UN CAP SYMBOLIQUE A ÉTÉ FRANCHI. En 2018, la barre des 500 000 demandeurs d’emploi handicapés inscrits à Pôle emploi a été dépassée, pour s’établir à 514 000 personnes, soit une hausse de 3,5 % sur un an. Le taux de chômage, autour de 19 %, est quant à lui toujours deux fois supérieur à la moyenne nationale. « Il est urgent de se mobiliser et d’avoir des statistiques officielles complètes sur la situation de l’emploi des hommes et des femmes handicapés », a souligné Alain Fournier, vice-président de l’association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées Ladapt, lors de la conférence d’ouverture, le 19 novembre, de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (Seep), dont la thématique principale était la situation des femmes handicapées dans l’emploi. Autre signe préoccupant : en 2017, avec 21,8 % des saisines, le handicap est passé en première position, devant l’origine, des motifs de saisine du défenseur des droits pour des faits de discrimination. Le chemin de l’insertion professionnelle – et d’autant plus celui de l’inclusion professionnelle – des personnes handicapées reste donc parsemé d’embûches… « La mobilisation doit être générale afin de tendre vers une société plus inclusive pour les travailleurs handicapés, et de lever tous les verrous lors de leur parcours professionnel, a commenté le ministère du Travail. En 2018, nous avons mis en place les outils. En 2019, chacun doit s’en saisir. »
Conduite au premier semestre 2018, la première phase de la concertation sur la politique d’emploi des travailleurs handicapés lancée par le gouvernement a été centrée sur la rénovation de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH). Une mesure qui a trouvé sa traduction dans la loi du 5 septembre 2018 relative à la liberté de choisir son avenir professionnel. La seconde étape de la concertation, menée de juin à septembre, porte à présent sur l’offre de services « destinée à garantir et à sécuriser les parcours vers et dans l’emploi des travailleurs handicapés et d’appuyer les employeurs dans cette politique ». L’un des objectifs visés consiste à « simplifier le fonctionnement du service public de l’emploi au travers d’une coordination renforcée et d’un rapprochement de Pôle emploi et des Cap emploi », a précisé le deuxième comité interministériel du handicap (CIH) réuni le 25 octobre par le Premier ministre.
Une première étape vers la simplification avait déjà été franchie le 1er janvier 2018. A cette date, les missions des organismes de placement spécialisés (OPS) ont été élargies – par la loi « El Khomri » d’août 2016 – au maintien dans l’emploi. Concrètement, les Cap emploi et les Sameth (services d’aide au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés) ont fusionné et forment depuis, dans chaque département, un guichet unique pour accéder aux services d’aide à l’embauche et au maintien dans l’emploi des personnes handicapées. « La majorité du réseau, soit 70 % des Cap emploi, portait déjà les missions de maintien dans l’emploi. Cette fusion a permis aux travailleurs handicapés d’avoir une réponse plus pertinente en termes d’accompagnement et aux équipes de monter en compétences », se satisfait Jean-Pierre Benazet, président du réseau Cheops (Conseil national handicap et emploi des organismes de placement spécialisés), qui regroupe 90 % des associations gestionnaires Cap emploi-Sameth. « Cette nouvelle offre de services apporte aux personnes handicapées une plus grande transparence dans la gestion de leur parcours professionnel et des actions que l’on peut mobiliser et qui construisent le plan d’action. De ce fait, pour nous, une palette d’outils et de prestations beaucoup plus large. On a tout sous le même toit », témoigne Agnès Gerber-Haupert, directrice générale d’Action & Compétence, organisme gestionnaire des services Alther 68-67, Sameth 68-67 et Cap emploi 68-67 (Alsace). « Il n’y a plus de ruptures de parcours professionnel des personnes handicapées, ajoute-t-elle. Nous pouvons travailler davantage encore en termes de précocité, c’est-à-dire se poser les bonnes questions au bon moment avec le bénéficiaire, notamment pour les projets de reconversion. Avant la fusion, nous étions contraints de tenir compte de la temporalité des transferts de dossiers entre les deux institutions. »
De l’avis de Jean-Pierre Benazet, cette logique de guichet unique devrait largement dépasser la fusion des Cap emploi et des Sameth et être la réponse de proximité sur tous les territoires. « Il faudrait avoir du côté de Pôle emploi tout ce qui relève du droit public classique. Et pour ce qui relève du droit public “renforcé” ou “compensé”, on pourrait faire appel aux Cap emploi », explique-t-il. Le président du Cheops pointe du doigt « la multitude d’intervenants » dans le secteur, « les actions qui se chevauchent », « les mesures qui bougent »… « On ne sait plus qui fait quoi. On a croisé récemment des chefs d’entreprise qui nous disaient qu’il faudrait un lieu unique pour l’accès à l’information », explique-t-il. La Fnath (Association des accidentés de la vie), qui a présenté, le 5 novembre dernier, les enseignements de son Observatoire des parcours professionnels des victimes du travail et personnes handicapées, note également « une absence d’informations globales » et « la méconnaissance du rôle des différents acteurs » chez les personnes handicapées. « La question récurrente porte sur la distinction entre les cas pour lesquels il convient de s’adresser à Pôle emploi ou aux Cap emploi », souligne l’Observatoire. Et d’ajouter : « Des travailleurs handicapés, qui s’imaginent aussi souvent que les Cap emploi vont de fait et quasi automatiquement leur trouver un travail, ont exprimé leur déception quant à cet accompagnement, dont la réalité et l’efficacité ne sont pas non plus homogènes sur l’ensemble du territoire. »
Depuis la signature d’un accord de « partenariat renforcé » entre Pôle emploi et les Cap emploi, en 2015, les deux réseaux ont renforcé leur complémentarité. Un tandem qui, toutefois, n’a pas convaincu tout le monde… Dans son rapport « Evaluation des Cap emploi et de l’accompagnement vers l’emploi des travailleurs handicapés chômeurs de longue durée », rendu public, le 5 février 2018, l’Igas (inspection générale des affaires sociales) jugeait que le service public de l’emploi (SPE) n’était pas « organisé de manière optimale » pour prendre en charge ces publics, qui sont suivis par Pôle emploi pour 73 % d’entre eux, par les Cap emploi pour 23 % et par les missions locales pour moins de 4 %. La mission recommandait alors que les Cap emploi se spécialisent dans la prise en charge des situations les plus difficiles et préconisait également une montée en compétence de Pôle emploi dans l’accompagnement des personnes handicapées. A l’instar du rapport de l’Igas, Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), suggérait, dans son rapport dédié à la situation des personnes handicapées dans l’emploi, rendu en juin 2018, de renforcer la spécialisation des organismes de placement spécialisés sur les personnes ayant les situations les plus lourdes ou les plus complexes.
