Les changements sont assez lents. Les problématiques que rencontraient le défenseur des droits il y a trois ans sont à peu près les mêmes. La question du handicap dans notre pays est toujours compliquée à penser. D’autant que l’on touche au domaine de l’intime : tant pour une famille que pour les travailleurs sociaux, c’est compliqué de pointer la réalité d’un handicap, de le distinguer de la souffrance psychologique… Surtout, le monde du handicap et celui de la protection de l’enfance, entre lesquels les frontières sont parfois très fortes, font face au manque de moyens. A cause de la gestion de la pénurie de ressources, des jeunes qui devraient être pris en charge par le secteur médico-social le sont par la protection de l’enfance, et vice-versa. Parfois on se renvoie la balle, ce qui provoque des trajectoires faites de ruptures dans l’histoire des enfants. On a pu entendre des professionnels dire : « La personne est déjà prise en charge par l’aide sociale à l’enfance ou par le secteur du handicap : donc elle n’est pas prioritaire »… Ce qui fait qu’on en arrive là, ce n’est pas la faute des professionnels – même s’il y a des coordinations qui ne se font pas entre les acteurs et services – c’est avant tout dû à la pénurie de ressources.
Quand des familles ou des éducateurs sont obligés d’attendre six mois voire un an un rendez-vous chez le pédopsychiatre, des problématiques très graves apparaissent. Il y a un vrai enjeu autour de la revalorisation de ce métier et des moyens pour avoir plus de pédopsychiatres. En attendant, il faut arriver à mobiliser les agences régionales de santé (ARS) sur des questions de santé dans le médico-social. Dans certains départements, l’ARS ne vient pas dans les commissions de cas complexes ! Nous avons besoin que les ARS soient davantage partie prenante des politiques de protection de l’enfance, en ciblant la question du handicap. D’autres possibilités peuvent être déployées. D’abord les équipes mobiles pluridisciplinaires, composées de pédopsychiatres ou de psychiatres, qui vont à la rencontre des jeunes en protection de l’enfance pour repérer les problématiques de handicap et mieux les accompagner. Ensuite, l’accueil en famille, avec le développement des assistants familiaux thérapeutiques – encore peu nombreux sur le territoire – formés à la prise en charge de jeunes porteurs de handicaps psychiques, mentaux ou physiques. Reste enfin à développer des établissements hybrides entre protection de l’enfance et handicap, comme cela se fait sur certains territoires.
Plus la prise en charge est tardive, plus c’est compliqué de travailler sur la situation du jeune, sur sa capacité de résilience, d’être soigné… Plus on attend, plus on est dans une situation angoissante pour l’équipe éducative accompagnant ces enfants, qui deviennent parfois « ingérables ». On finit par les sortir des dispositifs de la protection de l’enfance ou des établissements sans savoir quoi faire. C’est le cas pour beaucoup de personnes porteuses d’un handicap psychique et mental qui vont être dans le refus de toute autorité, dans la violence, le passage à l’acte… Les troubles du comportement, s’ils ne sont pas gérés, peuvent s’aggraver et entraîner une sortie de route de la protection de l’enfance, des passages en protection judiciaire de la jeunesse, ou des actes délinquants. Ce n’est pas gagnant pour la société, et en premier lieu pour le jeune.
Sur les jeunes majeurs, il y a eu une prise de conscience forte, les choses avancent doucement. Il faut attendre la stratégie nationale de protection de l’enfance pour voir si la question du décloisonnement entre handicap et protection de l’enfance est effectivement prise en compte. Mais nous n’avons aucun élément, le Cese n’est pas plus associé que ça… On annonce la création d’un haut commissaire à la protection de l’enfance en charge du plan : tout a été un peu chaotique. La stratégie devait sortir en juillet, puis à l’automne, et elle n’est pas sortie… Elle sortira quand elle sera prête ! On voit bien que c’est complexe et que l’on ne sait pas bien encore comment résoudre cette question.