LE DROIT DE GRÈVE EST UN DROIT FONDAMENTAL, RECONNU ET PROTÉGÉ par la Constitution : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » (alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 intégré à la Constitution du 4 octobre 1958).
Son exercice dans le secteur privé vise l’ensemble des structures, en qualité d’association ou d’entreprise, soumises au droit privé et aux dispositions du code du travail. Cependant, le code du travail ne prévoit pas de définition et c’est la jurisprudence qui fixe les critères permettant la reconnaissance de la grève. La Cour de cassation a ainsi précisé que la grève est constituée d’une cessation collective et concertée de travail par le personnel visant à appuyer des revendications professionnelles connues de l’employeur (Cassation chambre sociale [Cass. soc.], 4 novembre 1992, n° 90-41899, jurisprudence constante).
L’exercice du droit de grève suppose la cessation totale de la prestation de travail par les salariés. En revanche, la jurisprudence précise que la durée de l’arrêt de travail n’a pas d’importance. Ainsi, les arrêts de travail courts et répétés sont considérés comme licites. Il est important de préciser que la Cour de cassation considère que les effets des arrêts de travail brefs et répétés sur le fonctionnement de l’entreprise et surtout sur sa désorganisation ne peuvent être regardés comme un exercice illicite du droit de grève. Ainsi, l’arrêt de travail d’une durée de quelques minutes par heure, malgré la désorganisation entraînée pour la production, sera parfaitement admis. En revanche, afin de bénéficier de la qualification de grève, les arrêts de travail devront se dérouler pendant une période de travail effectif. A ce titre, les salariés qui formuleraient des revendications professionnelles pendant leur temps de pause ne pourraient bénéficier de la qualification de grève et donc de la protection afférente.
La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que les modalités de la grève et de la cessation de travail devaient être clairement respectées. Ainsi, seront exclues de la qualification de grève, les grèves qualifiées de « perlée » ou de « zèle ». En effet, la grève perlée qui constitue une inexécution d’une partie des obligations du salarié par le ralentissement anormal d’une cadence de production engagera la responsabilité contractuelle du salarié et ne pourra en aucun cas bénéficier de la qualification d’arrêt de travail et donc de grève. De même, la grève du zèle, caractérisée par une application stricte des consignes données pour l’exécution du travail, conduisant à ralentir voire à paralyser un secteur ou un service ne bénéficiera pas également de la qualification de grève.
Au regard des éléments évoqués, il apparaît donc que le salarié, pour bénéficier de la qualification de grève, devra cesser complètement le travail pendant une période déterminée. La Cour de cassation considérera immanquablement que le salarié qui n’exécute pas son travail de manière complète ou de manière défectueuse ne satisfait pas à la condition de cessation totale de travail et sera passible de sanctions disciplinaires.
Au-delà d’une cessation totale de travail, de manière évidente, la Cour de cassation retient que l’arrêt de travail doit être collectif. En effet, on pourrait difficilement admettre la qualification d’une grève au mouvement auquel ne participerait qu’un unique salarié. Cette règle sera toutefois écartée lorsque le salarié répond à un mot d’ordre national à objectif professionnel. Ainsi, on pourra évoquer la situation du salarié qui répond à un appel national à la grève des syndicats en vue de protester à un blocage des salaires ou toutes autres revendications professionnelles (Cass. soc., 29 mai 1979, n° 78-40553, jurisprudence constante). On écartera également l’impossibilité du salarié de faire grève seul dès lors qu’il est seul employé d’une entreprise.
En toute hypothèse, il n’est pas nécessaire que l’ensemble des salariés participe au mouvement. Dès lors que quelques salariés y participent, la qualification d’arrêt de travail collectif pourra être retenue. Dans la mesure où le mouvement de grève est collectif, il induit également une concertation des salariés. Ceci signifie qu’en principe les salariés doivent avoir une volonté commune d’agir. Il n’est donc pas question que chacun des salariés décide de recourir au mouvement de grève pour satisfaire des revendications qui lui sont personnelles. La grève implique une volonté commune d’agir qui devra être maintenue tout au long du mouvement social.
