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Les lanceurs d’alerte du social ont déjà le statut de salarié protégé

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Pour l’ancien juge du tribunal de Bobigny, le signalement de faits de violences ou d’agression est encadré et chacun devrait connaître les possibilités et les limites de ce droit.

« UNE AIDE-SOIGNANTE DE LA MAISON DE RETRAITE “LES OLIVIERS”, À NÎMES, avait dénoncé le 29 avril 2016 des actes de maltraitance sur une résidente de 93 ans. Elle travaillait dans cet Ehpad depuis six ans et demi. Licenciée, elle n’a toujours pas retrouvé d’emploi. En janvier 2018, les prud’hommes ont condamné l’établissement à lui payer 18 000 € d’indemnités ainsi que 6 000 € à Pôle emploi. Une autre jeune femme qui avait dénoncé sur une radio les mauvais traitements observés dans son institution a été licenciée alors qu’elle venait de signer son contrat de travail. Depuis, elle serait sans emploi pour avoir été mise sur une “liste noire”.

Le sort réservé à ces professionnels est choquant, parce qu’ils ne font que répondre aux injonctions légales qui pèsent sur tout citoyen, a fortiori sur tout professionnel. Il n’est pas inutile de les rappeler, en faisant un peu de droit pour mieux armer chacun. Ainsi, l’article 223-6 du code pénal, qui vise l’assistance à personne en péril, est on ne peut plus clair :

« Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. »

Une Obligation de moyens, pas de résulats

On ne demande pas au professionnel de jouer au héros mais, conscient d’un péril (le souci pour l’intégrité physique d’une personne jeune ou âgée, quelle qu’elle soit), il se doit, en agissant ou en parlant, de tenter de faire cesser cette situation, peu important qu’il soit tenu au secret professionnel. Et peu important qu’il y réussisse : il a une obligation de moyens – un devoir d’ingérence, dirait-on –, pas de résultats. La sanction encourue est sévère : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende. Plus que celle prévue pour la violation du secret professionnel (un an et 15 000 €), preuve de la hiérarchie que pose la loi : la sauvegarde de la personne passe bien avant la protection du secret de sa confidence. Le juge appréciera a posteriori quelle analyse l’intéressé avait pu faire de l’acuité du problème posé, sachant qu’on attend plus du professionnel, en l’espèce un salarié d’un Ehpad, que du simple quidam.

Doit-on rappeler aussi les textes sur la non-dénonciation de crime ? Et, déjà, l’article 434-1 du code pénal, plus général en matière criminelle, c’est-à-dire pour des cas gravissimes donc exceptionnelles :

« Le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. Sont exceptés des dispositions qui précèdent, sauf en ce qui concerne les crimes commis sur les mineurs de 15 ans :

1° les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints, de l’auteur ou du complice du crime ;

2° le conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui.

Sont également exceptées des dispositions du premier alinéa les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13. »

Ainsi, il n’y a pas d’obligation de dénoncer pour celui qui est tenu au secret professionnel, y compris pour le médecin. A tout le moins, une autorisation est donnée par la loi à ceux qui sont tenus au secret professionnel : s’ils parlent, ils violent l’interdit du secret professionnel, mais ils ne sont pas punissables au regard des raisons qui les ont motivés.

En revanche, l’article 434-3 du code pénal sur la non-dénonciation de privations, violences ou mauvais traitements, crimes ou délits pose une obligation de parler sans dispense pour ceux qui sont tenus au secret professionnel :

« Le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n’ont pas cessé est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. »

Très nettement, ce texte couvre les mauvais traitements à enfant, mais plus généralement les personnes âgées ou incapables de se défendre seules.

Les obligations étant posées, reste à savoir si le lanceur d’alerte, pour prendre l’expression désormais convenue, ne peut pas bénéficier sur le terrain du droit du travail de la protection qui lui est due. Nous l’avions obtenue en 2002 pour ceux qui dénonçaient les violences faites aux enfants dans les institutions après avoir constaté que de nombreuses salariés – souvent des femmes – avaient pâti de leur attitude courageuse : ostracisation, vexations, violences, sinon licenciement.

L’encouragement au signalement

L’article 226-14 du code pénal, in fine, encourage ceux qui informent les autorités : « Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi. »

Convaincu de l’intérêt de ce dispositif, le législateur n’a pas hésité à le reprendre et à le préciser dans l’article L. 313-24 du code de l’action sociale et des familles. Comme on peut en juger, cette protection juridique est particulièrement forte :

« Dans les établissements et services [sociaux et médico-sociaux], le fait qu’un salarié ou un agent a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant en matière d’embauche, de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire. En cas de licenciement, le juge peut prononcer la réintégration du salarié concerné si celui-ci le demande. »

En d’autres termes, non seulement le licenciement est illégal, mais réparation est due à l’intéressé pour le préjudice supporté. Ce texte vaut pour les structures qui accueillent des enfants, mais à y regarder de près ce texte vaut pour les Ehpad. En a-t-on vraiment pris conscience ?

Continuons de rassurer les lanceurs d’alerte : même si la justice, qui a ses exigences et ses contraintes, n’arrive pas à condamner les faits dont il s’agit, il n’y a pas de risque de condamnation pour dénonciation calomnieuse. L’article 226-10 du code pénal énonce :

« La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu’elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. […] En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci. »

La loi exige de la malignité de la part de celui qui dénonce à tort. Vouloir protéger des personnes âgées ou non ne relève pas de la volonté de nuire. Il manque bien un élément essentiel de l’infraction(1).

C’est donc non seulement tout à l’honneur des professionnels que de vouloir faire cesser, quitte à lever la chape du secret, les mauvaises attitudes personnelles ou institutionnelles dont ils ont connaissance, mais ils en ont aussi l’obligation. La négligeraient-ils qu’ils prendraient des risques avec la justice, leurs pairs et leur conscience. Certes, ce n’est pas sans conséquence dans un premier temps. On doit même relever que les magistrats, avec l’aval de la Cour de cassation, sont stricts – c’est le moins qu’on puisse dire – dans l’évaluation de l’autorisation de lever le secret(2), mais l’histoire judiciaire révèle que, si des parquets sont frileux pour être proches des institutions et des juges d’instruction froids, les juges du siège, au final, savent rendre justice aux lanceurs d’alerte.

On ne peut pas, on ne doit pas nier que la protection qui leur est due n’est pas encore à niveau. Le poids des employeurs publics ou privés reste fort, avec le souci de préserver coûte que coûte l’institution, et notamment ses équilibres financiers. Manquent encore à l’appui au droit le renfort de l’opinion et de sa capacité d’indignation et son refus des maltraitances institutionnelles. Ainsi l’acuité visuelle sur ce qui se joue dans les Ehpad est récente et doit encore être confortée pour séparer le bon grain de l’ivraie. En d’autres termes, parler n’est pas sans risque pour le ­professionnel. Mais faut-il rappeler que, désormais, travail social rime avec professionnalisé et responsabilité ? »

Contact : jprosen@outlook.fr

Notes

(1) Le tribunal a relaxé les salariées des plaintes portées contre elles par les responsables de l’institut Moussaron accueillant des enfants handicapés dans le Gers.

(2) « Résister à la violence institutionnelle », Jean-Luc Rongé, in Journal du droit des jeunes nos 368, 369 et 370, oct., nov. et déc. 2017.

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