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Un système à réinventer

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Alors qu’Agnès Buzyn a lancé le 1er octobre la concertation grand âge et autonomie, un colloque organisé par Monique Iborra s’est tenu le 4 octobre à l’Assemblée nationale pour alimenter le débat autour du « 5e risque » et du modèle d’accompagnement de demain. Des réflexions qui devraient déboucher début 2019 sur des propositions concrètes.

« EN 1990, 7 % DE LA POPULATION française avait plus de 75 ans. En 2070, cette proportion s’élèvera à 18 % » avertit Jean-Pierre Riso, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa).

« A l’époque, on entrait dans les maisons de retraite jeune, valide, en continuant une vie sociale. Aujourd’hui on entre en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) âgé – 85 ans en moyenne –, dépendant, et pas toujours de son propre chef. » Notre modèle de vieillissement est à bout de souffle, et le colloque « L’accompagnement du grand âge : état des lieux et perspectives », organisé par Monique Iborra le 4 octobre à l’Assemblée nationale, était l’occasion de faire une fois de plus le constat. L’adéquation entre moyens proposés et besoins des personnes semble aujourd’hui impossible à trouver, et ce malgré un accroissement du nombre de places disponibles. « En dix ans, le nombre de places en services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et en services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD) a augmenté de 50 %, le nombre de places en accueil de jour de 250 %, et de 80 % en Ehpad », poursuit Jean-Pierre Riso. « La prise en charge à domicile souffre d’une fragilité récurrente, et doit être réformée en profondeur. Il faut décloisonner entre domicile et institution, construire des lieux d’hébergement alternatif, intermédiaire, entre médico-social et sanitaire. » Le changement de modèle est d’ailleurs souhaité par les résidents eux-mêmes, comme l’explique Régis Aubry, médecin-chercheur, spécialiste des questions d’éthique, de fin de vie et de soins palliatifs et membre du Comité consultatif national d’éthique. « L’institutionnalisation des personnes âgées les plus dépendantes et leur concentration dans des Ehpad contribuant à les exclure du reste de la société est le fruit d’une dénégation collective de ce que peut être la vieillesse et la fin de vie. Cette réalité n’est pas respectueuse des personnes lorsqu’elle procède d’une contrainte, et 75 % des résidents d’Ehpad ont exprimé le souhait de ne pas y être. Quand bien-même cette institutionnalisation contrainte est revendiquée au nom du principe de bienveillance ou de sécurité, elle est privative de liberté et de l’autonomie résiduelle de ces personnes. »

Le sentiment d’indignité serait tel que « 40 % des personnes institutionnalisées présentent des signes de dépression », ajoute Régis Aubray. « La France a par ailleurs le plus fort taux de suicide en Europe au moment de l’institutionnalisation, et il semble que ce soit un facteur d’accélération de la volonté de suicide. »

L’Ehpad, pas une fin en soi ?

Pour sortir de la vision de l’établissement érigé en mouroir, Jean-Jacques Coiplet, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire, propose de prendre en compte un parcours de vie dans sa globalité plutôt qu’un parcours de santé, en construisant l’offre à partir des attentes et non pas simplement à partir des besoins. « Si on veut encourager une réponse alternative il faut que les acteurs du logement, des loisirs, de l’emploi, de la culture… s’inscrivent dans une politique d’ensemble qui ne concerne pas seulement la perte d’autonomie. Si le libre choix est respecté, on peut avoir des réponses plus séquencées avec des allers-retours entre établissement et domicile. Les Ehpad doivent être repensés comme une étape dans un parcours de vie et pas comme une finalité. Ils devraient se transformer en plateformes de service, d’expertise, d’accompagnement pour les personnes en perte d’autonomie. »

L’Ehpad de demain, Jean-Jacques Coiplet l’imagine en « maison de promotion de la santé », proposant des accompagnements temporaires effectués par des équipes pluridisciplinaires fixes ou mobiles, de la télémédecine, de la domotique… Le tout financé par un forfait autonomie permettant des réponses graduées, distinguant entre parcours simple et parcours complexe. Du côté du professeur Claude Jeandel, président du Conseil national professionnel de gériatrie, on imagine un Ehpad hors les murs comme maillon entre domicile et hôpital. « L’aggravation de la maladie chronique amène à quitter le domicile pour l’Ehpad, et le recours des résidents à l’hospitalisation, dont le coût est de 1,7 milliard d’euros par an, les pousse à alterner ces systèmes. Ce qui créé une disparité forte entre des établissements de soins longue durée, d’autres qui tendent vers la résidence hôtelière… »

La maison de retraite à domicile (M@do) est selon le professeur une réponse « globale, holistique, avec une approche graduée des réponses, une intégration complète des prestations 7 jours sur 7, qui conserve un lien de soin avec l’hôpital ». Au programme, plateforme de téléassistance, intervenants à domicile, médecin coordonnateur, garde itinérante de nuit, objets connectés et places en Ehpad réservées. Pour un coût moyen journalier de 100 € à 105 €, soit un coût annuel de 37 000 € à 5 000 € de moins qu’en Ehpad, grâce à des frais de structure minimes.