La grève implique par définition l’existence de revendications qui devront évidemment connaître un caractère professionnel et porter sur des droits liés directement aux grévistes. Ainsi, la Cour de cassation considère comme revendications professionnelles toute réclamation qui aurait un caractère salarial ou visant à améliorer les conditions de travail ou d’emploi.
Il n’est toutefois pas question pour les salariés de chercher à satisfaire directement leurs revendications professionnelles. A ce titre, les mouvements collectifs dits d’« autosatisfaction » par lesquels les salariés décident de travailler dans les conditions qu’ils revendiquent sont parfaitement exclus et ne pourront à aucun moment être considérés comme mouvement de grève. Les salariés qui décideraient de cesser collectivement le travail les samedis pour obtenir de ne plus travailler ce jour-là ne pourront bénéficier de la qualification de revendications professionnelles.
Les mouvements qualifiés de « grève de solidarité » qui viseraient à soutenir un salarié de l’entreprise tombant sous le coup d’une procédure disciplinaire ou licencié pour un motif personnel ne peuvent également pas être qualifiés de revendications professionnelles et seront illicites. En pratique, des salariés qui souhaiteraient soutenir un autre salarié pour de tels motifs accompagneront régulièrement ce soutien de revendications professionnelles classiques afin d’éviter de tomber sous la qualification de mouvements illicites en l’absence de revendications.
S’est posée la question de savoir si l’employeur devait être informé des revendications professionnelles afin que le mouvement bénéficie de la qualification de grève. En effet, dans le secteur public, l’information de l’employeur préalablement au mouvement est obligatoire. Dans le cadre du secteur privé, il n’est pas exigé que les salariés portent à la connaissance de l’employeur des revendications professionnelles préalablement à la cessation du travail (Cass. soc., 22 octobre 2014, n° 13-19858). La Cour de cassation admet ainsi que l’information peut être effectuée par les salariés auprès de l’employeur au moment même de l’arrêt de travail (Cass. soc., 30 juin 2015, n° 14-11077). Ainsi, en pratique, les salariés pourront informer leur employeur juste avant de cesser le travail et à aucun moment n’est exigée une discussion ou un rejet préalable des revendications par l’employeur. Le respect des différentes conditions énoncées ci-dessus permet aux salariés d’exercer collectivement leur droit de grève sans risquer par principe de sanctions ou représailles de la part de l’employeur.
La reconnaissance et l’exercice du droit de grève suspendent l’exécution du contrat de travail et libèrent de fait l’employeur et le salarié des obligations contractuelles classiques. Le salarié n’est donc plus tenu d’exécuter une prestation de travail, le contrat étant suspendu. Mais si le salarié est dispensé de la prestation de travail, il apparaît évident que l’employeur sera lui-même fondé à ne plus verser le salaire ainsi que ses compléments et accessoires pendant l’arrêt de travail du salarié.
Toutefois, la Cour de cassation définit précisément les conditions dans lesquelles la retenue sur salaire peut être opérée. La jurisprudence constante prévoit à ce titre que la retenue sur salaire ne pourra être que strictement proportionnelle à la durée de travail. Cela implique en pratique que les effets ou impacts de la grève, notamment la perte de production ou le retard engendré par la grève, ne pourront à aucun moment être intégrés dans la retenue sur salaire. La Cour de cassation a précisé également que le temps qui serait consacré à la remise en marche des machines ne pourra pas être comptabilisé dans la durée de l’arrêt du travail du salarié. La retenue sur salaire supérieure à la durée de l’arrêt de travail sera immanquablement caractérisée de sanction pécuniaire prohibée (Cass. soc., 16 mai 1989, n° 85-45244, jurisprudence constante).
La question de la retenue sur salaire proportionnée à la durée de l’arrêt de travail doit susciter une seconde interrogation : qu’en est-il des primes ou des avantages liés à une condition de présence de l’entreprise ? On pensera notamment à une prime d’assiduité ou de fin d’année.
L’employeur peut-il, au motif de l’absence du salarié pour cause de grève, refuser de verser au salarié une telle prime ?
