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Fusion des juridictions sociales Le grand flou

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En accord sur le fond de la réforme, les professionnels de la justice dénoncent l’amateurisme du ministère sur la fusion TASS/TCI, qui, semble-t-il, n’a pas été suffisamment anticipée. Les critiques se concentrent sur l’incertitude quant au nombre de personnes qui seront recrutées ou transférées dans les nouveaux « pôles sociaux » chargés notamment de statuer sur les contentieux liés à l’incapacité et sur les dossiers impliquant les personnes en situation de fragilité sociale.

CETTE RÉFORME D’AMPLEUR EST PRÉVUE DEPUIS FÉVRIER 2016(1) : la fusion des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et des tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) dans un « pôle social » implanté auprès de chaque tribunal de grande instance (TGI). Le dernier décret d’application de la réforme n’a été publié au Journal officiel que le 30 octobre (voir encadré ci-contre) et aucun professionnel de la justice ne connaît le nombre de postes supplémentaires qui seront assurés pour absorber le contentieux.

Inquiétudes pour les justiciables…

Spécialisée en droit de la sécurité sociale à Rouen, Maître Sophie Challan Belval dénonce « l’amateurisme » du pouvoir exécutif qui « laisse tous les professionnels de la justice dans le flou ». L’avocate s’inquiète surtout des délais : « En Seine-Maritime, les délais d’attente sont de plus d’un an pour ce qui concerne les recours en Commission de recours amiable, obligatoire avant toute saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale. Sans moyens supplémentaires, les délais vont encore s’allonger pour les justiciables. Et ici, on parle du contentieux des justiciables les plus fragiles, que ce soit psychologiquement ou physiquement, victimes d’une invalidité ou d’un accident du travail. » L’autre aspect négatif concerne les expertises médicales qui jusque-là se déroulaient sur place, juste après l’audience : « Elles ne seront plus obligatoires. Donc, de fait, on peut craindre qu’elles disparaissent », s’inquiète Sophie Challan Belval.

Pourtant, la réforme est « une bonne idée sur le papier », et n’est pas dénuée de quelques avantages : « Aujourd’hui, il faut parfois faire un recours à la fois devant le TASS et devant le TCI, car, par exemple, l’un va déterminer le principe d’une indemnité et l’autre va déterminer son taux. Avec le guichet unique, ce problème n’existera plus. De plus, confier ces affaires aux tribunaux de grande instance permettra aux juridictions de la sécurité sociale de ne plus être les parents pauvres de la justice. Cela va aider à pallier les difficultés en cas d’absence ou de carence de magistrats », explique l’avocate.

… Et pour les personnels

Chez les greffiers, l’inquiétude est également palpable, en particulier concernant le transfert des personnels des futurs ex-TASS vers les TGI. « A deux mois de l’entrée en vigueur de la réforme, on ne sait pas combien de personnes vont venir nous aider à absorber les nouvelles affaires, s’inquiète Isabelle Besnier-Houben, secrétaire générale du Syndicat des greffiers de France, affilié à Force Ouvrière. Le ministère de la Santé s’est engagé à faire un transfert, mais pour l’instant on reste dans le flou. On va demander à des collègues greffiers de prendre ces postes sans formation alors qu’il s’agit de dossiers particulièrement techniques.. » Pourtant, et même si le décret sur la fusion date du 4 septembre, les grandes lignes étaient connues « dès le mois de juillet », assure Isabelle Besnier-Houben. Un autre syndicat, la CGT, avait lui aussi fait part de son inquiétude dans un communiqué de presse diffusé le 17 octobre dénonçant « une situation plus qu’inquiétante » pour les personnels des TASS et des TCI en attente des conditions de leur transfert vers les TGI.

Mariette Vinas est magistrate et va prendre la tête du futur pôle social au TGI de Rouen. Tant bien que mal, elle « bricole » pour que le transfert ne pénalise pas trop les justiciables sur les délais, sans un sou de plus donné par l’Etat : « Des collègues des affaires familiales et du pôle civil vont aller sur le pôle social pour éviter les délais qui s’annoncent catastrophique du fait du manque de moyens. Mais fatalement cela va se répercuter sur les autres matières… Côté magistrat, il n’y a aucune création de poste de juge. Aucune. » La magistrate pointe également les différences de statuts entre les personnels qui « ne les incitent pas à entrer dans les services judiciaires ».

Interrogé, le ministère de la Justice reste évasif et n’est semble-t-il pas en mesure de donner des chiffres précis sur l’application de « l’une des plus importantes réformes de l’organisation judiciaire de ces dernières décennies » : « Les échanges avec le ministère des Solidarités et de la Santé sont constants et tout est mis en œuvre pour accueillir dans les meilleures conditions les personnels des anciens TASS et TCI qui seront mis à disposition du ministère de la Justice, indique son porte-parole Youssef Badr. Des moyens adaptés seront mis en place, soit par la poursuite de leurs missions par les personnels actuels des TASS et TCI, soit par le recrutement de nouveaux agents dès le début d’année. » Mais pour l’heure, force est de constater qu’aucune trace de ces recrutements n’existe dans le projet de loi de finances pour 2019, en ce moment même en discussion au Parlement. Affaire à suivre.

Repères

260 000. C’est à peu de choses près le nombre d’affaires qui devront être absorbées par les tribunaux de grande instance, dont 210 000 affaires du tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) et 40 000 du tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI).

Sources : Annexe au projet de loi de finances pour 2019 sur la mission « Justice », chiffres confirmés par le ministère de la Justice.

Chronologie de la fusion

18 NOVEMBRE 2016 : La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle (dite « J21 ») prévoit la réforme des tribunaux de l’aide sociale et supprime les juridictions du contentieux général et du contentieux technique de la sécurité sociale, mais également du contentieux de l’admission à l’aide sociale. Le détail des transferts devra être précisé par ordonnance.

16 MAI 2018 : Ladite ordonnance est prise. Elle modifie notamment la loi « J21 » pour permettre que « la transition se fasse sans préjudice ni pour les justiciables dont les affaires sont déjà pendantes, ni pour les juridictions qui vont devoir traiter ce contentieux ». Certaines juridictions administratives devront alors reprendre le stock des contentieux en instance devant la commission centrale d’aide sociale, dont le détail devra être fixé par décret.

4 SEPTEMBRE 2018 : Premier décret d’application de J21. Il désigne les tribunaux de grande instance (TGI) et cour d’appel compétents en matière de contentieux judiciaire de l’aide sociale et d’admission à l’aide sociale. L’idée du guichet unique « pôles sociaux » au sein des TGI est désormais concrète et la date d’application au 1er janvier 2019 est donc confirmée.

30 OCTOBRE 2018 : Publication du deuxième décret d’application qui fixe les dispositions procédurales applicables aux contestations des décisions des organismes de sécurité sociale, des maisons départementales des personnes handicapées et des autorités administratives intervenant dans le domaine de l’aide sociale, tant dans le cadre du recours préalable que dans celui du recours juridictionnel. Le décret précise les modalités du recours préalable, désormais obligatoire dans le cadre de chaque contentieux.

Notes

(1) « Appui à l’organisation du transfert du contentieux des TASS, TCI et CDAS vers les nouveaux pôles sociaux des TGI ». Rapport commun de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des services judiciaires, février 2016.

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