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« Je milite pour la disparition des EHPAD »

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Bernard Ennuyer, sociologue et ancien directeur d’un service associatif d’aide et de soins à domicile à Paris durant trente ans.
Vous soutenez la démarche des Petits Frères des pauvres qui donne la parole aux résidents. Des témoignages qui vous confortent dans votre avis très tranché sur les Ehpad…

Si les gens veulent vieillir dans de bonnes conditions, les Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] ne sont sans doute pas la bonne solution. Je milite pour leur disparition, mais je ne suis pas non plus pour le maintien à domicile. Rester chez soi, c’est bien joli, mais si vous êtes en manque de mobilité et qu’il n’y a pas suffisamment d’aide professionnelle, vous êtes cloîtré chez vous. Le domicile, dans certains cas, peut être insécurisant, la personne peut souffrir d’un manque de soins et d’un isolement certain. Si personne ne vous sort de chez vous, vous êtes confiné devant votre télévision. Mais les Ehpad, ce n’est pas mieux. Comme on l’a vu dans les témoignages, les gens s’estiment encore plus seuls en Ehpad. De plus, ces établissements sont souvent très mal médicalisés, beaucoup n’ont pas d’infirmière de nuit. Il ne faut donc pas dire qu’il y a une sécurité médicale en Ehpad. Toutes les études ont montré que les résidents prennent dix médicaments par jour en moyenne, cela signifie qu’il y a de la iatrogénie [maladie provoquée par des médicaments], ce qui amène ainsi à penser que l’Ehpad coûte relativement cher pour un service de mauvaise qualité.

A vous entendre, que ce soit l’Ehpad ou le maintien à domicile, rien n’est adapté. Quelle est l’alternative ?

C’est très simple, il s’agit du domicile collectif. Cette alternative permet de mutualiser les moyens. Par exemple, la personne à domicile qui a besoin d’une garde de nuit ne pourra pas payer 3 000 € mensuels nécessaires pour ce service. En domicile partagé, avec dix autres personnes, le coût de la garde de nuit peut être réparti sur la totalité des habitants. De plus, le domicile partagé permet de recréer des communautés d’habitat avec six, huit ou dix personnes. Si l’une d’entre elles a un pépin de santé aigu, elle est prise en charge à l’hôpital. Lorsqu’il s’agit de maladie chronique, on peut tout à fait garder les personnes dans des petites unités sans les surmédicaliser, avec une garde de nuit et une infirmière qui passe en journée. La proposition que nous faisons de domicile collectif est source de bien-être pour les gens eux-mêmes, pour les familles et les professionnels ; mais aussi pour les finances publiques. Il faut néanmoins accepter de mettre sur la table entre 5 et 10 milliards par an. Avec cet argent, on embauche du personnel, on sort des personnes du chômage en les formant, ce qui engendre pour l’Etat moins de dépenses et plus de recettes, car des impôts et des charges sociales vont entrer dans les caisses. Avec une présence accrue auprès des personnes âgées, il y a moins d’hospitalisation et donc des économies. Une étude suisse a démontré que lorsqu’on investit « un » dans le domicile, on fait « deux » en économie de dépenses de santé, parce que cela diminue les séjours hospitaliers, qui coûtent cher à la collectivité, sans compter la dégradation de l’état de la personne.

Vous tenez pour modèle le Danemark, qui aurait fait un moratoire sur les hébergements de type Ehpad, une décision politique qui semble peu envisageable en France. Que proposez-vous ?

Selon moi, il faut tout remettre à plat. Aujourd’hui, à 85 ans, 80 % des personnes sont encore chez elles parce qu’elles vieillissent dans de bonnes conditions. On a une image, en France, complétement débile, selon laquelle on ne peut pas vieillir sans être dément et dépendant. C’est faux. Pour autant, les personnes qui restent à domicile sont trop souvent obligées de compter sur l’aide de leur famille, et notamment des femmes, faute de politique publique. Première difficulté : le gouvernement est-il capable de mettre sur la table l’argent pour financer les professionnels aides à domicile ? Si c’est le cas, le domicile est une bonne solution pour une majorité de gens. Pour les 600 000 personnes qui sont aujourd’hui en Ehpad, il faut des petites structures. Cela veut dire que si l’on divise ce nombre par dix, il faut 60 000 structures. La France dépense aujourd’hui 1,2 % de son PIB pour les personnes âgées ; les pays scandinaves en financent le double. Si, au lieu de 25 milliards, on met 50 milliards sur ces questions-là, les professionnels seront correctement payés et des économies dans les dépenses de santé en découleront. Ce n’est pas moi qui le dis, mais de nombreux rapports d’experts depuis dix ans. Une alternative qui demande des moyens, et surtout des choix et des décisions politiques.

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