La Cour de cassation a tranché la problématique et précise que la retenue sur salaire ne pourra être envisagée que lorsque tous types d’absences hormis les absences légalement assimilées à un temps de travail effectif (à titre d’exemple l’arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle sous conditions) entraînent la suppression de la prime ou des avantages (voir notamment Cass. soc., 23 novembre 2011, n° 10-15644). Il appartient donc à l’employeur d’être très vigilant quant aux motifs qui permettent la réduction ou la suppression de l’avantage financier au salarié. En aucun cas l’employeur ne pourra, sans risquer d’encourir une qualification de discrimination, limiter la suppression du complément de salaire à l’exercice du droit de grève.
« L’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié.
Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L. 1132-2, notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux.
Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit » (code du travail [C. trav.], art. L. 2511-1).
Le code du travail prévoit par ailleurs qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire en raison de l’exercice normal du droit de grève (C. trav., art. L. 1132-2).
Ainsi, si le code du travail ne donne pas de définition de la grève ni des conditions qui permettent de la reconnaître, la protection des salariés est quant à elle bien présente. Ces derniers bénéficient d’une protection très forte contre la discrimination et la rupture du contrat de travail. En tout état de cause, le licenciement du salarié ne pourra jamais intervenir pour la participation de mouvement de grève. En revanche, il n’est pas admis que le salarié se rende coupable d’une faute caractérisée comme lourde. Habituellement, le licenciement du salarié peut intervenir pour trois types de fautes qui sont définies comme sérieuse, grave ou lourde. Dans le cadre du mouvement de grève, le licenciement du salarié est limité à l’existence et la reconnaissance d’une faute lourde.
Classiquement, la faute lourde se définit comme l’intention du salarié de nuire à l’employeur ou à l’entreprise (Cass. soc., 8 février 2017, n° 15-21064). Dans le cadre de la grève, la faute lourde prend une autre définition. Cette faute suppose alors la participation personnelle et active du salarié à des faits considérés comme illicites (jurisprudence constante depuis cass. soc., 9 juin 1983, n° 80-42221). Dans la mesure où la reconnaissance de la faute lourde est liée à la participation personnelle et directe du salarié, il appartiendra à l’employeur de veiller à conserver ou à obtenir des moyens de preuve suffisants. En effet, en cas de litige devant le conseil de prud’hommes, il appartiendra à l’employeur de rapporter la preuve de la participation personnelle du salarié licencié pour faute lourde aux faits qui lui sont reprochés. Quant aux modes de preuves, l’employeur sera fondé à produire des témoignages ou encore à recourir à un constat d’huissier dès lors que ce dernier n’excède pas ses pouvoirs.
A titre d’exemple, la Cour de cassation a pu retenir la qualification de faute lourde dans les situations suivantes :
• blocage de l’intégralité des accès d’une entreprise ;
• salariés grévistes ayant interdit l’accès au lieu de travail aux non-grévistes en s’interposant de manière agressive ;
• séquestration du dirigeant ou de représentants de l’entreprise ;
• barrage formé en vue d’empêcher tout véhicule de pénétrer sur le parking de la société ;
• dégradation du matériel de l’entreprise ;
• bousculades ou violences physiques.
Attention : Il appartiendra à l’employeur de motiver correctement la lettre de licenciement par une faute lourde. La caractérisation de la faute lourde est en effet indispensable à la notification du licenciement. Si l’employeur peut décider d’individualiser la sanction prise à l’encontre de plusieurs grévistes fautifs, il devra impérativement motiver le licenciement par une faute lourde. Si le licenciement du salarié n’est pas motivé par la faute lourde telle que définie ci-dessus, l’employeur encourt la nullité de la rupture et le salarié pourra solliciter devant le Conseil de prud’hommes des dommages et intérêts équivalant à un montant minimal de 6 mois de salaire.
Epineuse question que celle de l’expulsion des salariés grévistes… Est-il possible lorsque les salariés grévistes occupent le lieu de travail de procéder à leur expulsion ? Dans quelles conditions ?
En réalité, la possibilité de recourir à une expulsion des salariés en grève qui occupent les lieux de travail est soumise à des conditions très strictes. En effet, il n’est pas question que l’employeur puisse par principe restreindre le droit de grève des salariés sans motif particulier.
Attention : Doivent être distinguées les situations de grève classiques lors desquelles les participants sont présents devant ou dans les locaux et les circonstances non autorisées ou abusives comme les piquets de grève qui visent à empêcher totalement l’accès à la structure ou la séquestration de représentants de la direction.
