« La création d’une école inclusive est une priorité gouvernementale. Elle nécessite une révolution des esprits et une transformation de nos systèmes scolaires : un véritable changement de paradigme donc. » C’est ce qu’a rappelé, le 18 octobre, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, en ouverture du colloque « Ensemble ! Regard international sur l’éducation inclusive », à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris. Au cœur de l’été, avec Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, ils avaient déjà annoncé une série de mesures pour l’année à venir et fixer un cap : en 2022, l’école de la République sera pleinement inclusive. Un objectif déjà affiché en 2005 avec la loi sur le handicap qui consacrait alors une approche nouvelle, en indiquant que « le droit à l’éducation pour tous les enfants, quel que soit leur handicap, est un droit fondamental. Chaque école a vocation à accueillir tous les enfants, quels que soient leurs besoins ». Treize ans après, si le nombre d’élèves accueillis en milieu ordinaire a plus que triplé (passant de 100 000 en 2006 à 321 000 en 2017), des difficultés persistent.
« En France, les réformes ont commencé il y a plusieurs années mais elles demeurent insuffisantes. Nous en sommes conscients, assure Jean-Michel Blanquer. Toutefois, le sujet a progressé ces vingt dernières années. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation intermédiaire. Nous devons donc avancer. Nous avons l’obligation d’aller le plus rapidement possible pour répondre aux besoins des familles et des élèves. L’objectif n’est pas de réfléchir pour réfléchir, mais bien d’agir. Cependant, cette transformation ne peut se faire en un jour, en un coup de baguette magique. » En effet, « elle nécessite de traiter un certain nombre de questions : l’accompagnement des familles dans leurs démarches, l’accueil personnalisé des élèves, la transformation du métier d’accompagnant, l’adaptation des locaux et du matériel pédagogique, la coordination de tous les acteurs… Autant de sujets qui ont déjà connu des premiers progrès et qui vont en connaître d’autres ».
C’est en ce sens que, le 22 octobre, Jean-Michel Blanquer et Sophie Cluzel ont lancé la concertation « Ensemble pour une école inclusive », devant le Conseil national consultatif des personnes en situation de handicap (CNCPH). Annoncée le 18 juillet 2018, l’enjeu de cette concertation est d’opérer un « saut qualitatif majeur » en matière de scolarisation des enfants en situation de handicap, en s’appuyant sur l’ensemble des acteurs concernés. « Les élèves en situation de handicap témoignent de réalités, de vies, de parcours tous différents, estime Jean-Marc Huart, directeur général de l’enseignement scolaire. Nous partageons tous la même ambition : permettre à chacun de s’épanouir pleinement dans l’école. Les parents veulent que leurs enfants réussissent et qu’ils soient autonomes dans leur vie d’adulte. Il est donc de notre devoir de faire en sorte que les parcours de ces enfants ne soient pas un frein à leur réussite. L’école de la République a pour vocation de les accueillir tous. »
Concrètement, la concertation va s’appuyer sur trois axes majeurs :
• Les attendus des familles et des associations pour une scolarisation de qualité. Ces attendus seront construits en coopération avec la commission « scolarité – éducation » du CNCPH, qui auditionnera plus largement les acteurs concernés, dont les parents d’enfants en situation de handicap. « Sous le pilotage du secrétariat d’État, ce groupe de travail ainsi constitué aura pour ambition de formuler des propositions précises, pour simplifier le processus de scolarisation, rétablir une relation de confiance entre l’école et les familles à partir d’un Projet personnalisé de scolarisation revisité et envisager la création de pôles de ressources dans les établissements scolaires. »
• Un métier d’accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) attractif avec des perspectives d’avenir. D’une part, le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse conduira une concertation avec les organisations syndicales dans son agenda social, pour mieux reconnaître et valoriser les spécificités du métier d’accompagnant, et amplifier ainsi leur montée en compétence, et structurer un véritable réseau métier. D’autre part, un groupe expert, piloté par le secrétariat d’État, sera invité à co-construire un dispositif second employeur pour compléter le temps de travail des accompagnants qui le souhaitent, dans le respect de leur référentiel métier.
« Sur ces deux premiers axes, les trois groupes de travail remettront leurs propositions fin janvier 2019. Une restitution collective sera organisée le 11 février 2019, à l’occasion de l’anniversaire de la loi de 2005 », ont indiqué le secrétariat d’État et le ministère à l’issue de la concertation.