« La gestion de situations complexes et de handicaps complexes, nous la faisons déjà, et cela figure, de fait, dans nos conventions, insiste Agnès Gerber-Haupert. Une situation est jugée complexe car elle a des origines multiples : la nature du handicap, le faible niveau de qualification, le niveau des compétences de base, l’évolution du contexte professionnel, l’incidence des stéréotypes, le déni du handicap, les freins sociaux, la complexité des métiers visés et l’adaptation du métier aux particularités du handicap – un autiste pharmacien, un médecin avec des particularités sensorielles et intellectuelles, une déficience sensorielle avec des métiers mobilisant les sens (vue, audition) impliquant l’adaptation du poste de travail, le transfert de compétences professionnels et gestes professionnels vers un autre métiers afin de ne pas perdre les acquis en raison du handicap pour une personne de faible niveau de qualification, la limite de l’adaptation possible du poste de travail afin de compenser le handicap face à une maladie évolutive… Pour apporter une réponse aux situations complexes, il faut un accompagnement durable, renforcé, adapté et personnalisé par une équipe pluridisciplinaire comprenant des spécialistes en fonction des particularités. Ce qui différencie les Cap emploi des acteurs de droit commun est notre articulation en tant qu’acteur spécialisé avec le droit commun et notre maîtrise du réseau et nos partenariats avec le secteur médico-social (SAVS, Samsah, Esat, EA, CRA, psychiatrie…). »
« Si on veut travailler durablement avec les employeurs, les Cap emploi ne peuvent pas se limiter aux situations complexes, poursuit Jean-Pierre Benazet. L’entreprise a besoin d’être accompagnée, tutorée. Quand les employeurs bénéficient d’un accompagnement, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas réticents à embaucher des personnes handicapées. » « Mais toutes les personnes handicapées qui sont dans les fichiers de Pôle emploi ne sont pas suivies par les Cap emploi. On pourrait rendre ce secteur beaucoup plus efficient. Pour cela, il y a une définition qui pourrait être simple : l’Etat définit la politique, les financeurs se chargent de la mise en œuvre stratégique et les opérationnels, Pôle emploi et les Cap emploi, agissent en complémentarité. Des exemples en Belgique montrent des résultats intéressants. A quel niveau une mobilisation de type Pôle emploi suffit ? A quel niveau une mobilisation de type Cap emploi est plutôt nécessaire ? Cette orientation vers Pôle emploi ou vers un Cap emploi pourrait se faire en fonction de critères d’orientation plus précis. Une réflexion est en cours sur ce sujet au niveau national », ajoute le président du réseau Cheops, tout en reconnaissant la nécessité d’une montée en expertise des Cap emploi sur certains territoires. Les modalités de mise en œuvre de cette coordination renforcée entre Pôle emploi et les Cap emploi seront arbitrées au début 2019, pour une mise en œuvre à compter du 1er janvier 2020, a précisé le comité interministériel du handicap.
Actuellement, Pôle emploi teste sur 13 sites pilotes une offre de services pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi handicapés, avec « des conseillers dédiés », « un accompagnement renforcé des entreprises » et de nouvelles modalités de collaboration avec les Cap emploi. Ces derniers ont également engagé des expérimentations dans trois départements. En Corse et dans le Rhône, l’objectif est de tester un partenariat entre les deux acteurs. « La proposition consiste à intervenir en complémentarité et à la demande de Pôle emploi lorsque cela est nécessaire pour faciliter le parcours de la personne, le raccourcir et le sécuriser. Ces accompagnements concernent des demandeurs d’emploi qui n’ont pas été orientés vers l’OPS dans le cadre du projet local de coopération et sont accompagnés par Pôle emploi », explique le réseau Cheops. La troisième expérimentation, dans le Tarn-et-Garonne, consiste en une plateforme de services intégrés d’insertion professionnelle, à l’initiative « de l’Adiad, porteur du Cap emploi 82-31 Nord, et de l’Adapei, regroupant des établissements médico-sociaux, dont des Esat, sur le territoire ».