Ainsi, seule la constatation d’un trouble manifestement illicite permettra à l’employeur de solliciter du juge l’expulsion des grévistes. Il est à noter que cette procédure relève du juge des référés et que la demande doit être portée devant le président du tribunal de grande instance. Afin de justifier l’expulsion des salariés grévistes, l’employeur devra rapporter deux éléments cumulatifs : l’urgence et l’absence de contestation sérieuse. Ces éléments sont issus de l’article 809 du code de procédure civile qui permet au juge des référés d’agir. La Cour de cassation a rappelé à de nombreuses reprises que le juge devait constater l’existence d’un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser (Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 88-41375 jurisprudence constante). A ce titre, la Haute Juridiction considère que l’entrave à la liberté de travail constitue nécessairement un trouble manifestement illicite qu’il conviendra de faire cesser. Pourront être notamment retenus le blocage des accès et toutes les formes d’occupation des lieux du travail comme la paralysie des machines ou encore le risque d’atteinte aux matériels de l’entreprise.
Cependant, dès lors que l’employeur souhaite obtenir l’expulsion des grévistes au motif de l’existence du trouble manifestement illicite, il lui appartiendra de rapporter la preuve que les agissements des grévistes dépassent le cadre normal de la grève et sont constitutifs d’un trouble manifestement illicite. Si les moyens de preuve sont libres devant le juge des référés, la constatation par huissier de justice apparaît la plus favorable. En effet, le juge des référés attend du demandeur que la preuve des actes d’entrave du gréviste soit parfaitement étayée et ne souffre pas de contestation possible. Il convient de préciser que dès lors que l’employeur souhaitera recourir aux constatations par voie d’huissier, le cadre juridique devra nécessairement être respecté. De fait, si les constatations d’huissier devaient être incomplètes ou dépasser le cadre légal, le juge des référés serait contraint de rejeter les procès-verbaux établis par ce dernier. Les huissiers de justice mandatés aux fins de constatations du trouble manifestement illicite causé par la grève devront impérativement se limiter à des constatations purement matérielles et l’audition des grévistes ne pourra avoir que pour but d’éclairer les constatations (Cass. soc., 28 avril 2006, n° 04-13932).
La question de l’expulsion des grévistes pose par ailleurs une seconde problématique : qui peut-on assigner dans le cadre de cette expulsion ? En effet, il peut être difficile pour l’employeur comme l’huissier auquel il recourt, de parvenir à nommer chacun des grévistes présents et participant aux troubles manifestement illicites si le mouvement est de grande ampleur. Cette problématique a été réglée par la mise en œuvre de deux procédures cumulatives. Ainsi, il appartiendra à l’employeur, d’une part, de procéder à l’assignation en référé contre les salariés identifiés par les constats d’huissier ou procès verbaux éventuels des forces de police et, d’autre part, de recourir à la procédure de requête devant le président du tribunal de grande instance statuant également en référé afin d’expulser tous les occupants qui ne pourront pas être nommément désignés. Afin de garantir l’efficacité des mesures envisagées, l’employeur devra mettre en œuvre les deux procédures précitées dans le même temps.
Dès lors que l’employeur obtient une ordonnance d’expulsion des grévistes rendue par le juge des référés, il est impératif de recourir de nouveau aux services d’un huissier de justice qui ordonnera l’expulsion des locaux ou la cessation du trouble manifestement illicite. En revanche, il n’appartient pas à l’employeur de tenter d’expulser lui-même les salariés grévistes. Si ces derniers refusent d’obtempérer, l’employeur devra solliciter (auprès du maire si la commune est de moins de 10 000 habitants ou auprès du préfet) l’intervention de la force publique. Notons toutefois que le maire ou le préfet peut refuser le recours de la force publique s’il estime que l’exécution de l’ordonnance de référé par la force peut comporter un risque pour l’ordre ou la sécurité publique. Dans cette dernière hypothèse l’employeur pourrait alors mettre en cause la responsabilité de l’Etat et obtenir réparation pour le préjudice causé (jurisprudence constante depuis Conseil d’Etat, 8 décembre 1989, n° 68-586).
