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Organisation, Moyens… Le social craque

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Protection de l’enfance, hébergement d’urgence, psychiatrie… Ces dernières semaines, plusieurs champs du secteur ont été agités par des mouvements sociaux. Au-delà de leurs spécificités, des traits communs les traversent : manque d’effectifs, prise en charge virant à la maltraitance, souffrance au travail… La responsabilité revient-elle aux directeurs de structures, aux départements, à l’Etat ? Tour d’horizon.

DANS LE DÉPARTEMENT DU NORD, un vaste mouvement de grève agite les unités territoriales de prévention et d’action sociale (UTPAS), comprenant des professionnels de l’aide sociale à l’enfance (ASE), de la protection maternelle et infantile et du service social départemental (SSD). « Cela fait un moment que la situation est critique sur le territoire, relate Marie, éducatrice à l’ASE. On a vu nos moyens dégradés pendant trois ans, on a bricolé, envoyé des courriers restés sans réponses… Il y a eu un ras-le-bol général. » L’étincelle : le non-renouvellement du contrat d’une secrétaire à Tourcoing-Mouvaux. Rassemblés sous la bannière « Collectif dégradé », les grévistes ont vu leurs rangs grossir rapidement. Initié à Tourcoing au début octobre, le mouvement s’est étendu à Roubaix, puis à Lille. Le 16 du mois, ils étaient près de 400 à manifester devant le conseil départemental du Nord. « Nos revendications ne sont pas folles. On ne demande pas d’augmentation de salaires, ni davantage de congés, mais quelques postes supplémentaires et des réouvertures de places », résume Marie. Les grévistes accusent le département d’en avoir fermé 700, en un an, pour les enfants placés. Jean-René Lecerf, président du conseil départemental du Nord, préfère parler de « transformation » en « crédits pour les interventions éducatives à domicile » et en « places pour mineurs non accompagnés ».

« On a besoin de services réactifs, et on est tellement lents… », déplore une autre Marie, assistante sociale au SSD. Dernier exemple en date : une mère ayant fait venir son enfant de Côte d’Ivoire, où il avait subi de « graves maltraitances », a demandé une assistance éducative. « Elle a été mise sur liste d’attente. Elle a tellement attendu – huit mois – que la situation s’est dégradée : elle a demandé un placement. On ne savait pas où, si ça allait être provisoire… Elle a tellement eu peur avec l’enfant sur les bras qu’elle l’a laissé à nouveau en Côte d’Ivoire, peut-être auprès de ceux qui le maltraitaient. Au téléphone, elle nous a dit : “Je vous ai demandé de l’aide, vous n’avez rien fait.” »

La réorganisation des caisses d’allocations familiales (vers le tout numérique), des caisses primaires d’assurance maladie ou encore du dispositif de réussite éducative « entraîne un afflux de personnes », ajoute Marie, dans ce département qui subit de plein fouet chômage et précarisation. « Toutes les portes sont en train de se fermer. Les seules qui restent ouvertes sont celles des centres communaux d’action sociale pour les grandes villes et de nos UTPAS, abonde Jean-René Lecerf. L’Etat s’est désengagé au niveau de la solidarité : le département assure la majeure partie de l’effort. On ne peut pas faire ce que l’on aurait envie de faire parce que, financièrement, on ne tient pas la route. »

« L’aide sociale est la dernière roue du carrosse »

A qui revient la responsabilité du manque de moyens dans le secteur A l’Etat et ses politiques budgétaires ? « Quand il n’y a pas de réponse sociale de l’Etat, l’aide sociale est la dernière roue du carrosse », juge la première Marie. Aux départements, en grande partie chargés du financement de la solidarité ? La question se pose de la même manière dans le champ de l’hébergement. A Toulouse, des agents sociaux du service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) se sont mis en grève jeudi 18 octobre. « Entre 50 et 70 familles sont laissées à la rue tous les soirs ; entre 15 et 25 femmes seules ; quant aux hommes isolés, il y a une chute de leurs appels, car le 115 n’est pas joignable », témoigne Valérie Gratias, écoutante au 115 et chargée de l’accueil du public, également déléguée syndicale CGT Samu social. Les grévistes ont demandé l’ouverture de places d’hébergement et le renforcement de leurs effectifs.

Bertrand Le Roy, directeur départemental de la cohésion sociale (DDCS) de Haute-Garonne, reconnaît la difficulté de faire face à « la pression de la demande d’hébergement » croissante. En cinq ans, le département est passé « de 6 000 demandes annuelles provenant de personnes différentes à 10 000 ». Mais le directeur insiste : « Il y a un effort permanent d’adaptation. L’Etat a opéré un rattrapage significatif des places d’hébergement. » Tout en admettant des choix économiques : « L’hiver dernier, on a logé plus de 1 000 personnes à l’hôtel. Ce n’est pas sans conséquence budgétaire. Pour que ce soit soutenable, il a fallu réguler le nombre de personnes hébergées. » Dès le lendemain de la grève des agents sociaux, la DDCS les recevait. Deux postes d’écoutants 115 et deux autres de chargés du suivi des personnes hébergées à l’hôtel leur ont été promis. Mais ces quatre équivalents temps plein ne viendront en renfort que pour la période hivernale, soit des contrats de six mois. De la « gestion saisonnière », comme la dénoncent les travailleurs sociaux ? Bertrand Le Roy rappelle que, « chaque année, des places créées sont pérennisées ». Le directeur de la DDCS annonce que, « dans les tout prochains jours, au moins 30 places d’hébergement vont s’ouvrir dans l’agglomération toulousaine. On sera également en mesure de mobiliser au moins un gymnase, soit une petite centaine de places, dès que ce sera nécessaire, en raison de pics de froid. » Pour les agents sociaux, l’urgence est déjà là. Le soir même de la réunion où, selon Valérie Gratias, « la DDCS soutenait qu’il n’y avait pas de remise à la rue de femmes victimes de violences et que les familles étaient toutes prises en charge, on a trouvé devant nos locaux trois familles dormant dans la rue, que la police a délogées… »

