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« Yes, they can ! »

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Impliquer, faire participer, autonomiser, libérer le potentiel, donner plus de possibilités d’action et de pouvoirs de décision aux personnes accompagnées, leur donner l’opportunité de mieux maîtriser leur vie… L’« empowerment », c’est-à-dire la capacité d’action des usagers, sera-t-il la prochaine révolution culturelle du secteur social et médico-social ?

« N’UTILISEZ PLUS LES MOTS “PRISE EN CHARGE”. Vous n’êtes plus des assistants, des aidants, vous êtes des formateurs. Arrêtez de penser aux problèmes de la personne, pensez à ses forces, à ses qualités ! Bossez sur ce qu’elle sait faire, et non sur les handicaps. Vous êtes avec des gens qui ont des forces. Allez dans cette direction ! » A l’occasion d’une journée d’étude intitulée « La reconnaissance du pouvoir d’agir des personnes accompagnées : du principe aux pratiques », organisée le 30 novembre à Paris par l’Uriopss (Union régionale des interfédérales des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) et le Creai (Centre régional d’études, d’actions et d’informations) d’Ile-de-France, Tim Greacen, docteur en psychologie et directeur du laboratoire de recherche de l’établissement public de santé Maison-Blanche (Paris), a défendu avec enthousiasme le concept d’« empowerment ». Le travail de recherche de cet Australien d’origine porte essentiellement sur l’empowerment des citoyens en matière de santé, et plus particulièrement sur celui des personnes vivant avec un trouble psychique. « Imaginer le service sanitaire, médico-social et social comme une boîte à outils à la disposition de l’usager dans le cadre de son projet de vie, un lieu où il se prend en charge (pas de responsabilisation dans une “prise en charge” hétéronome), où il peut compter sur une aide adaptée à son problème (et non adaptée à la seule offre), où il se forme (comment prévenir, comment vivre avec, comment mieux se soigner, comment construire un projet de vie) et où il peut même s’imaginer un avenir (en tant que pair aidant, professionnel) », a-t-il poursuivi. Et d’insister : « L’empowerment n’est pas que le savoir. Ce sont les savoir-faire et les moyens pour les mettre en œuvre. »

Arrivé en France dans les années 2000, l’empowerment évoque la possibilité pour un individu ou un groupe de se donner les moyens de renforcer sa capacité d’action ou d’émancipation. « Pouvoir d’agir », « capacitation », « empouvoirisation », « agentivité », « autonomisation », « responsabilisation »… aucune traduction française du mot empowerment ne réussit à rendre vraiment compte du sens exact de cette notion. En 1987, Julian Rappaport, psychologue américain, a défini l’empowerment comme « un processus, un mécanisme par lequel les personnes, les organisations et les communautés acquièrent le contrôle des événements qui les concernent ». Cette notion « articule deux dimensions : celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder », a précisé Marie-Hélène Bacqué, sociologue et professeure en études urbaines à l’université Paris Nanterre.

Horizontalité

Nombreux sont ceux qui se rangent derrière l’expression « développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités » en guise de traduction de l’empowerment, c’est-à-dire le « processus par lequel des personnes accèdent ensemble ou séparément à une plus grande possibilité d’agir sur ce qui est important pour elles-mêmes, leurs proches ou la collectivité à laquelle elles s’identifient », selon la définition de Yann Le Bossé, psychosociologue à l’université Laval (Québec), souvent cité en référence.

« Tous ces mots qui s’enchaînent depuis quinze ans s’inscrivent dans un mouvement de fond, une évolution sociétale qui dépasse le secteur social et médico-social », a considéré Dominique Argoud, président du conseil scientifique de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) et maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris-Est Créteil. « On a assisté depuis quelques années au “déclin de l’institution” », pour reprendre l’analyse du sociologue François Dubet. « Les institutions dans lesquelles s’exerce le “travail sur autrui” sont toutes déstabilisées parce que la société conteste tout ce qui vient du haut, les normes, les valeurs, le savoir, alors que, jusqu’à présent, cela s’imposait de fait. Les familles mises à la porte des institutions sont de plus en plus revendicatrices. Les professionnels eux-mêmes développent de plus en plus leur “compte à soi” qui leur dit de faire autrement. L’individu a une capacité d’agir sur son environnement, même s’il est en situation de vulnérabilité. La verticalité est aujourd’hui contestée au profit de l’horizontalité. La recherche de symétrisation des liens sociaux est une constante dans la société postmoderne », a-t-il expliqué lors de la journée d’étude Uriopss-Creai Ile-de-France.

Alors que le secteur social et médico-social peine encore à donner réellement vie à la participation des personnes accompagnées, à la coconstruction, malgré les nombreux textes de loi et de réglementation allant dans ce sens, le voilà désormais invité à passer à l’ère du pouvoir d’agir des usagers. A requestionner les pratiques et les postures professionnelles, les rapports de pouvoir, de savoir. Selon les préconisations formulées par les derniers états généraux du travail social, en 2015, l’accompagnant doit accepter « d’abandonner un peu de pouvoir, et de prendre des risques pour laisser la place à ceux qui sont accompagnés, et se saisir de toutes les opportunités offertes allant dans ce sens ».