Au surplus, si les salariés occupant les locaux ou participant aux troubles manifestement illicites refusent d’évacuer les locaux, l’employeur sera fondé à procéder à leur licenciement pour faute lourde : il s’agira d’une entrave à la liberté du travail et/ou de la participation à des faits illicites. A ce titre, la Cour de cassation a considéré que les salariés informés du caractère illicite de l’occupation des locaux et du blocage de l’accès aux sites de l’entreprise après notification de l’ordonnance d’expulsion qui poursuivent leurs actions commettent une faute lourde (Cass. soc., 3 mai 2016, n° 14-28353).
Si l’on a déjà évoqué le fait que les salariés pouvaient faire l’objet d’un licenciement pour faute lourde dans des conditions restreintes, doivent être également envisagées les mises en cause de responsabilité de ces derniers d’un point de vue civil comme pénal.
L’exercice illicite du droit de grève doit pouvoir conduire également à l’engagement de la responsabilité personnelle du gréviste, en dehors de la relation de travail. Mais la Cour de cassation a rappelé à de nombreuses reprises que l’engagement de la responsabilité des grévistes ne pourra être exercée que dans l’hypothèse de la commission d’une faute personnelle ayant causé un préjudice. A ce titre, la jurisprudence exclut la possibilité de mise en œuvre d’une responsabilité in solidum des grévistes. De même, il est impossible pour l’employeur de mettre en cause automatiquement la responsabilité des syndicats ou des représentants du personnel sous le simple prétexte de leur participation à la grève. L’engagement de la responsabilité est personnelle et suppose la participation active de chaque gréviste aux faits fautifs ayant conduit à la réalisation du dommage.
Par ailleurs, la Cour de cassation reconnaît également la possibilité pour les salariés non-grévistes victimes d’un préjudice d’agir contre les salariés grévistes dès lors de nouveau qu’ils ont participé de manière individuelle à la commission des faits fautifs ayant conduit au dommage.
La responsabilité civile engagée relèvera de la compétence du conseil de prud’hommes dès lors que l’action est exercée par l’employeur. Il en sera de même concernant l’action du non-gréviste contre un gréviste.
L’article 431-1 du code pénal fait mention expresse de l’entrave à la liberté du travail :
« Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation ou d’entraver le déroulement des débats d’une assemblée parlementaire ou d’un organe délibérant d’une collectivité territoriale est puni de 1 an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code, l’exercice d’une des libertés visées aux alinéas précédents est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ».
De même, doivent être également évoquées les questions relatives à la séquestration ou aux violences et voies de fait sur les personnes. En effet, si les grévistes exercent le droit de grève de manière anormale et débordent du cadre légal, certains actes peuvent relever des prescriptions du code pénal. Ainsi, la séquestration caractérisée dans le cadre de la grève par l’enfermement d’un dirigeant employeur ou cadre de la structure constitue un délit passible d’une amende de 75 000 € outre 5 ans d’emprisonnement lorsque l’enfermement a connu une durée inférieure à 7 jours (code pénal [CP], art. 224-1). Il est important de relever que la séquestration ne nécessite pas de violences ni que l’employeur ou le responsable enfermé recherche à sortir du local dans lequel il est séquestré contre son gré. Ainsi, le fait de retenir l’employeur contre son gré dans les locaux de l’entreprise ou de l’association, et ce même en l’absence de toutes violences, sera constitutif du délit de séquestration de personne et passible de l’emprisonnement et de l’amende précités.
En pratique, s’agissant du délit de séquestration, le juge pénal pourra moduler la peine en fonction des circonstances pour retenir un emprisonnement avec sursis à titre d’exemple. En effet, le juge devra prendre en compte les conditions dans lesquelles le délit a été caractérisé pour adapter la peine pénale. Il ne s’agira en aucun cas de rejeter la qualification en l’absence de violence ou contrainte physique mais d’adapter la peine aux faits.
La responsabilité pénale des salariés grévistes pourra également être engagée en cas de destruction, dégradation ou détérioration de biens appartenant à l’employeur ou à des salariés non grévistes. Le code pénal punit ces atteintes aux biens d’une amende de 30 000 € et de 2 ans d’emprisonnement (CP, art. 322-1).
