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“Nous sommes les futurs vieux !”

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En juin dernier, à Poitiers, ces deux entrepreneuses à la fibre sociale ont créé les Ateliers Cord’âges : un centre de loisirs d’un genre nouveau, pour lutter contre l’isolement des personnes âgées, malades ou fragiles. Avec ce projet novateur, elles tentent de combler le vide entre domicile et institution.

« UNIR NOS FORCES »… C’EST CE QU’ONT DÉCIDÉ Véronique David et Marie Fau, deux Poitevines aussi affables que persévérantes. Parce qu’elles croyaient en leur projet – « une idée novatrice » –, ces deux amies ont ouvert en juin dernier les Ateliers Cord’âges, à Poitiers. L’objectif de cette association partie « de zéro » Offrir aux personnes isolées un lieu d’accueil intergéné­rationnel, multiactivités et multipathologies. Un centre de loisirs, en somme, sans équivalent en France. « Il existe un vide sur le terrain, un chaî­non manquant entre le domicile et les Ephad », résume Véronique David, la directrice, qui milite pour des tiers-lieux ouverts, fondés sur l’autonomie et le volontarisme de leurs usagers.

L’association visait initialement les personnes âgées – et leurs proches aidants – enfermées par la maladie bien qu’encore indépendantes. Depuis, elle s’est ouverte à d’autres publics fragiles pour répondre à une réelle demande. « Ce qui nous réunit ici, c’est finalement l’isole­ment, qu’il soit lié à une pathologie ou à des difficultés financières, explique Véronique David. Le plus jeune usager a 25 ans, et le plus âgé 91 ans. Tous nous le disent, ils en ont assez d’être cloisonnés : Parkinson d’un côté, Alzhei­mer ou troubles psychologiques de l’autre… » Marie Fau, la présidente, acquiesce : « La diversité de nos publics nous enrichit mutuellement. Nous sommes là pour les aiguiller et les sortir de leur quotidien. »

Les Ateliers Cord’âges (200 m2 situés à deux pas du CHU de Poitiers) ont été aménagés comme une maison. Ils comportent une cuisine aménagée et adaptée aux personnes à mobilité réduite, propice aux ateliers culinaires, qui ouvre sur un immense salon et un coin détente, séparés d’un espace d’expression corporelle par de lumineuses baies vitrées. Ici, on chante, on danse ou l’on s’essaie à la gym douce. A l’entrée de la structure a été aménagé un dépôt-vente. Tenu par les bénéficiaires eux-mêmes, il permet notamment d’échanger des vêtements perdus au centre hospitalier et offerts par sa blanchisserie. « Nous l’appelons la boutique, des complicités se créent autour de ce support d’activité comme en cuisine », sourit la directrice. Le tutoiement s’est naturellement imposé au sein de la structure. Chacun s’y déchausse en arrivant, enfile une paire de chaussons, avant de saluer à la cantonade.

« Ici, j’ai retrouvé une famille »

Il y a là Pascal et son « accident de la tête » (la maladie d’Alzheimer), Mado et Paulette, deux octogénaires inséparables et placées en famille d’accueil, Jean, un bénévole « qui a du temps », ou encore Fabienne, mère de famille, qui surmonte un AVC survenu voilà cinq ans. « Ici, je suis entourée. J’ai retrouvé un équilibre », lâche-t-elle, émue. Des sorties sont organisées chaque semaine : balades en forêt, séances d’aquagym et autres parties de golf pour les volontaires. S’essayer au golf, Michèle en rêvait : « Je me suis sentie vivante ! » Cette retraitée souffre d’Alzheimer et a perdu son époux l’an dernier. « Ici, j’ai retrouvé une famille, je m’y sens bien. »

L’équipe, composée de deux salariés et d’une jeune femme en service civique, accueille entre 12 et 15 personnes chaque après-midi de la semaine. Mais pour en arriver là, Véronique David et Marie Fau ont dû convaincre leur monde. « Nous n’entrons dans aucun moule et ne pouvons prétendre aux financements de la caisse d’allocations familiales ou de l’agence régionale de santé, détaille la directrice. L’argent public se fait rare et les appels à projets sont trop aléatoires. » Pour monter leur structure, les deux femmes se sont donc tournées vers les mécènes et partenaires privés. Et leur obstination a payé. Le Fonds de dotation Jacques-André, qui aide habituellement les établissements médico-sociaux, a racheté des locaux et payé les travaux d’aménagement. Ils sont désormais mis à la disposition de l’association. D’autres partenaires ont suivi, comme le Crédit agricole ou AG2R La Mondiale, qui a choisi de financer la cuisine aménagée.

La méthode « Carpe Diem »

Cette force de persuasion, Véronique David et Marie Fau la puisent dans leur propre histoire. Encore étudiante, la première a enchaîné les petits boulots comme animatrice dans les centres socioculturels, avant de pousser les portes d’un Ehpad. Suivront près de quinze années auprès des personnes âgées. De beaux projets, suivis d’un licenciement économique et du besoin de changer de cadre. « J’avais envie de savoir pourquoi je travaillais. Je m’interrogeais sur nos besoins, sur la place de nos vieux dans la société. Là, j’ai créé l’association Part’âges afin de promouvoir la vie culturelle des aînés à domicile. C’était en 2012. Il a fallu se faire connaître, trouver des financements. Mais la demande s’est très vite manifestée », détaille la directrice de 49 ans.

Cette même année, elle rencontre Marie Fau par l’entremise de l’association France Alzheimer. Assistante géomaticienne et fonctionnaire de la ville de Poitiers, celle-ci s’implique également dans le domaine associatif et jongle entre ses multiples casquettes et sa fibre sociale. Au point de prendre un mi-temps pour suivre une formation d’aide-soignante et de partir se former au Canada à la méthode « Carpe Diem ». Dé­sormais appliquée au sein de l’association, cette pratique s’appuie sur les ressources et les capacités des malades plutôt que sur leurs déficits. A son retour, Marie Fau fondera, sur son temps libre, l’association Cordiem, un accueil de jour pour des malades d’Alzhei­mer à son propre domicile : « Travailler dans une institution, au chronomètre, m’était impossible… »

Finalement, la Poitevine de 52 ans a conservé son emploi à la ville et opté pour un engagement associatif « plus proche de [sa] philosophie ». Ses échanges à bâtons rompus avec Véronique David ont abouti, l’an dernier, à la fusion de leurs associations puis à l’ouverture du centre, il y a quatre mois. « Nous avons les mêmes valeurs, les mêmes idées ! » Et une farouche volonté de porter leur propre vision de l’aide aux personnes fragilisées. « Nous sommes les futurs vieux ! Et tout le monde ne pourra s’offrir un Ehpad. Notre centre de loisirs, par une prise en charge adaptée et un accompagnement personnalisé visant l’autonomie, peut retarder l’entrée dans ce type de structure », estiment les deux entrepreneuses, qui se battent dé­sormais pour assurer la pérennité de leur modèle. Pour l’heure, en fonction de leur quotient familial, les usagers de Cord’âges paient de 2 à 10 € par après-midi…

Les Ateliers Cord’âges

ont été fondés, à Poitiers, par Véronique David (à gauche) et Marie Fau. Ce centre d’accueil inter­générationnel, imaginé pour accompagner des personnes âgées, malades ou isolées, est ouvert les après-midi du lundi au vendredi (Tél. 06 66 04 98 03).

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