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“Nous faisons de la dentelle avec le droit commun, et à bas bruit”

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Le délégué de la Diair a présenté, en juin dernier, la « stratégie nationale pour l’accueil et l’intégration des personnes réfugiées », largement inspirée des propositions du rapport d’Aurélien Taché. Désormais, avec son équipe issue de six ministères, il doit la mettre en œuvre en mobilisant, de manière coordonnée, administrations, collectivités et société civile.
Votre lettre de mission évoque une « nouvelle approche de l’intégration des réfugiés, fondée sur l’anticipation ». En la matière, Que signifie « anticiper » ?

La France compte actuellement quelque 230 000 réfugiés. Elle est passée de 25 000 nouveaux réfugiés en 2015 à 35 000 en 2016 et à 43 000 en 2017. Il y a dix ans, on accueillait environ 10 000 réfugiés par an. Puisque, vraisemblablement, le XXIe siècle sera un siècle de migration, il faut se préparer et se donner les moyens d’une approche systémique de l’intégration. Sans cela, nous aurons des réfugiés pas ou mal intégrés, ce qui ne manquera pas d’alimenter le climat général de peur et d’hostilité face à la migration.

Quelle est votre feuille de route ?

J’ai deux objectifs. Le premier est l’amélioration de la vie des réfugiés, en se plaçant de leur point de vue d’utilisateurs. C’est très concret : on parle de logement, de santé, d’emploi, d’accès aux droits, y compris les plus « quotidiens » comme l’ouverture d’un compte bancaire, la reconnaissance du permis de conduire, la mobilité… Le défi consiste, pour ce faire, à mieux mobiliser l’ensemble des services publics et de la société civique. Le deuxième objectif est de changer le regard sur les réfugiés. Le débat est aujourd’hui essentiellement émotionnel, voire « tripal ». Il est très inquiétant, même régressif. Il faut y remettre de la raison, ce qui implique de changer le regard de la société sur le sujet, en valorisant les réussites, en mobilisant le monde de la recherche [par exemple, avec le programme Lab’R] pour renforcer les connaissances, les diffuser le plus largement possible et couper court aux discours infondés. Cela passe aussi par la mobilisation de la société civile et des collectivités locales.

Comment mobiliser les collectivités ?

J’ai entamé un programme de contractualisation entre l’Etat et, à termes, une vingtaine de grandes villes. Fin 2018 ou début 2019, je devrai signer les premiers engagements territoriaux avec Strasbourg, Lyon et Bordeaux. Un peu comme en politique de la ville, il s’agit de partir d’un diagnostic de territoire puis, en fonction, de décliner tout ou partie des sept axes d’actions de la stratégie nationale. J’ai obtenu à cet effet 3 millions d’euros en 2019 et 5 millions en 2020. Les préfets de département vont avoir, de leur côté aussi, des crédits supplémentaires pour signer des contrats avec des villes moyennes et des départements. Nous allons essayer de couvrir le territoire d’engagements territoriaux. Parallèlement, je suis en train de créer un réseau des maires accueillants, qui va s’appeler le « réseau des maires Solid’R ». Nous avons d’ores et déjà recensé 300 maires engagés dans des actions d’accueil.

Et comment comptez-vous impliquer davantage la société civile ?

En valorisant l’engagement. Par exemple, nous avons lancé en juin le grand programme national de service civique, « Volont’R », dédié aux missions d’aide et d’intégration des réfugiés. Il concernera 1 500 jeunes Français et 500 jeunes réfugiés en 2019, et 5 000 en tout en 2020. Je m’apprête à lancer le programme « Mento’R » fondé sur le parrainage. Je crois beaucoup à des actions d’« entourage » des réfugiés. Nous travaillons également au développement d’applications [programme « Agi’R » ] pour favoriser la mise en relation. Mon idée est d’avoir des outils sur smartphones, dans toutes les langues, pour diriger les personnes réfugiées vers des référents locaux, aussi bien en matière d’accès au droit que de loisirs. Il s’agit de remettre de l’humain dans la relation. Enfin, cela passe évidemment aussi par le tissu associatif, déjà très mobilisé. Mais comme les crédits à l’intégration avaient fortement diminué ces dernières années, il faut les aider à se redimensionner pour remettre en route une dynamique qui s’est beaucoup contractée.

Comment résoudre, dans notre contexte de chômage, la question très sensible de l’intégration professionnelle des réfugiés ?

Objectivement, en matière d’emploi, je suis plutôt confiant. Dans le cadre du « plan investissement compétences » (PIC), le ministère du Travail injecte 15 millions d’euros pour faciliter l’intégration de réfugiés, avec un objectif de 5 000 bénéficiaires dès 2019. Il y a le programme Hope piloté par l’AFPA, le programme « Accel’R » conduit par Unis-Cité. Des initiatives sont prises, comme l’expérimentation d’une « préparation opérationnelle à l’emploi collective » sur le métier de couvreur, menée par les Compagnons du devoir et le Medef. J’ai signé aussi un premier accord avec la Fédération française des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, qui représentent 7 000 entreprises. Des initiatives sont prises également dans le monde agricole. En fait, quand je vais sur le terrain, je vois des formations à moitié vides parce qu’un certain nombre de compatriotes ne veulent pas faire certains métiers. Le défi qui se pose à la délégation, c’est plutôt de construire des réponses en adéquation avec la problématique cruciale de la maîtrise du français.

Qu’en est-il du logement ?

Avec 52 000 demandeurs prioritaires de logement en Ile-de-France – qui concentre 40 % des réfugiés – et l’augmentation du mal-logement et des sans-abri, on se retrouve dans un contexte de mise en concurrence des publics qui nourrit tous les fantasmes. Pourtant, les réfugiés ne disposent d’aucun dispositif dérogatoire, ni de coupe-file. Il faut le rappeler : nous travaillons dans le cadre du droit commun, même s’il y a des particularités et des spécificités à prendre en compte.

Le projet de loi « Asile-immigration » prévoit un dispositif de répartition géographique. Cela constitue-t-il une réponse ?

C’est un objectif. Mais il est difficile à mettre en œuvre. De toutes les façons, avant d’être une question de répartition sur le territoire, c’est une question de « produits logement ». Comment, par exemple, résoudre la question du logement des jeunes hommes isolés (20 % de la population réfugiée) alors que l’offre de logement en studio est nulle ? Par la collocation mixte, avec le programme « Colocat’R » en cours de préparation, ou encore avec des partenaires comme Action logement, avec qui nous réfléchissons à l’accès de jeunes avec contrat de travail à des petits logements. Comme pour l’emploi ou d’autres sujets, en s’appuyant sur les bonnes volontés, nous faisons de la dentelle avec le droit commun, et à bas bruit, pour que cela ne soit pas vécu comme une provocation par la partie la plus vulnérable et en détresse de la population française.

À la tête de la Délégation

interministérielle pour l’accueil et l’intégration des réfugiés (Diair) depuis janvier 2018, ce préfet et conseiller du gouvernement est un habitué des problématiques liées à l’exclusion. Au fil de sa carrière et de son engagement associatif, il a œuvré dans les champs de la politique de la ville, du logement, de la lutte contre l’exclusion…

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