Postures professionnelles

En juillet 2017, le HCTS (Haut Conseil du travail social) a remis un rapport sur « La participation des personnes accompagnées aux instances de gouvernance et à la formation des travailleurs sociaux ». Il réaffirmait la nécessité, pour les professionnels, d’écouter et de prendre en compte les besoins et les demandes des personnes accompagnées, de prendre conscience de leurs besoins et de leurs compétences. Et de citer Roland Janvier : « Le professionnel n’est plus dans la position d’un expert qui décide à la place d’un bénéficiaire. Deux personnes sont côte à côte, et non plus face à face : le professionnel, qui a des compétences spécifiques, l’usager, qui a ses compétences propres, irremplaçables. Ces deux personnes ne peuvent pas être à l’unisson, mais de leur rencontre, du débat entre leurs deux perceptions naîtra un projet commun. Mais, pour cela, il faudrait que le professionnel soit sécurisé dans sa posture, avec des institutions bienveillantes et des cadres soutenants qui lui laissent le temps nécessaire à l’instauration de la relation et à l’accompagnement. »

Le « développement du pouvoir d’agir » est d’abord et avant tout une posture professionnelle qui rompt avec le concept d’expert de l’intervenant social, pour donner place à un travail de coconstruction avec les personnes concernées. Le secteur social et médico-social est-il prêt à engager cette révolution culturelle ?

Le secteur social et médico-social est-il prêt à engager cette révolution culturelle ? La journée d’étude de l’Uriopss-Creai se voulait être une occasion de présenter « les opportunités, les limites, les transformations dans les pratiques professionnelles qui sont induites par cette reconnaissance du pouvoir d’agir, de la capacité des personnes accompagnées à agir, à décider pour elles-mêmes », a souligné Amaëlle Penon, directrice de l’Uriopss Ile-de-France. Et, selon Lydie Gibey, directrice du Creai Ile-de-France, « l’enthousiasme ne suffira pas, il faudra dépasser les discours pour participer à une transformation effective des pratiques actuelles ».

Le « développement du pouvoir d’agir » est d’abord et avant tout une posture professionnelle qui rompt avec le concept d’« expert » de l’intervenant social pour donner place à un travail de coconstruction avec les personnes concernées. Depuis janvier 2018, l’association Cordia a franchi le pas et mis en place une plateforme numérique – baptisée ACX – utilisée pour le suivi des usagers des appartements de coordination thérapeutique. Objectifs : fluidifier la pluridisciplinarité et renforcer le pouvoir d’agir des personnes accompagnées. Cet outil permet le travail de l’équipe qui repère, hiérarchise les besoins et les forces des personnes accompagnées. A partir de ces données, le résident est invité à coconstruire des réponses et à soumettre également ses besoins et les moyens qu’il envisage de mettre en œuvre pour leurs réalisations. « Nous encourageons la personne à activer ou à réactiver plusieurs facteurs cognitifs : la mémoire, la temporalité, la réflexion sur ses capacités, le croisement avec d’autres options. La plateforme ACX augmente les capacités des personnes à décider par et pour elles-mêmes, à influer sur les décisions qui les concernent, à améliorer leur conscience de leur situation de santé, de leur engagement dans leur santé et de leur participation à une vie sociale, a témoigné Jean-Luc Cousineau, directeur général de Cordia et vice-président de l’Uriopss Ile-de-France. 42 % des résidents ont adhéré à ce processus, le principe contribue à générer espoir et stimule la motivation. La personne en position d’experte renforce son estime de soi, autour de son besoin, elle dialogue d’égal à égal avec le professionnel, elle apprend à mieux se connaître. » Deux points restent toutefois à améliorer pour concrétiser ce pouvoir d’agir chez certaines personnes accompagnées : l’apprentissage de l’utilisation des outils informatiques et la compréhension du langage des professionnels.

L’association Métabole, qui accompagne des jeunes confrontés à des difficultés psychologiques et sociales, a placé, elle aussi, le pouvoir d’agir des personnes accueillies au cœur des projets des établissements et des services, « conformément au plan d’action en faveur du travail social et du développement social issu des états généraux du travail social (2015) ». « Notre conception de l’autonomie des jeunes que nous accueillons et que nous accompagnons se rapproche de la notion de “capabilité” développée par Amartya Sen [économiste et philosophe indien, prix Nobel de sciences économiques en 1998], à savoir la possibilité effective qu’une personne a de faire ses propres choix face à diverses possibilités d’action, autrement dit la liberté dont elle jouit effectivement », précise l’association, sur son site Internet. Une liberté réelle de choix et d’action.

Pouvoir d’agir et savoirs expérientiels

« Le pouvoir d’agir n’est pas seulement un besoin du patient, mais aussi une nécessité pour le système de santé. A une époque où les maladies sont de plus en plus complexes et de plus en plus chroniques, le patient, fort de son vécu, en sait parfois plus sur sa santé que son médecin », rappelait la ministre des solidarités et de la santé, en janvier dernier, lors d’un colloque sur « Le pouvoir d’agir (“empowerment”) des patients ». signe d’une évolution ? en octobre dernier, les 5es rencontres scientifiques de la cnsa (caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) ont été consacrées aux savoirs expérientiels, c’est-à-dire les savoirs que les personnes en situation de handicap ou en perte d’autonomie, celles qui les aident et les accompagnent ainsi que les professionnels du soin tirent de leur propre expérience. « Si les savoirs expérientiels font l’objet d’une attention particulièrement développée dans le champ sanitaire, il nous a semblé qu’ils n’avaient pas encore toute leur place dans notre réflexion collective et nos façons d’agir dans le champ médico-social. L’attention qui doit être portée à ces savoirs est essentielle », a déclaré anne burstin, directrice de la cnsa, en ouverture de ces rencontres. une manière de reconnaître – enfin – le potentiel à agir des personnes accompagnées.

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