Comme dans le cadre de la responsabilité civile, se pose la question de la responsabilité pénale des organisations syndicales et des représentants du personnel. La Cour de cassation admet la responsabilité de ces derniers mais prévoit de nouveau des limites. Dans les mêmes conditions que celles précédemment citées, il appartiendra à l’employeur qui souhaite engager la responsabilité des syndicats et des représentants du personnel de démontrer l’existence d’une participation active à des agissements illicites et un préjudice direct en relation avec lesdits agissements. La Cour de cassation retient que le syndicat, même s’il est à l’origine de la grève, ne peut être tenu comme seul responsable des dommages causés des actes abusifs réalisés par des grévistes dès lors qu’il n’a pas eu de comportement actif dans ces agissements. De jurisprudence ancienne la Cour de cassation n’admet la responsabilité d’une organisation syndicale qui a appelé à la grève que lorsqu’elle a expressément été à l’origine des actes considérés comme illicites (jurisprudence constante depuis Cass. soc., 17 juillet 1990, n° 87-20055).
Afin de résoudre le conflit collectif, ou d’éviter son enlisement, peuvent être engagées des négociations entre l’employeur et les salariés grévistes ou leurs représentants (organisations syndicales et/ou représentants du personnel) afin de parvenir à ce que l’on nomme un « protocole de fin de conflit ». Issu de la pratique, il n’existe pas de forme restrictive ni de réelles conditions de validité quant au contenu du protocole de fin de conflit.
Le protocole pourra ainsi prendre la forme d’un engagement unilatéral de l’employeur ou d’un accord collectif selon la qualité des signataires : accord collectif en cas de signature par des organisations syndicales représentatives ou, à défaut, engagement unilatéral (Cass. Soc., 30 mai 2018, n° 17-12782).
Quant au contenu, les parties sont totalement libres de la négociation et le protocole pourra intégrer une partie des revendications des grévistes mais également, à titre d’exemple, un accord visant au paiement d’une partie des jours de grève ou encore la renonciation de l’employeur à d’éventuelles poursuites judiciaires. En revanche, le protocole ne pourra être valide que s’il ne comprend pas de mesure contraire à l’ordre public ou de clauses illicites. A ce titre, le protocole négocié ne pourra pas comprendre d’avantages alloués uniquement aux salariés grévistes : la satisfaction d’une revendication professionnelle tel que l’octroi d’une prime devra impérativement s’appliquer à l’ensemble des salariés (Cass. Soc., 5 juillet 2005, n° 03-45615). En revanche, si le protocole est constitutif d’un accord collectif, l’avantage alloué pourra limiter son application au périmètre d’un établissement de la structure concernée sans mettre en cause le principe d’égalité de traitement entre les salariés de l’organisme (Cass. Soc., 30 mai 2018, n° 17-12782, précité).
Attention : La signature du protocole implique obligatoirement son exécution par les parties. A défaut, la juridiction saisie est fondée à rechercher les engagements des signataires et indemniser le préjudice des salariés et des représentants des organisations syndicales et/ou représentants du personnel résultant de l’inexécution des obligations fixées par le protocole (Cass. Soc., 5 juillet 2006, n° 04-43213).
Enfin, lorsque l’issue négociée entre les parties en interne n’est pas envisageable, l’employeur comme les grévistes et leurs représentants bénéficient de la possibilité de recourir à un organisme extérieur. Le code du travail prévoit à ce titre trois types de procédures intégrant la conciliation, l’arbitrage et la médiation (C. trav., art. L. 2521-1 à L. 2525-2 et R. 2521-1 à R. 2525-2). Les procédures, qui peuvent être actionnées cumulativement ou alternativement, pourront être engagées à l’initiative des parties au conflit collectif mais également sous conditions par le ministre du Travail ou le directeur régional des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi (Direccte).
Dès lors que l’employeur parvient à caractériser une faute lourde, le licenciement pour motif disciplinaire peut être engagé. Pour autant, la procédure classique devra être respectée. Ainsi, le salarié pourra faire l’objet d’une mise à pied conservatoire puis devra bénéficier d’une convocation et de la tenue d’un entretien préalable dans un délai de 5 jours ouvrables au minimum. Enfin, l’employeur devra prononcer le licenciement dans un délai de 2 jours ouvrables au minimum et dans un délai de 1 mois au maximum après l’entretien.
