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Le grand bazar

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Des départements qui croulent sous le poids des dépenses sociales, un taux de non-recours élevé, des places habilitées occupées par des résidents ne pouvant en bénéficier, une réduction des marges de manœuvre financières des gestionnaires d’Ehpad : une réforme de l’aide sociale à l’hébergement devient urgente.

« Dans l’avenir, l’ASH [aide sociale à l’hébergement] a des raisons d’inquiéter les départements. Les Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] sont confrontés à une multitude de difficultés qui se traduisent par des coûts qui s’amplifient, sans réponse décisive de l’Etat. Au même moment, les retraites ne sont pas épargnées par la crise des finances publiques et le début d’austérité que l’on peut voir se dessiner. »

Cette mise en garde de Jean-Louis Sanchez, délégué général de l’Observatoire national de l’action sociale (Odas), formulée à l’occasion d’un colloque organisé, le 10 septembre à Paris, par le think tank Matières grises, ne peut que renforcer la conviction du secteur de l’urgente nécessité de réformer l’aide sociale à l’hébergement.

En 2017, le coût de l’ASH pour les conseils départementaux est estimé à 1,32 milliard d’euros(1). Un poste de dépense moins important, certes, que celui de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) en établissement (2,44 milliards d’euros), mais qui pèse pour des départements financièrement exsangues. Si l’ASH prend en charge une partie ou la totalité du coût de l’hébergement d’une personne résidant dans un établissement ayant signé une convention d’aide sociale – et, le cas échéant, le talon GIR 5-6 du tarif dépendance –, elle constitue une avance qui peut être récupérée par le département, dans certains cas, auprès des obligés alimentaires (enfants et petits-enfants) ou par recours sur succession. Ce caractère récupérable a un effet dissuasif et engendre un non-recours important à l’aide. En 2017, toujours selon l’Odas, le nombre de bénéficiaires de l’ASH est estimé à 110 590 personnes, soit moins de 20 % des résidents en Ehpad. « On estime que plus de la moitié des résidents qui pourraient prétendre à l’aide sociale n’y ont pas recours », a rappelé Agnès Buzyn, le 3 avril dernier, devant le Sénat. Face à ce constat, la ministre des Solidarités et de la Santé a reconnu la nécessité de « réinterroger les mécanismes qui activent l’aide sociale à l’hébergement » afin de « garantir une accessibilité financière des Ehpad aux personnes disposant de revenus modestes sur l’ensemble du territoire, tout en permettant aux gestionnaires de disposer de certaines marges financières ».

Relever le seuil de récupération

« Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. L’aide sociale à l’hébergement est une aide importante au niveau individuel en termes financiers, mais elle est caractérisée par un taux de non-recours de 75 %. Un taux aussi élevé sur une prestation d’aide publique, cela doit nécessairement interroger le décideur public », a souligné Roméo Fontaine, chargé de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined), lors du colloque « L’accompagnement du grand âge : état des lieux et perspectives », organisé le 4 octobre à l’Assemblée nationale. Et d’ajouter : « Au moment où beaucoup parlent de recourir au patrimoine pour financer la dépendance, il faut méditer là-dessus. »

En mars dernier, dans leur rapport d’information sur les Ehpad remis à Agnès Buzyn, les députés Monique Iborra (LREM) et Caroline Fiat (La France insoumise) proposaient de réformer l’ASH « en vue de la rendre plus accessible et efficace ». Monique Iborra, corapporteure, a préconisé notamment que le seuil de récupération, actuellement fixé par l’article R. 132-12 du code de l’action sociale et des familles à 46 000 € d’actif net, « soit significativement relevé ». Auteur en mars dernier d’un rapport d’information intitulé « Ehpad : quels remèdes ? « , le sénateur Bernard Bonne (LR) a abondé dans le même sens : « Le recueil de nombreux témoignages rend compte de la profonde réticence des résidents d’Ehpad à demander le bénéfice d’un dispositif dont leurs héritiers auront à rembourser le montant. Ainsi, les résidents les plus modestes se verront contraints d’y recourir, mais on peut observer qu’à partir d’un certain niveau de ressources, très rapidement, les demandes d’ASH cessent. Par ailleurs, on estime entre 1 et 2 milliards d’euros les dépenses totales des conseils départementaux au titre de l’ASH, avec une proportion de récupération sur succession variant entre 3 et 6 %, soit entre 30 et 60 millions d’euros. Elever sensiblement, par exemple à 300 000 €, le seuil au-delà duquel il est procédé à la récupération sur succession de l’ASH n’aurait donc pas d’incidence financière majeure », a jugé le sénateur.

