ALORS QU’UN DÉCRET DEVANT METTRE EN PLACE LE « FICHIER NATIONAL BIOMÉTRIQUE » pour automatiser l’évaluation de la minorité des jeunes mineurs isolés est en discussion au Conseil d’Etat, le terrain de la protection de l’enfance semble plus que jamais inflammable. Réunis pour la journée organisée par l’Andesi sur la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA), le 7 décembre, nombreux sont les professionnels à avoir exprimé leurs inquiétudes et leur sentiment sur un métier en bouleversement permanent.
« Le conseil départemental de l’Allier a lancé un appel à projets sur l’évaluation de la minorité et de l’isolement des jeunes mineurs non accompagnés. Ils n’ont eu aucun candidat, alors que plusieurs associations reconnues nationalement – dont le Forum réfugiés –interviennent sur le territoire, explique Nathalie Teixeira, cheffe de service dans une maison d’enfance à caractère social. Il y a un écart entre les associations qui œuvrent pour le public accueilli et cette évaluation de la minorité qui se fait sur des critères si peu fiables qu’ils sont aux antipodes du travail social. On ne peut pas être juge et parti : quand on accompagne, peut-on évaluer ? »
Les mêmes interrogations avaient surgi au moment de la circulaire « Collomb » qui visait à identifier les personnes sans titre de séjour dans l’hébergement d’urgence malgré le principe de l’accueil inconditionnel. De fait, les impératifs de positionnement des travailleurs sociaux semblent aujourd’hui devenir de plus en plus problématiques. Dans un contexte d’intervention difficile et mouvant, certains professionnels évoquent des nouvelles « stratégies » à trouver : les contrats d’apprentissage qui autrefois permettaient d’obtenir un titre de séjour pour les mineurs isolés devenus majeurs ne font plus aujourd’hui office de garantie. « Avec la pluie d’obligations de quitter le territoire français que nous recevons dans le département, nous nous questionnons beaucoup : ne faudrait-il pas plutôt obtenir un titre “étudiant” ou qu’ils demandent l’asile ? », poursuit Nathalie Teixeira.
« Le travail d’éducateur a changé, abonde Robert Otieno, éducateur spécialisé à la Croix-Rouge française. On ne fait pas le même métier qu’avant. On doit improviser, inventer de nouvelles pratiques. » On assiste également à une montée en compétences dans le secteur pour pouvoir réagir aux changements de législations, et de jongler entre les différentes problématiques administratives, sanitaires et d’insertion sociale, qui dépassent le champ traditionnel éducatif. « Nous sommes en veille juridique permanente, explique Anita Tarde, directrice adjointe du dispositif d’accompagnement et d’intervention sociale (DAIS) ADSEA 77. Nous avons glissé petit à petit dans le champ de l’insertion sans avoir été formé pour cela. »
« On se retrouve à faire un peu de tout avec des impératifs de réussite car nous avons des objectifs à atteindre de par nos financements, souligne Laure Esnard, formatrice-référente insertion professionnelle de la Croix-Rouge. Les jeunes ont des objectifs à atteindre qui les perturbent. Faire vite les stresse et les empêche de réfléchir. Et il est vrai que nous sommes obligés de leur faire faire des choix sur leur orientation, car nous savons que leur temps est compté. C’est très compliqué, tous ne veulent pas travailler dans les secteurs porteurs. »
Pour Claude Roméo, ancien directeur de la protection des MNA à France terre d’asile, il faut revoir formation initiale des éducateurs spécialisés, mais pas seulement. Il appelle de ses vœux une « vraie politique de reconnaissance » du travailleur social, et rien de moins que le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui, pour lui, est encore loin d’être entré dans les mœurs.