BIEN QUE LA MINISTRE DES SOLIDARITÉS ET DE LA SANTÉ ait récemment assuré qu’en matière de dépendance des personnes âgées, « l’idée n’est pas d’augmenter les cotisations, les taxes », le financement de la perte d’autonomie reste l’une des grandes inconnues que devra trancher la concertation « grand âge et autonomie », pour sa source comme son périmètre. « On considère qu’il y quatre grands blocs à financer même si la réforme va majoritairement porter sur le domicile », concède Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa. « Pour autant, il faut financer un bloc d’encadrement des ratios de soignants en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), un bloc rénovation des Ehpad, un coût d’assurance maladie, et une aide à la solvabilisation des tarifs hébergement. Il faut voir où trouver cet argent. » Dans la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), répond Jérôme Guedj, membre du groupe de réflexion Matières grises. « Actuellement, les dépenses liées aux personnes âgées sont de l’ordre de 30 milliards, dont 24 de dépenses publiques (12 milliards pour l’assurance maladie, 9 milliards pour la perte d’autonomie, 3,5 milliards pour l’aide sociale à l’hébergement). Devant le Congrès, le Président a annoncé un surcoût compris entre 9 et 10 milliards d’euros. » Un coût supplémentaire, qui pourrait, selon l’ancien député socialiste, être couvert par le prélèvement créé par Alain Juppé en 1996 afin d’éponger la dette de sécurité sociale cumulée.
Le prélèvement, à obsolescence programmée supposée puisqu’il devait être supprimé au bout de 13 ans, est toujours en vigueur. « La caisse d’amortissement de la dette sociale avait 250 milliards de dette accumulée depuis 30 ans à rembourser », poursuit Jérôme Guedj. « Mais avec cet effort collectif et des taux d’intérêt faibles, elle sera remboursée au 1er janvier 2024. On peut donc honorer la promesse d’Alain Juppé en supprimant la CRDS, ou mobiliser ces financements, de 14 milliards d’euros. Recourir à ce financement n’exclut pas le recours à des ressources complémentaires comme la défection du patrimoine ou la mobilisation des mutuelles, et permet de mettre en place des recrutements complémentaires et une baisse du reste à charge. » La contribution présente par ailleurs l’avantage de porter sur tous les revenus sans distinction, au taux de 0,5 % : elle est à 69 % prélevée sur les revenus du travail, à 19 % sur les revenus de remplacement, et à 11 % sur les revenus du capital.
Mais, pour Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), l’équation n’est pas résolue pour autant. « Je ne reviens pas sur le fait que cette ressource n’est disponible qu’à partir de 2024, ni que ce n’est pas le moment d’annoncer aux Français le maintien d’un prélèvement obligatoire. On ne peut pas raisonner le financement de ce qui est un risque, et non une branche, sur la base d’une enveloppe réputée homogène. Sur le poste accompagnement, le compte n’y est pas, et il faut réfléchir collectivement pour savoir comment solvabiliser le “care”. » Marie-Anne Montchamp rejette ainsi deux impensés « pathogènes ». Le financement de la fonction présentielle, « qui se reporte de manière sauvage sur la tâche des personnels qui sont aujourd’hui payés seulement pour du soin ou de l’accompagnement médico-social », et le financement du logement, qui, à son sens, ne peut pas être pris en charge par la solidarité nationale, car cela « n’est pas dans le pacte républicain ». « Si vous pensez que la prise en charge améliorée quantitativement et qualitativement de la perte d’autonomie pourra se faire à iso-prélèvement, ou en mobilisant uniquement le patrimoine des personnes âgées, c’est un mensonge », s’emporte Jérôme Guedj. « La France est en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE pour la prise en charge de la perte d’autonomie. La montée en puissance de la dépense publique dans les années à venir peut être crédibilisée par ce rendez-vous en 2024. »
« Les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca), qui collectaient la taxe et fixaient les grandes orientations de formation, disparaissent le 31 janvier au profit des opérateurs de compétences (Opco) », annonce en préambule Florence Arnaiz-Maumé. « Nous sommes maintenant sept fédérations(1) qui nous regroupons pour créer un Opco santé médico-social. »
« Il nous manque la Fédération hospitalière de France », fait remarquer Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap), pour qui le desilotage découle de la nature de l’activité exercée. « Chaque secteur avait auparavant son Opca en fonction de sa nature : privé non lucratif, public… Avec les Opco, c’est une logique métier qui s’applique. Une aide-soignante, une infirmière, un médecin ne sont pas captifs d’un secteur et passent de l’un à l’autre. »
Une logique de métier, mais aussi de parcours, appuie Line Lartigue, directrice des politiques publiques et des réglementations sectorielles à l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), qui plaide pour penser l’Opco dans le cadre d’un parcours établissement-domicile, pour les professionnels comme pour les personnes. Mais le reste du secteur ne partage pas cet avis, avec comme résultat un éclatement des fédérations. « L’Union syndicale de la branche de l’aide à domicile a voté majoritairement en faveur de l’Opco “cohésion sociale”(2), quand nous affirmons qu’il faut faire partie d’un grand secteur santé-médico-social. » Et là où la Fédération française de services à la personne (Fedesap) milite pour un Opco « services de proximité ». « Dans cette réforme, il y a la tentation de mettre les services à la personne dans les services de proximité, en récupérant ceux destinés à la personne fragile dans le champ santé-médico-social », analyse Florence Arnaiz-Maumé, avant que Jean-Pierre Delfino, directeur général du fonds d’assurance formation Unifaf, ne résume les échéances à venir. « Le 1er février, le gouvernement rend un avis sur les propositions des partenaires sociaux, pour leur indiquer s’ils sont dans le bon Opco, et, si ce n’est pas le cas, les inciter à réouvrir des négociations. En avril, il réaffectera les branches professionnelles qui ont choisi la mauvaise porte dans le bon Opco. C’est à ce moment-là que leur périmètre sera définitivement connu. »
(1) Le Synerpa, l’Una, la Fehap, La Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (Unicancer), la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France (FHP), Nexem (voir ASH n° 3087 du 7-12-18).
(2) Elle est suivie par trois fédérations du champ associatif : Adessadomicile, l’Aide à domicile en milieu rural (ADMR), la Fédération des associations de l’aide familiale populaire (Fnaafp/CSF).