L’INVESTISSEMENT PUBLIC DANS LES DISPOSITIFS D’INSERTION SOCIALE permet-il à l’Etat de faire des économies et d’avoir un « retour sur investissement « ? La réponse est oui. En tout cas, c’est celle qui a été donnée le 6 décembre à l’Assemblée nationale lors d’un colloque, organisé par Martine Wonner, députée LREM du Bas-Rhin et vice-présidente de la commission des affaires sociales, sur le dispositif « Convergence » de l’association Emmaüs Défi(1). Expérimenté depuis 2012, celui-ci s’appuie sur une remobilisation des populations les plus éloignées de l’emploi via des chantiers d’insertion leur proposant un accompagnement renforcé et prolongé. De fait, les trois quarts des bénéficiaires ont été sans domicile fixe, dont la moitié pendant plus de deux ans, et cumulent plusieurs difficultés. « L’enjeu est de redonner confiance aux personnes. Pour cela, il faut prendre le temps de les laisser évoluer », souligne Sophie Roche, responsable de Convergence. Concrètement, cela signifie qu’elles sont suivies pendant deux à cinq ans par des équipes permanentes qui travaillent avec un réseau de partenaires (CAF, Pôle emploi, entreprises…). Point fort : les bénéficiaires continuent d’être soutenus un an après leur sortie du dispositif.
Une étude d’impact, basée sur l’année 2017 et 212 personnes accompagnées par deux chantiers d’insertion indique que leur parcours se stabilise autour de deux années en moyenne à l’issue desquelles 47 % ont retrouvé un emploi et 13 % un CDI. Par ailleurs, 31 % ont intégré un logement « durable » et 21 % une résidence sociale ou pension de famille. L’accès aux droits a été recouvré pour 75 % d’entre eux et trois bénéficiaires sur quatre ont repris leur santé en charge. Coût public du dispositif pour trois ans d’accompagnement ? 32 000 €. Sur les seuls volets « emploi » et « logement », Convergence génère un surcoût de 9 796 € contre 2 589 € pour un chantier classique, mais celui-ci est amorti au bout de 22 mois. Ainsi, selon l’économiste Philippe Lerouvillois du cabinet Ecota, qui a mené l’étude, le dispositif engendre une économie de 24 000 € par personne concernant l’emploi et de 3 700 € pour le logement. Ce sont autant de minima sociaux, d’indemnisations chômage, de frais d’accompagnement, d’hébergement d’urgence, de CMU-C… en moins que l’Etat n’a plus à financer et de recettes publiques en plus, liées aux cotisations sociales et à la TVA qu’une personne en activité paie.
En matière de santé, le gain est d’environ 400 € par bénéficiaire. Au total, une personne accompagnée par Convergence coûte 1 354 € à la société contre 25 000 € pour une personne non accompagnée. Et c’est sans compter le reste : « Nous n’avons pas mesuré les gains de bien-être subjectif associés aux gains de pouvoir d’achat et de justice sociale, commente Philippe Lerouvillois. Dans un contexte de “pauvrophobie” qui se développe, faire accepter aux citoyens le financement d’un dispositif comme celui-là en montrant les bénéfices est important. »
Selon Louis Gallois, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), ce résultat sur les coûts et bénéfices publics de l’investissement dans l’insertion sociale sont une évidence : « Le premier bilan du fonds d’expérimentation “zéro chômeur” montre que la privation d’emploi, pour l’ensemble de la société, est supérieure à un Smic brut annuel, soit 18 000 à 19 000 € par personne. Or, il y a trois millions de personnes concernées par le chômage de longue durée en France. » En Californie, une étude a démontré qu’un SDF engendrait une dépense publique d’un million de dollars en trois ans. « Les personnes à la rue ont souvent de graves problèmes de santé et se retrouvent aux urgences de l’hôpital, cela coûte très cher aux Etats-Unis. Si on les aide à se réinsérer, les coûts évités ne serait-ce que pour les soins et le logement sont énormes, précise Monika Queisser, experte en politique sociale à l’OCDE. L’analyse de cet accompagnement n’est pas seulement une question technique, c’est aussi un outil à la décision politique. »
Reste que ces évaluations ne sont pas nombreuses et qu’elles ont leurs limites. « On est encore loin d’avoir une méthode pour mesurer l’impact monétaire des mesures sociales au niveau local et national, reconnaît Emmanuel Gagneux, vice-président de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé. Pour avoir des mesures pertinentes, il faudrait pouvoir généraliser le modèle. Comment savoir si ce qui marche à un endroit va pouvoir être dupliqué sur tout le territoire ? » Louis Gallois demande qu’une étude soit réalisée par le ministère des Finances et l’inspection générale des affaires sociales, seul moyen d’avoir une vision objective de la réalité des expériences. Mais, pour l’heure, ses craintes sont ailleurs : « L’accompagnement, ça se paie. Il est important de le rappeler dans un contexte où les budgets sont à la baisse dans les centres d’hébergement, par exemple. » Autre bémol : ne pas réduire toutes les actions visant à insérer les populations les plus fragilisées à des questions de chiffres. « On s’adresse à des êtres humains, on ne peut pas faire du quantitatif pur, prévient le président de la FAS. L’estime de soi, la dignité, le sentiment d’être utile… c’est inquantifiable. » Il ne faudrait pas, non plus, que les calculs coût-bénéfices des politiques d’insertion sociale conduisent les structures d’accompagnement à sélectionner les publics et à choisir ceux qui ont le plus de capacités à rentrer dans les tableaux comptables. Autrement dit par Afaf Gabelotaud, adjointe à la mairie de Paris : « Nous avons besoin de ces évaluations mais les dispositifs d’insertion ne sont pas des entreprises privées. Il y a une multiplicité de situations, des parcours très complexes, il faut donc être prudent et rester présent avec tout le monde. »