Ces chiffres ne me surprennent pas mais ils devraient plutôt nous alerter. Le sujet n’est pas de pointer du doigt ces « vilaines » familles qui maltraitent leurs proches âgés ou handicapés. La question qu’il est important de se poser est de savoir quels sont les prérequis pour que cette aidance à l’autre se fasse dans des conditions acceptables pour l’aidant et des conditions correctes pour la personne aidée par un proche.
Aujourd’hui, il y a une pression morale extrêmement forte sur les familles, et particulièrement sur les femmes. Ces dernières étaient souvent sans activité avant les années 1960, elles pouvaient ainsi prendre en charge les grands-parents quand ils n’allaient pas bien, mais les choses ont changé depuis. Aujourd’hui, 67 % d’entre elles travaillent, elles cherchent donc des solutions pour accompagner l’autre : trouver des services de soins infirmiers, des services d’aide à domicile, le kinésithérapeute, le rééducateur… Et trop souvent, on dit « aide, mon brave, je t’aiderai à aider ». Il faut changer de positionnement, on en a marre de cette pression morale. Ce sont ainsi des situations qui génèrent de la maltraitance.
Les familles sont encouragées à s’occuper de leurs proches âgés ou handicapés. On leur dit que leur sacrifice est magnifique mais on met ces personnes dans des situations impossibles. Elles restent à la maison et font tout du sol au plafond, en n’oubliant pas la toilette intime, donner à manger, changer les couches… Aujourd’hui, on nous dit que c’est aux aidants de faire les soins. Mais depuis quand je sais surveiller les escarres de mes parents, c’est quoi cette histoire ?… La situation est la même quand une femme ou un fils doit réaliser la toilette intime de son mari ou de son père devenu incontinent, c’est juste insupportable. De plus, la personne âgée ou l’adulte handicapé n’a pas forcément envie que cela soit ses proches qui lui prodiguent les soins.
Soyons réalistes, faisons de la prévention, travaillons en amont sur les conditions du vivre ensemble. Il faut pouvoir estimer le niveau d’aide que le proche peut apporter sans y perdre sa vie, son âme, son sommeil, son alimentation, ses relations sociales… Soyons courageux !
La maltraitance est consubstantielle à la dépendance, il faut par conséquent agir en prévention et ne pas attendre l’acte de maltraitance. On connaît depuis extrêmement longtemps les facteurs qui amènent à des situations à risque de maltraitance, on a d’ailleurs aujourd’hui des indicateurs internationaux sur le sujet. Ainsi, l’incontinence, l’isolement, la cohabitation d’une vieille personne malade avec une fille ou un fils en difficulté sociale, avec des problèmes d’alcoolémie ou psychiatriques, en font partie. Dans tous les cas, l’intervention des services à domicile est essentielle car c’est une présence dans la cellule familiale qui permet que l’aidant ne se sente pas contraint. De plus, les intervenants professionnels assurent également une vigilance concernant l’aidant. Mais le problème est que le secteur de l’aide et des soins à domicile est saturé, ils ont de moins en moins de temps pour leurs missions et cela se répercute sur l’aidant.
Aujourd’hui, il y a des solutions pour que la maltraitance n’existe pas, il y a des conditions pour que le vivre à domicile soit possible. La première est le véritable assentiment de la personne concernée, la deuxième est que les proches soient en capacité de le faire sans s’épuiser. La suivante est que l’environnement médical valide le projet de vivre à domicile avec la participation des proches aidants et d’intervenants professionnels. La dernière est que cela soit financièrement abordable. Quand toutes ces conditions sont réunies, on évite un certain nombre de risques de maltraitance car il n’y a pas des bons et des méchants aidants, il y a seulement des conditions dans lesquelles les gens ne peuvent pas survivre.