Ces derniers mois, les mobilisations des uns ont entraîné celles des autres. A la suite des Ehpad, d’autres professionnels du médico-social se sont particulièrement fait entendre : ceux des hôpitaux psychiatriques. Infirmière (non syndiquée) à l’hôpital psychiatrique Pinel d’Amiens, Emilie estime : « La situation pourrit depuis des années. Jusque-là, on était dans nos fonctionnements internes. Mais avec les réseaux sociaux, les lanceurs d’alerte en Ehpad, on se rend compte que le problème est national » Celle qui fait partie du groupe de salariés « Pinel en lutte », en grève depuis quatre mois, ajoute : « On avait besoin de collectif. […] Dernièrement, les conditions de travail étaient très critiques. Il y a eu de nombreux accidents du travail. Avec la suroccupation, les patients ont des comportements plus agités. ». Ceux-ci sont les premiers à pâtir du cadre d’hospitalisation dégradé. « Les dortoirs comptent deux à trois patients et, dans les couloirs et les salles, il y a toujours du monde : impossible de s’isoler. Les patients, au lieu d’aller mieux, vont moins bien… » témoigne Emilie. D’où, selon elle, une conséquence directe : « Les durées d’hospice s’allongent… ce que nous reproche l’agence régionale de santé [ARS] ! »

« Un dialogue de sourds »

Face à cette longue grève, l’ARS des Hauts-de-France apporte des réponses au compte-gouttes. Le 25 septembre, elle a reçu pour la première fois le personnel. « C’est resté un dialogue de sourds », juge Emilie. La directrice générale a annoncé le maintien d’une aide annuelle d’un million d’euros : « Une avance de ce qu’on devait percevoir en décembre », rétorque l’infirmière. Refusant toute interview, l’ARS se contente de communiquer sur son « soutien constant et sans précédent », avec le million d’euros et la création de 20 places en maisons d’accueil spécialisées. Pas question de renforcer les effectifs de médecins ou d’infirmiers, ni d’effacer la dette de l’hôpital, comme le réclament les grévistes. L’agence considère que « ce sont les pratiques du centre hospitalier Pinel qui sont à l’origine, pour l’essentiel, du sentiment de manque de moyens ». Là encore, la balle est renvoyée entre différents niveaux de responsabilité : « L’ARS dit que c’est au directeur de s’organiser avec les moyens qui lui sont donnés, le directeur dit que c’est l’ARS qui ne donne pas assez de moyens… On est dans une impasse », résume Emilie.

Pour ces salariés de l’assistance sociale, de la protection de l’enfance, du Samu ou de la psychiatrie, la conséquence commune du manque de moyens reste une souffrance au travail croissante. « On fait tout vite, et mal », résume Valérie Gratias, l’écoutante du 115 à Toulouse. Parmi les agents du Nord, ce ressenti grandit : « Ils sont en train de détruire psychiquement les travailleurs sociaux », considère Marie, l’assistante sociale. « On a le sentiment de faire de l’abattage. Hier après-midi, ma collègue a reçu neuf personnes. Comment être à l’écoute dans ces conditions ? » Dans les propos de ces salariés, la relation aux usagers revient sans cesse. « On rentrait tous mal le soir, on pleurait en se disant qu’on maltraitait les personnes », glisse sa collègue éducatrice à l’ASE. « On maltraite les patients, affirme également Emilie, infirmière à l’hôpital psychiatrique. On les voit entre deux portes, on n’a plus le temps de les recevoir individuellement au calme. Ils nous demandent régulièrement à être vus par un médecin, on leur dit : “Non, pas de médecin disponible aujourd’hui”… »

Ces conditions de travail aboutissent à des départs. A l’hôpital Pinel, parmi les 10 infirmières et infirmiers recrutés fin juillet en compensation de la fin de 12 CDD, « deux n’ont pas renouvelé leur contrat, les conditions de travail étaient trop difficiles », relate Emilie. Marie, l’assistante sociale du Nord, est, elle, en réorientation professionnelle, après quinze ans dans le métier. « Je ne veux pas rester dans ces conditions-là longtemps. Pourtant, j’étais faite pour travailler dans le social. » Samedi 3 novembre, une journée de mobilisation « pour une psychiatrie humaniste » est organisée à Amiens. A l’hôpital Pinel se joindront les établissements du Havre, du Rouvray, de Rouen, d’autres de région parisienne. Le 6, se tiendra à Lille une nouvelle journée de grève des UTPAS du Nord. Du côté de Toulouse, un nouveau préavis de grève, déposé le 29 octobre, est appelé à être maintenu dans les semaines qui viennent.

Les récentes mobilisations

• Mobilisation du SIAO de Toulouse depuis le 18 octobre ;

• Grèves au sein des UTPAS dans le département du Nord depuis le 1er octobre ;

• Grève à l’hôpital psychiatrique Pinel d’Amiens depuis le 15 juin ;

• Grèves dans les centres médico-sociaux d’Agen, de Fumel et de Villeneuve-sur-Lot le 8 octobre ;

• Grève à l’Institut de formation aux métiers éducatifs (IFME), à Nîmes, prolongée le 9 octobre, du fait de la baisse des dotations gouvernementales dans le secteur médico-social.

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