• La mise en œuvre des Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL). Expérimentés dans chaque académie depuis la rentrée 2018, ces pôles ont pour objectif d’« améliorer l’accompagnement des élèves en situation de handicap dans un projet collectif où s’élaborent et s’articulent l’évaluation des besoins éducatifs particuliers, la diversité de l’offre de formation, la différenciation pédagogique, l’organisation de l’aide humaine et le projet de l’établissement ».
Pour Sophie Cluzel, à l’heure actuelle, « nous vivons encore en contradiction : nous voulons une société inclusive alors que nous particularisons encore le handicap. On réduit trop souvent les personnes en situation de handicap à leurs dysfonctionnements, leurs troubles et ce, au détriment de la reconnaissance de leur potentialité, de leur valeur ajoutée pour la société. Pour réussir le virage inclusif, nous devons donc entamer une transformation profonde de notre approche dans tous les domaines ».
Pour y parvenir, la secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées rappelle que le gouvernement agit sur plusieurs leviers : « En faisant du handicap une responsabilité pleinement partagée par l’ensemble des départements ministériels, en changeant le regard sur le handicap et en formant les cultures professionnelles, en pensant “adaptation de l’environnement” avant “compensation”, en agissant tôt pour favoriser le développement des enfants en situation de handicap et enfin en déplaçant le centre de gravité du médico-social pour le placer en appui des lieux et des parcours de vie ordinaire, notamment des élèves en situation de handicap. Faire en sorte de scolariser tous les enfants à l’école de la République, permettre à tous les élèves d’y entrer par la même porte, est la mère de toutes les batailles. »
Présent lors du colloque « Ensemble ! Regard international sur l’éducation inclusive », Jean-Marc Huart a rappelé un certain nombre de nouveautés de la rentrée 2018 « afin de mieux informer, former et accompagner les enseignants et les personnels d’encadrement » : la formation de 750 personnels dans le cadre de formations croisées avec les professionnels du secteur médico-social et des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ainsi que la création de 100 postes d’enseignants ressources supplémentaires. « Nous avons ensuite pour objectif de multiplier et diversifier les modes de scolarisation, poursuit le directeur général de l’enseignement scolaire. Durant le quinquennat, nous allons créer 250 Unités locales d’inclusion scolaire (Ulis). Nous allons également doubler d’ici 2020 le nombre d’unités d’enseignement externalisées au sein de l’école (UEE). »
« Il y aura aussi une amélioration de la formation des professeurs et des accompagnants en construisant des parcours de formation continue associant plus largement les acteurs (les personnels enseignants, les personnels de direction, les acteurs médico-sociaux, les associations). Cette formation sera de 60 heures par an et permettra de fortement changée la donne, détaille encore Jean-Michel Blanquer. L’enjeu n’est pas seulement de former les accompagnants mais c’est aussi de former les professeurs et l’ensemble des personnels qui interviennent dans les établissements. »
Mais cette école inclusive n’aura pas grand intérêt si, une fois diplômée, la personne handicapée ne trouve pas d’emploi. Or, malgré l’obligation légale pour tout employeur d’au moins vingt salariés de compter 6 % de travailleurs handicapés dans ses effectifs, le chômage des personnes handicapées en France est de 18 % au 1er janvier 2018. C’est donc qu’il y a un problème. Ce que souligne bien Jean-François Dufresne, directeur général de la société Andros, père d’un enfant autiste, et fondateur, en 2015, de l’association « Vivre et travailler autrement » qui a mis en place un dispositif innovant permettant à une douzaine d’adultes autistes de travailler à mi-temps en milieu ordinaire et de bénéficier d’un encadrement spécialisé tout au long de la journée dans un lieu de vie adapté. « L’entreprise et l’éducation sont deux mondes qui se rejoignent malheureusement assez peu, déplore-t-il. Pour autant, il n’y a pas d’école inclusive sans société inclusive. Il n’y a pas de confiance dans l’école s’il n’y a pas de confiance dans les handicapés. L’école inclusive est une absolue nécessité mais elle s’inscrit dans la société inclusive. Donc si les personnes handicapées n’ont pas de travail après leurs études, ça ne sert à rien ! »
Annoncé en juillet 2018, cet outil pédagogique va très prochainement être mis en ligne. Appelée « Cap école inclusive, confiance, apprentissages et partage », cette plateforme est « une réponse concrète que nous essayons d’apporter à l’ensemble de la communauté éducative, car ce sont tous les professionnels (et pas seulement les enseignants) qui ont besoin d’être sensibilisés et formés au handicap, explique Martine Caraglio, haut fonctionnaire au handicap et à l’inclusion. Il ne s’agit pas de remplacer la formation initiale ni la formation continue mais de proposer une formation numérique rapide et efficace sur ces thèmes. »