Son cabinet lui avait, paraît-il, déconseillé la formule. Edouard Philippe n’a pas pu s’en empêcher : « Les CCAS sont des relais locaux… incassables », a glissé le Premier ministre en ouverture du congrès annuel de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas). Si le bon mot en a fait sourire certains, il a fait mouche dans l’oreille de la présidente de l’association, Joëlle Martinaux, rassurée par ce soutien. « Cette phrase, on va la reprendre », assure-t-elle, rappelant combien l’institution a été malmenée ces dernières années. « Les CCAS ont été touchés par les réorganisations territoriales, les métropolisations, l’évolution de la carte communale. Nos adhérents s’interrogent sur leur organisation et leurs moyens de fonctionnement. » Des interrogations auxquelles Edouard Philippe n’a pas manqué de répondre. « Nous avons besoin de vous, de l’action locale pour donner vie à la stratégie d’éradication de la pauvreté, pour mettre un terme au déterminisme social et territorial. »
Confortés dans leurs positions, les CCAS réaffirment leur place d’acteurs de proximité incontournables. Avec au cœur de leur réflexion, une question qui traverse l’ensemble de l’action sociale : celle de la coordination, thématique de cette édition 2018. Il s’agit de travailler en partenariat avec les acteurs du champ social et médico-social pour adapter les politiques à l’usager. Et non l’inverse. « On doit travailler main dans la main, pas en compétition », explique Joëlle Martinaux. La plupart des acteurs l’ont compris, les caisses d’allocations familiales (CAF), les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), les associations, pas toujours les départements. « Il y a des territoires où les relations n’existent pas du tout, où les conseils départementaux méprisent les CCAS », poursuit la présidente de l’Unccas, insistant sur le fait que ses adhérents ne sont pas en opposition avec les départements. « On demande juste à être reconnus dans la réalité des faits, d’être des acteurs de proximité, qui sont présents en permanence auprès de tous les usagers, même lorsqu’il s’agit de compétences du département. »
Cette coordination nécessaire des acteurs, certains territoires l’expérimentent concrètement. C’est le cas de la Loire-Atlantique. La collectivité met en place depuis 2015 un accueil social universel. Son objectif : permettre à tout citoyen de bénéficier d’un premier niveau d’information et d’orientation administrative, quel que soit le lieu où il se trouve. « Il ne s’agit pas d’un guichet unique mais d’un réseau partenarial. Des formations communes à l’ensemble des acteurs du territoire ont été dispensées pour favoriser l’interconnaissance et permettre de référencer toutes les ressources du territoire, explique Lyliane Jean, vice-présidente action sociale de proximité et insertion au département. Et en travaillant sur l’accueil socio-administratif, on recentre les professionnels sur le cœur du métier : l’accompagnement social. »
Cette démarche s’inscrit, à sa manière, dans l’une des mesures du plan d’action en faveur du travail social, adopté en 2015 : le premier accueil social inconditionnel(1), que déploient progressivement les territoires. En charge du suivi du plan, l’économiste François Soulage plaide pour une logique de coopération plus que de coordination. « On a du mal à sortir de la logique du silo. On se coordonne, mais chacun reste dans son métier. » La mise en place progressive du premier accueil impose, véritablement, de coopérer. François Soulage prend en exemple la création de la Maison de services au public (MSAP) de Besançon. Gérée par le CCAS de la ville, elle réunit en un même lieu une multitude de services : CPAM, CAF, mission locale, CCAS, la permanence du défenseur des droits ou encore un commissaire de police. « Quand une personne pousse la porte, elle est accueillie, écoutée, orientée, elle peut prendre un rendez-vous maintenant ou plus tard », explique Danielle Dard, présidente de l’Udccas du Doubs. Comme en Loire-Atlantique, toutes les personnes qui participent à cet accueil ont été formées. Signe de la réussite de ce projet partenarial : la MSAP comptabilisera quelque 60 000 visiteurs à la fin de l’année. « En diversifiant les lieux de la sorte, on touche d’autres personnes, remarque François Soulage. Les ruptures de la vie concernent tout le monde, mais les CCAS souffrent de ne pas être un lieu neutre, d’être connotés comme s’occupant des personnes en grande difficulté. »
L’intérêt de cette coordination est de favoriser une logique de parcours des usagers. « Nos politiques publiques ont le défaut de demander à la personne de s’adapter aux méandres du parcours. Alors que c’est l’inverse qu’il faut mettre en place », souligne Mathieu Klein, président du département de Meurthe-et-Moselle. « Plus que le guichet unique, je crois au guichet partagé. Le département peut devenir le guichet du CCAS. Et pour cela, il faut renforcer la coordination, conventionner et dépasser les questions légales. » A Tours, le CCAS défend une logique de parcours transversal, hors dispositif, de manière à croiser les publics. Des jardins partagés ont été mis à disposition, un travail sur l’accompagnement budgétaire est proposé. « On développe ces outils pour rendre les personnes actrices de leurs parcours », explique Marion Nicolay Cabanne, adjointe au maire de Tours et présidente de l’Udccas d’Indre-et-Loire. « Dans le suivi en silo, les usagers sont dépossédés de ce qui leur arrive. Or, un bénéficiaire du RSA, par exemple, est d’abord une personne qui peut réaliser des choses avec d’autres. » Chaque fois qu’une demande de domiciliation lui est faite, le CCAS propose un accompagnement social. Si l’usager l’accepte, ses travailleurs sociaux en deviennent le référent et travaillent tant sur le logement, que sur la parentalité ou la santé. « Avoir un suivi global permet d’éviter les ruptures de parcours. Et pour nos travailleurs sociaux, c’est valorisant. Le fait d’avoir décloisonné nos approches a mis en place une réelle dynamique. »
L’an prochain, le congrès annuel se tiendra les 2 et 3 octobre à Amiens, l’autre ville de Jules Verne, pour un nouveau « Voyage au centre (communal) de l’action sociale ».
Il est parfois invoqué pour justifier de l’impossibilité d’échanger les informations et donc de coopérer. Le secret professionnel est une réalité et sa violation, passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Mais il doit être manié avec discernement : être tenu au secret professionnel ne dispense pas d’échanger des informations lorsque la situation le nécessite. Bien au contraire. « Il y a une nécessité de partage autant que de protection de la vie privée, la finalité étant d’aider l’autre, explique Marie-France Callu, docteure en droit. La question qui compte, c’est “que dois-je dire et comment je dois le dire ?” » Marie-France Callu distingue trois critères : ne parlez entre professionnels que des personnes que l’on suit ensemble ; ne partager que ce qui est nécessaire pour faire avancer le dossier et, enfin, le faire en fonction de la mission de l’autre, de son métier. « On ne dira pas la même chose à toutes les personnes », conclut la juriste.