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“Pour les nouveaux directeurs, la priorité est la performance économique”

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Khaled Saboune a récemment corédigé un article intitulé « Contribution à l’étude de la perception de la performance sociale en Ehpad ». Il s’agit d’une enquête menée dans un Ehpad à but lucratif qui montre les difficultés liées à la notion de « performance sociale », telles que l’absence de communication entre salariés et encadrants, le manque de reconnaissance ou encore des conditions de travail difficiles. Il nous en détaille les grandes lignes.
Qu’est-ce que la performance sociale, et Quelle est sa particularité en Ehpad ?

Ces dernières années, les indicateurs sociaux sont alarmants. Il y a de plus en plus d’absentéisme, d’accidents du travail, de burn-out, etc. On observe aussi de plus en plus de conflits entre les salariés et les directions d’établissements. C’est pourquoi on a commencé à s’intéresser à la notion de « performance sociale », à savoir comment prendre soin de l’homme au travail, de ses collaborateurs. Et la particularité d’étudier la performance sociale en Ehpad est que les salariés y ont des conditions de travail difficiles. Il y a des conflits de valeurs : les salariés aimeraient bien prendre soin convenablement des résidents, mais ce n’est pas possible en raison du manque de moyens. Il y a aussi une forte charge émotionnelle. Les équipes acceptent ces conditions mais attendent, en retour, de la direction de pouvoir bénéficier d’une relation de proximité, d’échanges simplifiés. Ce qui est rarement le cas. Enfin, la performance sociale en Ehpad, c’est l’écoute, la communication, les échanges, la reconnaissance, le respect, et surtout donner du sens au travail de chacun. Expliquer la valeur ajoutée de chacun, dire ce que chacun apporte aux résidents et à l’établissement.

Quel est, pour un Ehpad, l’enjeu de cette performance sociale ? Quel en est le gain pour la direction ?

De nombreux établissements ne sont pas performants sur le plan social. Parmi les mutations du secteur depuis 2002, il y a l’augmentation de la charge de travail. Cela concerne aussi bien les équipes de terrain que les managers. La nouvelle génération de directeurs a moins le temps de prendre soin des collaborateurs, en raison d’une charge de travail administrative trop importante. On parle alors d’un manager « empêché », autrement dit qui a envie de prendre soin de ses collaborateurs mais ne peut pas en raison de sa charge de travail administrative. Dans le secteur médico-social, il y a aussi le manager « renoncé », ui a le temps d’écouter, d’échanger avec ses collaborateurs, mais ne le fait pas car ce n’est pas son job, ce n’est pas dans ses attributions. Pour ces deux raisons, malheureusement, peu d’établissements prennent soin de leurs collaborateurs. Dans le secteur du médico-social, le métier de manager n’est pas facile. Il doit répondre aux attentes des différentes parties prenantes (salariés, direction régionale, autorités de tutelle, etc.). A un moment donné, il ne peut pas tout faire. Il faut choisir. Or leur intérêt premier est de répondre aux attentes des autorités de tutelle (agence régionale de santé et conseil départemental) afin d’éviter tout conflit. Les salariés sont la dernière des priorités. Pourtant, la direction, le manager auraient tout intérêt à prendre soin de leur bien-être, au regard du coût caché du mal-être au travail, de l’absentéisme, du burn-out… Un établissement médico-social a des objectifs à atteindre. Pour cela, il faut avoir des salariés motivés et en bonne santé, qui vont faire de leur mieux. Or, si vous avez des salariés régulièrement absents, souffrants, vous aurez du mal à réaliser ces objectifs.

Pourquoi partir du postulat qu’il y a nécessairement des conflits ou des tensions de valeurs entre la direction et les équipes de terrain ?

Aujourd’hui, le profil d’un manager a évolué. Avant, le directeur d’Ehpad était un ancien infirmier, une ancienne aide-soignante, quelqu’un qui venait du terrain et connaissait le travail effectué par les équipes et leurs difficultés. Maintenant, avec les différentes réformes, c’est beaucoup plus exigeant : pour pouvoir diriger un établissement, il faut avoir un diplôme de niveau I (bac + 5 et plus). La nouvelle génération de directeurs ne connaît pas nécessairement le travail des équipes et leurs difficultés. Certains Ehpad à but lucratif font parfois appel à des managers venus d’autres secteurs (hôtellerie, grande distribution), qui n’ont pas forcément les valeurs du secteur. Tout cela peut engendrer des tensions de valeurs, des conflits.

Pour les équipes de terrain, le plus important demeure la qualité de la prise en charge du résident. En revanche, ce qui est prioritaire pour les nouveaux directeurs n’est pas forcément la performance sociale, ni la qualité de la prise en charge des résidents, mais plutôt la performance économique. Dans le secteur associatif et public, il est important d’avoir toujours un équilibre budgétaire, donc la priorité ne va pas forcément aux résidents mais à la performance économique. Dans le secteur à but lucratif, il s’agit de faire des bénéfices, d’améliorer les taux d’occupation. Il y a donc des tensions de valeurs entre les équipes de terrain et la direction. Les premières veulent prioriser la performance sociale et la seconde, la performance économique.

Dans vos conclusions, vous formulez pour ces établissements des recommandations… Lesquelles, et pour quels résultats ?

Le plus important est de partir du management, de l’encadrement de la direction. Ce que nous proposons est de former tous les managers à la performance sociale, de leur expliquer ce que cela représente, son intérêt. Les politiques, les tutelles, les conseils d’administration ne parlent que de chiffres. Du coup, le manager est victime de tout cela et va donner la priorité à la performance économique. Celle-ci est évidemment indispensable, mais pas à n’importe quel prix. Le plus important, c’est l’homme, l’usager comme le salarié. Ensuite, il faut retrouver la notion du temps. Ce qui stresse aujourd’hui les salariés, c’est le manque de temps. Les personnels ont des difficultés à gérer leurs priorités. Il importe donc d’aider le manager à bien prioriser les tâches. Il faut qu’il ait conscience qu’il doit gérer les activités financières et administratives tout comme l’animation d’équipe. Quand un directeur arrive dans un établissement, il a tout de suite à sa charge des responsabilités sans avoir le temps de bien connaître son établissement, ses équipes, ce qui a été fait avant son arrivée. Il est donc important de bien soigner l’intégration du nouveau directeur, du nouveau manager. Il faut insister auprès des managers afin qu’ils prennent conscience que cela doit constituer une de leurs priorités. En effet, les salariés ont besoin de bien connaître leur supérieur, ses stratégies, ses objectifs. Il faut remettre de l’humain au travail.

Maître de conférences

en science de gestion, Khaled Saboune est responsable pédagogique du Master « Management public des établissements sanitaires et sociaux » de l’Institut de management public et gouvernance territoriale à l’université d’Aix-en-Provence-Marseille.

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