Recevoir la newsletter

Des contrats sous contraintes

Article réservé aux abonnés

Retards de signature, négociations bâclées ou inexistantes, objectifs sans moyens ou moyens sans objectifs : la généralisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) – devenus obligatoires pour certains établissements et services médico-sociaux – est chaotique et hétérogène, au niveau des territoires.

LE COMPTE À REBOURS DÉFILE… Au 1er janvier 2022, l’ensemble des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), des petites unités de vie (PUV) et des établissements et services médico-sociaux (ESMS) relevant de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) devront avoir conclu un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM). Les agences régionales de santé (ARS) et les conseils départementaux sont en charge de la mise en œuvre progressive de cette généralisation – démarrée le 1er janvier 2017 – par le biais d’une programmation pluriannuelle. Une généralisation qui se fait toutefois cahin-caha.

A l’occasion du comité de suivi de la réforme de la tarification et de la contractualisation des Ehpad, le 27 septembre dernier, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a reconnu des retards dans les signatures des CPOM. Concrètement, en 2017, année de démarrage de cette « nouvelle ère de la contractualisation », le taux de réalisation de la programmation a été de 62 %, avec 565 CPOM signés sur les 1 162 programmés pour les secteurs du grand âge et du handicap réunis. En 2018, la cadence est encore plus lente puisqu’au 30 juin, seuls 312 CPOM sur les 1 732 prévus ont été signés, ce qui représente seulement 18 % de l’objectif à atteindre.

Un challenge

William Bottaro, associé chez Mazars au pôle santé/médico-social, n’est pas surpris. « Les ambitions annoncées de programmation de CPOM étaient très grandes. Engager cette démarche de contractualisation a été un vrai challenge, un défi au niveau des autorités de tarification et de contrôle. Les ARS et les conseils départementaux sont passés d’une relation verticale avec les organismes gestionnaires d’établissements et services médico-sociaux dans le cadre de la négociation budgétaire annuelle à une relation plus partenariale avec la “CPOMisation” », explique-t-il. Tout en rappelant que les textes sur le cahier des charges et les modèles de contrat sont « sortis en retard », en mars 2017, William Bottaro ajoute que les autorités ont eu besoin de temps pour structurer cette démarche.

Des retards pour des raisons organisationnelles, mais en partie seulement. Ainsi, Jean-Pierre Riso, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et de services pour personnes âgées (Fnadepa), pointe les difficultés d’entente entre les ARS et les conseils départementaux qui « sont peu favorables à une contractualisation rapide ». « Les moyens manquent, la dynamique est encore au stade de la construction. Cela pénalise les établissements. Il faut rattraper ce retard mais pas n’importe comment », insiste-t-il.

« Certains épisodes de négociation ont trop duré et se sont étalés. Mais l’écueil que l’on retrouve sur certains territoires est le “CPOM express”. Il y a beaucoup de cas de contractualisation à marche forcée. Certains organismes gestionnaires sont incités à faire leur diagnostic partagé “à la hussarde” en un ou deux mois. Or, la mise en œuvre du CPOM est un exercice à mener sur huit à dix mois. Pour parfaire le diagnostic, il est nécessaire de prendre trois à quatre mois », analyse William Bottaro.

Dans son guide méthodologique d’appui à la contractualisation, publié en janvier 2017, l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap) avait égrené les risques à éviter : donner une vision trop comptable du CPOM, mettre en place des objectifs généralistes, des objectifs difficilement atteignables, proposer un CPOM sans intérêt pour l’une des parties signataires. Des cas de figure qui sont pourtant devenus réalité pour certains ESMS. Nombre d’acteurs constatent une hétérogénéité des pratiques de la part des autorités de tarification, selon les territoires. Une contractualisation qui s’inscrit, par ailleurs, dans un contexte budgétaire en tension et de réformes tarifaires.

« Certains de nos adhérents reconnaissent que le diagnostic partagé qui a présidé à la mise en œuvre de leur CPOM a été efficace, bien porté et juste. La contractualisation qui a suivi dans le cadre d’une vraie négociation a donné un cadre à la fois sécure et ambitieux », se satisfait Jean-Pierre Riso.

Mais tous les établissements et services ne sont pas logés à la même enseigne. « Le contenu de certains CPOM qui sont présentés relèvent davantage de conventions pluriannuelles d’objectifs. Les objectifs sont clairs, acceptables, voire réels et justifiés mais avec des moyens trop insuffisants pour les concrétiser. Et parfois, on a affaire à des CPM, c’est-à-dire des objectifs qui sont trop peu ambitieux pour marquer une contractualisation cohérente pour les directeurs d’établissements », déplore le président de la Fnadepa.

En qualité de directeur de la fédération départementale ADMR du Gard, Jean-Pierre Riso poursuit : « Prenons le cas des Ssiad [services de soins infirmiers à domicile]. Les CPOM sont à peu près les mêmes sur l’ensemble d’un territoire régional sans véritablement que les réalités locales, qu’elles soient urbaines ou rurales, n’aient été prises en compte. Avoir des moyens mais ne pas avoir de vrais objectifs structurants, c’est frustrant. Il y a une forme d’empressement à signer pour répondre aux exigences de programmation, sans forcément se donner le temps de la négociation. »

Les grincements de dents se sont fait également entendre du côté du secteur public. Ainsi, le Syndicat national des cadres hospitaliers-Force ouvrière (CH-FO) juge que le danger de CPOM non négociés, imposés par les ARS, est tout à fait réel. « De la même façon, il apparaît que de nombreux CPOM se contentent de lister les obligations légales contenues dans la loi 2002-2 et le droit du travail. Tout ça pour ça, serait-on tenté de dire ! », s’insurge le syndicat de directeurs d’Ehpad de la fonction publique hospitalière. Selon le Syncass-CFDT, ces retards de signature « pénalisent fortement les établissements qui, même lorsqu’ils se voient allouer une revalorisation des enveloppes budgétaires, sont contraints à un étalement de ces ressources sur cinq ans, alors que la reconnaissance de la charge de travail a bien été actée par la validation des GIR [groupe iso-ressources] et des coupes Pathos[1] ».