S’agissant des salariés protégés tels que les représentants du personnel, membres de la délégation au comité social et économique ou délégués syndicaux, ils devront faire l’objet d’une procédure spécifique. Ainsi, l’inspection du travail devra autoriser le licenciement du salarié protégé et ce dernier bénéficiera de la procédure dérogatoire classique protectrice des représentants du personnel.
En pratique, il est conseillé à l’employeur qui souhaite recourir aux services d’un huissier de justice, afin de constater à titre d’exemple l’occupation illicite des locaux par les salariés grévistes, de bien veiller à la précision du constat de l’huissier et au respect des limites légales. Tous les éléments devront être énoncés avec la plus grande précision qui sera déterminante pour l’audience devant le juge des référés. A cette fin, le constat devra mentionner les heures exactes des constatations mais également, dans l’hypothèse de l’exemple du blocage de l’entreprise, le descriptif exact et complet des entrées et sorties bloquées tout comme les modes de blocage (cadenas, palettes déposées en travers de l’entrée, blocage par des véhicules…). Il conviendra de vérifier également que l’huissier précise expressément si l’occupation des locaux par les grévistes rend impossible l’entrée ou la sortie par les non-grévistes et s’il n’existe au sein de la structure d’autre possibilité d’entrée et de sortie. En effet, le juge ne pourrait considérer que les grévistes bloquent l’accès de l’entreprise s’il est possible, par exemple, d’utiliser une entrée ou sortie secondaire. Afin de garantir la précision du procès-verbal rédigé par l’huissier, l’employeur ou l’un de ses représentants pourra accompagner l’huissier tout au long de ses constatations.
L’accompagnement devra également permettre à l’huissier de bénéficier d’informations fiables sur l’identification des grévistes qui participent au mouvement. Les salariés interrogés par l’huissier pourront en effet être tentés d’indiquer de fausses identités et préciser régulièrement ne pas avoir leurs pièces d’identité…
Réponse de l’employeur à la grève, le lock-out est la fermeture de l’établissement ou de la structure lorsque le mouvement de grève dégénère. Mais cet arrêt temporaire d’exploitation est soumis à de strictes conditions par la jurisprudence car il constitue une restriction au droit de grève protégé par la Constitution.
La Cour de cassation exige en premier lieu que l’employeur soit placé dans des conditions d’empêchement caractérisé par un danger pour la sécurité des biens ou des personnes. Il s’agit d’une situation contraignante à laquelle l’employeur ne peut faire face qu’en arrêtant temporairement l’activité. La définition posée par la jurisprudence précise qu’il s’agit d’un empêchement à l’exécution normale du contrat de travail contraignant à arrêter la production et rendant impossible la fourniture de travail aux salariés non grévistes. Le lock-out suspend le contrat de travail des non-grévistes, dispensant en principe l’employeur de la rémunération.
La reconnaissance de la situation contraignante est difficile et l’on peut rappeler à ce titre que la Cour de cassation n’a récemment admis la légalité du lock-out que dans une hypothèse de grave danger à la santé et à la sécurité des personnes et des biens concernant une entreprise classée « Seveso » seuil haut – entreprise ayant une activité liée à la manipulation, transformation ou production de substances dangereuses (Cass. Soc., 18 janvier 2017, n° 15-23986 à 15-23995).
Le lock-out doit être appréhendé avec toutes les réserves par l’employeur. En effet, si les conditions ne devaient pas être retenues en cas de litige, serait caractérisée une entrave à l’exercice constitutionnel du droit de grève en ce que l’employeur, en fermant ses locaux, vide de toute sa substance le mouvement des salariés en arrêt d’activité (voir notamment Cass. soc., 17 décembre 2013, n° 12-23006). En conséquence, ce dernier encourrait nécessairement une condamnation au versement de dommages et intérêts aux grévistes empêchés dans l’exercice du droit de grève. Les salariés non grévistes, empêchés de travailler et n’ayant pas bénéficié de rémunération seraient également en droit de solliciter l’allocation de dommages et intérêts pour cette période. De surcroît, les syndicats professionnels seraient fondés à solliciter également une indemnisation en réparation de l’atteinte portée aux intérêts collectifs de la profession.