LA LOI DU 14 MARS 2016 RELATIVE À LA PROTECTION DE L’ENFANCE, en préférant la notion de « besoins » à celle d’« intérêt » de l’enfant, s’est voulue plus pragmatique, plus concrète, plus opérationnelle, dès lors qu’on peut nommer certains besoins fondamentaux. Ce que s’est évertuée à faire Catherine Sellenet, professeure des universités en sciences de l’éducation et psychologue clinicienne, lors de son intervention au congrès. « La notion de “besoin” est une notion obscure, assure-t-elle. Le terme de “besoin” est défini comme une nécessité, une exigence et recouvre tout ce qui est nécessaire à l’homme pour vivre et travailler. » « Il y a un consensus sur les besoins vitaux de l’homme (un toit, de la nourriture…) mais pas nécessairement sur la forme car la reconnaissance d’un besoin peut nous opposer au niveau de sa réponse », poursuit-elle.
Et de donner un exemple : « Dormir est une nécessité, un besoin vital pour l’enfant. Cependant, quels préceptes faut-il suivre ? Il existe les partisans du “co-dodo” et les adeptes du berceau. Les premiers valorisent le dormir-ensemble au nom de la sécurité affective dont va bénéficier l’enfant au milieu des deux parents ; les autres craignent d’étouffer l’enfant, la relation fusionnelle et vantent les mérites de la sécurité physique du berceau. »
Autre problème à trancher : tous les besoins se valent-ils ? Selon Catherine Sellenet, « il existerait un méta-besoin organisant tous les autres. Ce besoin, c’est celui de la sécurité. Par cela, il faut entendre non seulement le besoin physique de sécurité, mais surtout celui d’établir des relations affectives stables avec des personnes ayant la capacité et étant disposées à porter attention à l’enfant. »
Un autre débat prend forme : comment répondre aux besoins de l’enfant ? « Le besoin de sécurité affective va enclencher plusieurs formes de réponses, affirme Catherine Sellenet. Cela suppose une identification empathique avec l’enfant, une préoccupation maternelle primaire, d’autant plus importante quand il s’agit de tout-petits. » « Pour cela, estime-t-elle, il faut tordre le cou à certaines théories. Des générations de professionnels ont été nourries à l’ombre de la théorie de la “bonne distance”. Trop près, trop sensible, trop impliqué, pire, trop fusionnel, le professionnel du social a pendant des décennies été convié à reprendre ses distances pour se protéger à la fois de la dangerosité de l’autre mais aussi de son propre déferlement émotionnel. »
« Mais distance veut dire éloignement, différence. Elle introduit un écart, un intervalle dans l’espace, au propre comme au figuré. Dès lors, le concept de “bonne distance” culpabilise tout professionnel qui n’arrive pas à se blinder. C’est pour cela qu’il est nécessaire de protéger les professionnels. Parce que la proximité que nous proposons en lieu et place de la distance comporte des risques, sans doute plus pour le professionnel que pour le bénéficiaire », ajoute-t-elle encore.
Et de considérer enfin : « Etre accompagnant exige une certaine forme de don de soi, de disponibilité, de compassion, de soutien moral…, considère-t-elle enfin. C’est une pratique qui ne se réduit pas à des actes purement techniques. Osons donc l’engagement et l’implication si nous voulons tenir les enjeux de la loi de 2016 sans oublier les avancées de la loi de 2007. Et pour cela, les professionnels auront besoin d’une institution, d’espaces de réflexion, de supervision et de formation adaptée et non d’une simple injonction à prendre leurs distances. » Ce qui n’est malheureusement pas encore tout le temps le cas…