UN MURAKAMI « PUR JUS ». C’est ainsi que l’on ressent la dernière œuvre du grand écrivain japonais, le Mishima du XXIe siècle. On retrouve, en effet, dans ce Meurtre du Commandeur tout l’univers de l’auteur : un personnage ordinaire plongé dans une aventure extraordinaire où se mêlent extravagance, ésotérisme et perversité des rapports humains.
Quel lien peut-il y avoir entre ce jeune peintre perturbé par le divorce que lui a imposé sa femme, un tableau symbolisant le meurtre du Commandeur (le personnage-clé de Dom Juan ou Le festin de Pierre) et un homme sans visage qui exige du peintre qu’il lui fasse son… portrait ? La progression narrative du récit fait penser à la construction des films d’Alfred Hitchcock, le maître du suspense. On sait qu’il va se passer quelque chose, mais on ne sait pas quoi, ni quand, au détour de la prochaine page ou dix chapitres plus loin…C’est toute la puissance du style et de l’univers de Murakami qui s’expriment ainsi, car cette attente est occupée à décrire les tourments et à révéler par petites touches la réalité complexe du narrateur – le jeune peintre – en proie à une situation qu’il maîtrise de moins en moins. Fatalement, on s’identifie à ce personnage perdu dans une histoire qui le dépasse et on craint pour son équilibre psychique. Comment résistera-t-il à la manipulation et à l’emprise que l’homme sans visage lui impose ? Quel est d’ailleurs l’objectif de celui-ci ?
Il faudra du temps pour le découvrir, pas moins de deux tomes d’une densité rare, écrits dans un style épuré où les pires horreurs sont racontées sans fard et sans affect.
On retrouve dans ce Meurtre du commandeur le même souffle, la même passion envoûtante pour explorer les territoires inconnus de l’âme humaine que dans la monumentale trilogie 1Q84. La fin est à la hauteur des attentes et, pour tout dire, c’est… non, chut !
« Le meurtre du Commandeur » – Tome 1 : « Une idée apparaît », tome 2 : « La métaphore se déplace » – Haruki Murakami – Ed. Belfond, 23,90 € chaque.