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“Aider la personne alcoolique à reprendre sa vie en main”

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Dans son livre « Vivre après l’alcool », le psychiatre alcoologue Henri Gomez donne des pistes pour aider les personnes alcoolodépendantes à reprendre en main leur existence et à assumer leur singularité. Un travail qui s’appuie sur une approche spécifique et un accompagnement adapté.
Quelle est la différence entre une consommation excessive d’alcool et la dépendance ?

La distinction s’établit à partir du dialogue avec le patient, car la frontière n’est pas réellement tranchée. L’abus d’alcool ne doit pas être banalisé dès lors qu’il se répète et se caractérise par une perte de contrôle pouvant engendrer des trous noirs, de l’agressivité, des accidents… Aujourd’hui, les habitudes d’excès se prennent tôt, souvent dès le collège. L’alcool festif est un phénomène massif chez les jeunes, un « habitus social générationnel », pour parler comme Bourdieu. Il s’apparente trop souvent à la recherche d’ivresses, de changement d’état. Il est difficile de savoir combien, parmi eux, deviendront alcoolodépendants. Tout dépend des facteurs individuels et des environnements affectifs, familiaux, sociaux, culturels associés… Les jeunes les plus vulnérables, de ces points de vue, sont les plus à risque. Le processus de dépendance est complexe, et il n’est pas nécessaire de l’attendre pour se faire aider. Dans ce cas, l’accompagnement concernera davantage la gestion des moments de fragilité que la consommation d’alcool, qui peut rester de « bon aloi » dans des contextes cadrés. Il y a vingt ans, les patients arrivaient dans nos cabinets vers 45 ans ; actuellement, l’entrée dans la pathologie s’observe dès l’adolescence.

Qu’est-ce qui décide une personne à se faire aider ?

Il y a d’abord l’alerte donnée par l’environnement. Elle n’est pas forcément déterminante car elle ne relève pas du sujet lui-même, c’est alors une démarche par réaction. L’exemple le plus typique est l’obligation de soins ordonnée par décision de justice. Ensuite, dans beaucoup de cas, il y a une prise de conscience de la personne. Elle sait qu’elle boit trop, qu’elle ne sait plus se limiter, sans pour autant avoir des signes extérieurs d’alcoolisme. Le risque, dans cette situation, c’est que ce soit l’environnement familial ou social qui mette en jeu le déni, en rassurant à tort le patient qui cherche à se faire aider. Le déclic, souvent décisif, relève de l’instinct de survie : le sujet associe enfin ses souffrances ou ses difficultés à une bouteille.

En quoi votre approche est-elle spécifique ?

Son originalité est liée à mon parcours professionnel. J’ai été gastro-entérologue. Cela m’a ainsi mis en présence de patients sensiblement différents de ceux rencontrés dans les structures d’addictologie ou de psychiatrie, souvent déjà marginalisés. J’ai compris avec eux que l’offre de soins traditionnelle, qui repose sur un séjour de plusieurs semaines en cure, n’était pas forcément efficace. Le sevrage n’est qu’une entrée dans le soin. Pour les personnes vraiment dépendantes, une hospitalisation de moins de cinq jours peut suffire à assurer une désalcoolisation sécurisée et un début d’accompagnement. La présence, à cette occasion, de médecins, de thérapeutes, d’aidants – c’est-à-dire d’anciens alcooliques devenus sobres – peut permettre de faire passer des messages et de faire comprendre à la personne qu’elle aura besoin d’un suivi individuel ou collectif. Le travail de groupe est quelque chose que j’ai beaucoup développé et qui s’inspire d’un acquis de la culture alcoologique que sont les groupes d’anciens buveurs. La différence est que j’y ai adjoint des soignants. Mon idée est de proposer un soin personnalisé, simple – bien que dense dans ses contenus – et peu coûteux.

En quoi consiste l’« entretien d’histoire » dont vous parlez dans votre livre ?

Quand un patient vient vous voir pour la première fois, vous ne savez rien de lui. Pour ma part, je suis incapable d’aider une personne si je ne la connais pas. A l’issue du premier rendez-vous, je propose un « entretien d’histoire » quinze jours plus tard pour amorcer la relation d’aide. Dans l’intervalle, je lui propose des éléments susceptibles de développer sa motivation et la connaissance de sa problématique. J’essaie de créer un climat propice à l’empathie, dans lequel il se sente en confiance. Nous sommes confrontés à une pathologie complexe et grave où le sujet doit devenir l’acteur de son soin. Pendant cet « entretien d’histoire », je prends des notes, puis j’envoie une synthèse au patient. Je joue la carte de la connaissance partagée. Cela enlève beaucoup de culpabilité de savoir que ce n’est pas par manque de volonté ou par vice, par exemple, que l’on devient alcoolodépendant. A partir de là, le soin peut commencer à s’organiser. La logique est nullement institutionnelle mais déterminée par les possibilités intellectuelles, personnelles, familiales… J’adapte l’accompagnement. Cela peut induire une hospitalisation brève, mais celle-ci est devenue marginale dans ma pratique. J’envoie encore plus rarement les patients en cure ou en postcure.

Comment les accompagnez-vous ?

Le réalisme, pour les personnes alcoolodépendantes, est d’abandonner l’illusion d’une consommation « contrôlée » alors que c’est ce qu’ils n’ont jamais recherché. Lorsque les personnes travaillent, qu’elles ont une vie affective et sociale, l’accompagnement peut se résumer à un suivi individuel régulier. Mais pour la plupart des patients, d’autres outils sont utiles, comme les groupes de paroles fondés sur des pairs qui vont contribuer à les déculpabiliser et à les soutenir. C’est un groupe de réparation narcissique. Pour ma part, j’utilise un groupe de paroles « intégratif », que j’anime avec un autre soignant. Il correspond à un référentiel précis. On y aborde des thématiques que l’on repère en consultation et qui handicapent les patients. Ce travail leur permet d’apprendre ou de réapprendre à élaborer. On voit des changements vraiment spectaculaires en quelques mois.

Est-ce difficile de vivre après l’alcool ?

Ce n’est pas si facile que cela, car, en arrêtant de boire, on prend le chemin d’une singularité sociale. Pour vivre cette différence, certains doivent parfois rester en lien avec une association d’anciens alcooliques ou avec des soignants. Des patients viennent me voir tous les six mois au lieu d’aller chez leur généraliste car ils savent que, dans mon cabinet, ils sont dans un espace qui leur appartient. La première clé pour vivre après l’alcool est de revoir son rapport au temps, en ne se souciant que d’une chose : réussir le mieux possible sa journée. Le deuxième axe est de redonner du sens à sa vie, ce qui n’est pas évident : souvent, l’alcool a détruit beaucoup de choses. Les évolutions peuvent demander beaucoup de temps, mais un travail sur soi n’est jamais perdu pour reprendre sa vie en main.

Psychiatre alcoologue

à Toulouse, Henri Gomez est responsable de l’Area ­(Association de recherche clinique et d’entraide en alcoologie, en addictologie et en psychopathologie) et membre de la Société française d’alcoologie (SFA). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier est Vivre après l’alcool (éd. érès, 2018).

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