Un manque d’honnêteté

La CPOMisation du secteur médico-social tendrait-elle à devenir un marché de dupes ? « Que la signature des CPOM prenne du retard n’est pas le vrai problème », estime Benoît Calmels, délégué général de l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (Unccas). « Certains de nos adhérents nous disent qu’il n’y a pas eu une honnêteté dans la mise en œuvre des CPOM dans certains départements ». Une situation qui vient affaiblir davantage encore les ESMS relevant de la fonction publique territoriale. « Il y a déjà trois ans, l’Unccas avait tiré la sonnette d’alarme. Selon une enquête, un tiers de nos adhérents qui gèrent des services d’aide à domicile, des Ehpad ou des résidences autonomie voulaient les fermer ou se débarrasser de la gestion, au cours du mandat en cours ou du suivant, en raison des coûts. Un constat qui s’est aujourd’hui aggravé et qui risque de conduire à des “déserts sociaux”. » « L’application de la loi “ASV” [relative à l’adaptation de la société au vieillissement] est extrêmement variable d’un département à l’autre. Or je ne vois aucune autorité nationale qui va tirer l’oreille des conseils départementaux qui ne font pas le job », constate Benoît Calmels. « La concertation nationale “grand âge et autonomie” est une excellente occasion de reposer le débat de la gouvernance. Si la dépendance est une problématique nationale, pourquoi ne pas mettre en œuvre une tarification, une mise en œuvre des dispositifs à l’échelle nationale ? », interroge-t-il.

« La démarche contractuelle présente un apport majeur de modernisation du dialogue entre pouvoirs publics et ESMS. Elle a vocation à mettre en place une nouvelle culture du secteur en instaurant plus de transparence dans les échanges et travaux entre les gestionnaires et les autorités de tarification. Elle favorise le passage d’une culture de moyens à une culture de résultats et d’évaluation », vantait la DGCS, dans une instruction du 21 mars 2017. Une ode à la contractualisation qui semble ne pas refléter les réalités du terrain. « On peut se poser des questions sur la qualité du dialogue et sur la teneur réelle de la négociation des contrats lorsque la pression pour obtenir le nombre de signatures est si forte », critique le CH-FO.

Un mécanisme de sanction

Rappelons que les organismes gestionnaires et les autorités de tarification et de contrôle ne sont pas sur le même pied d’égalité, dans cette contractualisation. Un mécanisme de sanction est explicitement prévu pour les gestionnaires récalcitrants qui, en cas de refus de signer le CPOM ou de le renouveler, pourraient subir des sanctions financières pouvant atteindre 10 % du montant de la dotation « soins » dans le cas des Ehpad. Par ailleurs, tout Ehpad qui n’aurait pas signé son CPOM à l’horizon 2021 (fin de la montée en charge) verra son forfait « soins » annuel minoré de 1 à 5 % la première année et 5 à 10 % les suivantes. « Il n’est pas très logique et pas très normal que lorsqu’une ARS, un département ou les deux sont très en retard dans la mise en œuvre des CPOM, tout continue comme cela. Quand un directeur d’ESMS est en retard vis-à-vis de ses obligations, il y a des sanctions potentielles. Aujourd’hui les retards de signature ne sont pas du fait des directeurs d’établissements qui sont favorables à la contractualisation. Des conventions tripartites pluriannuelles signées il y a sept ou huit ans, cela n’a pas de sens et ne favorise pas la qualité de l’accompagnement des personnes âgées dans nos établissements », souligne Jean-Pierre Riso.

A l’instar de Benoît Calmels, le président de la Fnadepa considère que cette hétérogénéité des pratiques sur les territoires renvoie à la question de la gouvernance et du pilotage global. « A l’issue de la grande concertation nationale, si le constat collectif aboutit à la nécessité absolue de réformer le modèle, il faudra avoir le courage politique de le faire », insiste-t-il.

Un contrat obligatoire

Dans le secteur social et médico-social, le contrat pluriannuel et de moyens (CPOM) a été introduit par la loi du 2 janvier 2002. La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) du 28 décembre 2015 l’a rendu obligatoire pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les petites unités de vie (PUV). La loi « ASV » instaure la contractualisation par CPOM à titre obligatoire, pour les résidences autonomie pour le versement du forfait autonomie pour les services polyvalents d’aide et de soins à domicile (Spasad) qui expérimentent un modèle intégré d’organisation. Pour le secteur du handicap, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 est venue préciser les obligations de différents établissements et services relevant de cette loi.

Notes

(1) La coupe « Pathos » consiste à sélectionner des groupes de patients par groupes iso-ressources et à analyser, grâce au référentiel « Pathos », leurs charges en soins supportées par l’assurance maladie.

Décryptage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur