« Une occasion unique » pour garantir l’intérêt supérieur de l’enfant, et mettre un terme au « traitement inhumain et dégradant » que constitue leur enfermement : pour les seize associations qui ont interpellé les députés, le 15 novembre, l’espoir soulevé par le groupe de travail parlementaire censé formuler une proposition de loi sur la question, est immense.
A quelques jours de la Journée internationale des droits de l’enfant, les associations, dont la Cimade, Amnesty International France, ou encore France terre d’asile sont revenues sur la situation des enfants accompagnés ou non, retenus dans des lieux de privation de liberté en vue de leur expulsion. On parle ici des centres de rétention administrative (CRA), dont neuf sont actuellement habilités à recevoir des familles, mais également des 98 zones d’attente que compte la France. Situées au pied des pistes des aéroports, près des ports ou des gares qui desservent des destinations internationales, elles auraient accueilli plus de 200 mineurs isolés en 2017, et un nombre important de familles avec enfants.
Le nombre d’enfants en centre de rétention est en constante hausse, passant de 45 en 2014 à 304 en 2017. Pour les quatre premiers mois de l’année 2018, 77 enfants ont déjà été placés en CRA. Et si la durée d’enfermement est le plus souvent brève, elle a pu se prolonger jusqu’à atteindre deux semaines, avec d’importantes répercussions sur la santé et le développement des enfants (voir interview page 9.).
La problématique n’est pas nouvelle. En 2012, lors de la campagne présidentielle, François Hollande avait fait de la fin de l’enfermement des enfants une promesse de campagne. Au-delà de la volonté politique, c’est aussi une première condamnation par la Cour européenne des droits de l’Homme, survenue en janvier 2012 pour le placement de deux enfants, âgés de 5 mois et 3 ans, dans un CRA durant quinze jours, qui a contribué à changer la donne. L’enfermement des familles avec enfants, était source, pour l’instance, d’une violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants), 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 8 (droit au respect de la vie familiale) de la Convention européenne des droits de l’Homme. Dans une circulaire adressée aux préfets, en juillet 2012, le gouvernement a donné pour consigne de privilégier l’assignation à résidence plutôt que le placement en rétention. En un an, le nombre d’enfants en CRA a chuté de plus de 300 à 40. « On peut dire qu’avant 2012, il n’y avait rien pour les enfants dans les CRA. Maintenant c’est une obligation d’avoir des centres habilités avec un certain nombre d’équipement pour accueillir les familles », explique Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
L’aménagement de certains centres de rétention n’a pourtant pas suffi à empêcher la France de faire l’objet de cinq nouvelles condamnations en 2016. Quant à la circulaire datant de 2012, elle a eu des effets pour le moins restreint dans le temps. Ainsi, dès 2014, le nombre d’enfants placés en rétention a augmenté inexorablement. « La loi indique que le placement en rétention est possible s’il préserve l’intéressé et le mineur qui l’accompagne des contraintes liées aux nécessités du transfert. C’est tellement vague que cela permet de le faire à chaque fois. C’est bien pour cela qu’on souhaite que la loi l’interdise complètement », estime Adeline Hazan.
D’autant que des alternatives existent et sont déjà mises en place dans la majorité des départements. « En 2017 et 2018, trois préfectures [celles de Paris, de Moselle et du Doubs, NDLR], dont deux ne sont à l’évidence pas les plus exposées aux flux migratoires, ont été à l’origine de plus de la moitié des placements en rétention de familles. Parallèlement, le plus grand nombre des préfectures ne procède jamais à des placements de familles en rétention, sans que l’on observe pour autant qu’elles échouent dans leur politique d’éloignement », note la contrôleure générale dans un avis publié en juin dernier.
Si Adeline Hazan aimerait voir disparaître la rétention des enfants au profit de l’assignation à résidence en dernier ressort, ce n’est pas le cas des associations, qui soulignaient dans leur communiqué l’impact de cette mesure sur les enfants. « L’hypothèse d’une expulsion permanente est de nature à avoir des effets extrêmement anxiogènes, expliquent-elles. L’assignation ne préserve pas non plus les enfants du risque d’être confrontés à des événements traumatisants y compris parfois à la violence des interpellations et à celle de l’embarquement sous contrainte de leurs parents. »
« Il y a aujourd’hui toute une palette d’outils plus ou moins coercitifs qui existent déjà : il y a d’abord la régularisation car certaines familles sont visées par des expulsions alors qu’elles devraient avoir droit au séjour ; il y a également la possibilité de proposer un départ volontaire. Enfin, l’assignation à résidence, où les personnes sont contrôlées plus ou moins longtemps, puis embarquées pour une expulsion », explique David Rohi, responsable de la rétention à la Cimade.