La Croix-Rouge française propose aussi sa propre solution d’Ehpad à domicile, avec des lits d’accueil médicosociaux d’urgence pour « éviter l’urgence hospitalière », précise Ingrind Lauvray, déléguée aux personnes âgées et au domicile. « L’idée est de pouvoir programmer le retour à domicile dans de bonnes conditions lors de l’accueil d’urgence. On le fait avec tous les partenaires du domicile, afin de pouvoir évaluer la situation de la personne. Ces lits sont occupés 250 jours par an, avec un financement spécifique de l’ARS. » Et pour ne pas contraindre les résidents au moment du basculement en institutionnalisation, elle propose de conclure « des contrats de un an renouvelable, en évaluant à terme la satisfaction de l’usager, plutôt que de signer pour perpette ».

Un financement assurantiel ou assistantiel

Concernant le financement de notre futur système de vieillissement, avec la mise en place éventuelle d’un risque spécifique, les avis sont plus partagés. « Le principe qui guide notre système de santé est la contribution en fonction des moyens et la réception en fonction des besoins », rappelle Roméo Fontaine, chargé de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined). « Dans le cadre des dépenses d’aide à l’autonomie, on est loin de ce principe puisqu’on contribue en fonction de ses ressources mais aussi beaucoup en fonction de ses besoins. Des dépenses d’aide sociale allouent et mutualisent entre personnes autonomes et dépendantes, quel que soit l’âge, de manière imparfaite, le poids de la prise en charge. 92 % des dépenses de santé globales sont mutualisées – portées par les personnes malades comme les bien portantes –, via l’assurance obligatoire et les organismes complémentaires. Dans le cadre de la perte d’autonomie, 80 % des dépenses sont mutualisées, soit un reste à charge de 20 %, sachant qu’il pèse sur un nombre de ménage plus faible que pour les dépenses de santé. » Il semble alors logique à Roméo Fontaine que la puissance publique investisse en priorité sur les dépenses d’hébergement en Ehpad, principal poste de reste à charge – 3,8 milliards sur 6 – pour les ménages, en augmentant les tarifs pour accroître le taux d’encadrement et la qualité de vie des résidents. Une question subsiste, celle de la source du financement : faut-il privilégier une logique assurantielle ou une logique assistantielle ?

Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), voit dans la contribution sociale généralisée (CSG) un « véhicule particulièrement adapté du fait de son assiette et de son universalité pour prendre en charge un risque universel. Ceux là-mêmes qui manifestent contre sa hausse l’accepteraient si elle était affectée à un financement universel. Nous ne sommes pas hostiles à un financement complémentaire s’il est fixé dans un cadre interprofessionnel, solidaire, mutualisable et ne reproduit pas les inégalités des complémentaires santé. »

A l’inverse, Alexandre Tortel, directeur adjoint des affaires publiques de la Mutualité française, propose la mise en place d’une assurance dépendance obligatoire, mutualisant le risque, dans un mécanisme de solidarité intergénérationnelle. Il veut également mettre à contribution le patrimoine, une « épargne non utile car pas investie dans l’économie réelle », en ajoutant que la « solidarité nationale est le ciment de notre protection sociale. A ce titre, la question de la perte d’autonomie ne peut se concevoir sans l’intervention des pouvoirs publics, avec un besoin d’investissement important, mais aussi pour la mise en place d’un bouclier “perte d’autonomie” qui pourrait intervenir une fois un certain montant dépassé pour “caper” le coût du risque. »

Toutes ces options devront être tranchées dans le cadre de la concertation qui s’annonce, dont la synthèse sera remise en février 2019.

En résumé

• 1990 : 7 % de la population avait plus de 75 ans.

• 2070 : 18 % de la population aura plus de 75 ans.

• 75 % des résidents d’Ehpad ne l’ont pas souhaité.

• 40 % présentent des signes de dépression.

• Construir une offre à partir des attentes et non pas simplement à partir des besoins.

• Un Ehpad hors les murs, maillon entre domicile et hôpital.

• Le financement du risque : assurantiel ou assistantiel ?

La concertation des choix

« C’est un sujet technique et sociétal en même temps », explique Dominique Libault, président du Haut Conseil de financement de la protection sociale et pilote de la concertation grand âge et autonomie. « Les solutions financières sont fondamentales, mais l’enjeu est de changer le regard de notre société sur le grand âge. Voulons-nous autre chose qu’une société performative ? » Ce sera, selon lui, l’heure des choix : entre respect de la dignité et sécurité, entre des solutions proches des personnes ou homogènes sur le territoire. La réduction du coût de la prise en charge sera évidemment au cœur des débats, avec une réflexion sur « une stratégie de prévention pour diminuer la prévalence de la perte d’autonomie ».

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