je me suis démené pour trouver un local et acheter un véhicule. En huit ans, l’association s’est propulsée dans les mariages, les réunions de famille, les comités d’entreprise, les congrès, les festivals. En 2017, elle a ainsi assuré cent soixante prestations, avec une moyenne de cent vingt couverts par événement. Et tout ça rien qu’avec le bouche-à-oreille », s’enorgueillit celui qui a su convaincre l’actrice et réalisatrice Agnès Jaoui d’être la marraine de l’association.

La blessure de l’exil

Au-delà de régaler les papilles, l’association a surtout vocation à accompagner l’intégration des familles migrantes et changer le regard sur elles. « Le repas est un moment de partage qui revêt une capacité unique à apaiser les esprits et éloigner de la stigmatisation », constate l’homme au sourire communicatif. Au sein de l’association, sa condition de migrant n’est pas toujours connue de tous. Peu savent qu’il est un enfant séfarade forcé de quitter une Algérie en guerre en 1962. « Ce que j’ai vécu me permet de comprendre davantage ce que peuvent vivre les migrants à leur arrivée en France. Je sais ce que signifie l’isolement et le déracinement. Quand j’ai débarqué à Nantes avec mes parents, les gens nous regardaient comme si nous venions de la lune. C’était à une époque où les Français ne connaissaient pas le poivron rouge et ne cuisinaient pas encore avec l’huile d’olive », se souvient-il avec ce trait d’humour qui le caractérise. C’est donc tout sauf un hasard si, en 2004, Charles Soussan décide de venir en aide aux petits migrants dont la situation dramatique avait alerté ses deux enfants scolarisés dans la même école. Avec plusieurs volontaires, il décide de fonder le collectif des enfants étrangers citoyens solidaires pour alerter les pouvoirs publics de la situation. Occupation d’écoles, mise en place de comités de vigilance, vente de t-shirts… Charles Soussan est un militant révolté par l’injustice. Pendant cinq ans, il enchaîne les actions chocs, parfois au détriment de sa vie de famille. « Mes enfants m’ont longtemps reproché d’être très tendu, nerveux, agressif quand je rentrais à la maison. La violence me heurte. Je ne peux pas me contenter de la regarder sans agir », se justifie celui qui a envisagé un temps de devenir assistant social. En 2008, à la faveur d’une vague de régularisations sous le gouvernement Sarkozy, ses efforts portent enfin leur fruit. En guise de remerciements, certaines familles l’invitent à dîner. Un déclic ! Inspiré par le savoir-faire de ces cuisinières qui ont emporté avec elles les recettes de leurs plats traditionnels, il lance avec elles une offre de banqueting en janvier 2010. « Quoi de plus simple pour des personnes qui n’ont pas la maîtrise de la langue que de faire la cuisine. C’est aussi une façon de donner quand on n’a plus rien. Mais finalement, la nourriture n’est qu’un alibi puisque ce qui compte c’est de pouvoir continuer à aider ces femmes et ces hommes à s’intégrer et recréer du lien social », avoue le Nantais d’adoption.

Un coup de pouce

Aujourd’hui, l’association emploie, au gré des besoins, 15 femmes et 3 hommes, de dix-sept nationalités différentes (Tchétchénie, Géorgie, Kosovo, Ukraine, Albanie, Irak, Afghanistan, etc.). Certains étaient cuisiniers dans leur pays d’origine, d’autres ingénieur, hydrogéologue, professeur d’électronique, etc. Cette brigade cosmopolite est gérée d’une main de maître par Djida Mahiout, la quarantaine épanouie, qui a vu grandir l’association : « Charles m’a transmis sa façon de valoriser l’autre, et j’essaie de suivre son exemple. Si cela lui arrive encore de s’immiscer dans mes missions, je sais qu’il me fait totalement confiance. C’est son bébé, mais je l’ai adopté », s’amuse la jeune femme, qui partage avec son président la même origine algérienne. De son côté, ce dernier n’entend effectivement pas lâcher prise aussi facilement. Désormais en pré-retraite, le sexagénaire continue de consacrer tout son temps à l’association. Quand il ne se rend pas sur les événements pour en faire la promotion, il planche sur les devis ou les facturations. « Combien de fois j’ai eu envie de jeter l’éponge car cela me demandait trop d’énergie, de responsabilités par rapport à l’hygiène, et de la patience pour composer avec les personnalités de chacun, énumère-t-il. Mais je suis quelqu’un de têtu. J’essaie d’avoir une constance dans mes engagements sinon cela perd de son sens. » Avec un projet d’ouverture de restaurant, un agenda bien rempli et une carte de mets sans cesse renouvelée, l’heure n’est pas au repos. Passé le relais ? « Il faudra bien qu’un jour je décroche. C’est pour cela que je me repose de plus en plus sur Djida. J’aimerais pouvoir me dégager du temps pour soutenir d’autres causes qui me tiennent à cœur ou pour voyager, confesse-t-il de sa voix grave. Mais je crois qu’au fond mon association est le lieu où j’arrive le mieux à m’exprimer. Le soir, quand je me couche, la seule chose qui me motive, c’est de savoir que j’ai pu donner un petit coup de pouce à mes cuisiniers et contribuer à améliorer leur quotidien. »

« La cuisine est une façon de donner quand on n’a plus rien »

Il a fondé Le goût des autres en 2010, une association unique en son genre en France, dont le but est de favoriser l’intégration des familles immigrées tout en faisant découvrir leur cuisine.

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