Selon lui, si la rétention des enfants est aujourd’hui davantage utilisée, c’est surtout en raison de l’orientation politique actuelle qui privilégie la rétention en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. En atteste la décision d’augmenter de 200 le nombre de places en CRA, en octobre 2017. Une volonté réaffirmée récemment par le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, lors de la présentation du projet de budget 2019. « L’entrée en fonction de ce gouvernement a marqué un tournant » dans la lutte contre l’immigration irrégulière, « avec une reprise nette des éloignements », s’était-il félicité, évoquant également un plan d’investissement dans les CRA à hauteur de 48 millions d’euros pour 2019.
« C’est dans cette dynamique que l’on constate l’augmentation du nombre de personnes en centres de rétention et, par conséquent, du nombre de familles enfermées », poursuit David Rohi. Pour l’association, comme pour la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, c’est la question de l’efficacité des mesures d’éloignement qui prime le respect des droits, et notamment de l’intérêt supérieur de l’enfant. « Les préfectures essaient d’éviter le contrôle des juges car dans la plupart des cas l’enfermement est abusif, parce qu’elles n’ont pas essayé les autres méthodes avant de faire appel à cette extrémité. La loi dit quand même que les préfectures doivent utiliser la rétention en dernier ressort, explique-t-il. Par conséquent, la majorité des personnes qui ne sont pas expulsées suffisamment vite peuvent bénéficier du contrôle d’un juge et être libérées. »
Un constat partagé par Laure Blondel, codirectrice de l’Anafé, association qui porte assistance aux étrangers bloqués aux frontières : « On a le sentiment d’une folie du tout contrôle, du tout répressif, avec des réformes très rapprochées (2011, 2015, 2016, 2017 votée en 2018), qui à chaque fois ne prennent pas en compte les revendications de la société civile. Finalement, le seul contrôle qui ne soit pas prévu par les textes, c’est le respect des droits. » Car aux frontières, la situation semble être encore plus problématique. Pour l’Anafé, qui accompagne chaque année une soixantaine de familles avec enfants et qui recense plus de 200 mineurs isolés en zones d’attente, le quotidien de ces mineurs rime avec peu de droits, peu d’informations, et des problèmes d’interprétariat. Comme les centres de rétention, les zones d’attente relèvent pour l’association de l’univers carcéral, avec les doubles rangées de barbelés, les caméras et la présence constante de la police.
« Ces dernières années, on assiste à une accélération des recommandations au niveau international, européen et national qui demandent à la France de cesser d’enfermer les mineurs et il est temps que le gouvernement en prenne acte », estime Laure Blondel. Ce qui pourrait être effectif avec la proposition de loi du groupe de travail parlementaire formé à l’issue de l’examen du projet de loi « asile et immigration », qui devrait être rendue publique au premier trimestre 2019. S’intéressant aux publics vulnérables (femmes enceintes, familles, personnes handicapées ou atteintes d’une maladie particulière), le groupe de travail ne souhaite pour le moment écarter aucune piste. Il pourrait s’agir de créer des locaux différenciés pour les personnes vulnérables, voire d’interdire leur placement en rétention. « On sera en capacité de discuter avec l’Etat d’autant plus si nos propositions sont complètes, crédibles, opérationnelles, et permettent de trouver l’équilibre entre l’intérêt de l’enfant, celui des personnes vulnérables et l’éloignement des personnes en situation irrégulière lorsqu’elles ont été déboutées du droit d’asile par exemple », explique Florent Boudié, député LREM à la tête du groupe de travail.
Du côté des associations, on exprime autant de l’espoir que de l’inquiétude : ces trois derniers mois, des séparations de familles ont été observées par la Cimade. « Au moment de l’interpellation, la police a fait pression sur les parents, en leur disant : “Soit vous allez tous en rétention, soit vous confiez votre enfant à un tiers, soit on le place à l’ASE !” Décider d’agir ainsi, ce serait remplacer un traumatisme par un autre », souligne David Rohi.
La rétention des enfants dans ce département d’outre-mer est incomparable à celle pratiquée en métropole. Elle a pu atteindre jusqu’à 6 000 mineurs retenus sous la présidence de Nicolas Sarkozy, avant de descendre à 4 000 en 2016. La tendance est cependant à la baisse, passant à 2 600 enfants retenus en 2017, et 700 pour les six premiers mois de l’année 2018. Les violations des droits y seraient encore massives, selon David Rohi, responsable de la rétention à la Cimade.