Remise à plat

Selon les estimations de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), l’hypothèse d’un « déverrouillage » de l’ASH, c’est-à-dire de la suppression du recours sur succession et de l’obligation alimentaire, coûterait aux alentours de 3 milliards d’euros. « Cette réforme pèserait sur les départements (dont les ressources pourraient être abondées par l’Etat) », a proposé le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) dans un rapport publié en décembre 2017, qui formulait différents scénarios pour faire évoluer l’ASH (2). « Sans aller jusqu’à la suppression pure et simple de l’obligation alimentaire ou du recours sur succession », Roméo Fontaine évoque la piste du « bouclier financier ». Le principe ? Pour soulager la pression financière sur les familles, l’idée serait d’augmenter les aides publiques après un certain nombre d’années passées en Ehpad. A partir de la troisième ou quatrième année par exemple, suggère le HCFEA, cela bénéficierait à la minorité des résidents restant de longues années en établissement.

Alors qu’a débuté, le 1er octobre, la concertation nationale sur la réforme de la prise en charge de la dépendance et que se poursuivent les travaux entre la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), l’Assemblée des départements de France (ADF) et les fédérations pour aboutir à « un ajustement » du décret relatif au tarif dépendance, Agnès Buzyn entend consacrer un chantier à « la remise à plat des règles et des pratiques concernant l’habilitation à l’aide sociale ». Et ce, en lien avec les conseils départementaux, les fédérations de gestionnaires d’établissements, et les associations représentant les personnes retraitées. Depuis 2016, dans le contexte de rigueur budgétaire, certains départements ont été tentés de pratiquer des déshabilitations plus ou moins contraintes, afin de limiter leurs engagements financiers. Des pratiques dénoncées par les fédérations, au premier rang desquelles la Fédération hospitalière de France (FHF). De leur côté, certains établissements, subissant une perte de moyens du fait de la mise en œuvre de la réforme de la tarification, ont accepté ces déshabilitations pour retrouver une marge de gestion. En avril 2017, la présidente de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) avait accepté, à la demande du GR 31 (organisations représentatives des personnes âgées et des personnes handicapées, qui siègent au conseil de la CNSA) de réunir un groupe de travail avec la DGCS et l’ADF sur la déshabilitation à l’aide sociale de certains Ehpad. « Il faut beaucoup plus de transparence et de simplification. Aujourd’hui, que ce soit la CNSA ou le ministère, on ne sait pas comment chaque département met en place l’aide sociale », souligne Monique Iborra.

Ces travaux sur l’évolution du fonctionnement de l’aide sociale à l’hébergement devraient être également l’occasion d’évoquer la solution du surloyer solidaire. Concrètement, afin de diminuer le reste à charge des plus modestes, certains acteurs du secteur sont partisans de pratiquer des prix de journée différenciés selon le niveau de ressources des résidents. En clair, de faire payer au prorata des revenus. En 2011, dans ses « 55 propositions pour relever le défi de la perte autonomie », l’ADF a été l’initiatrice d’un « surloyer de solidarité » aux non-bénéficiaires de l’aide sociale dans les Ehpad totalement habilités à ce titre. Un dispositif qui, selon l’ADF, permettrait d’atteindre dans les établissements un point d’équilibre entre la « mixité sociale » et la « solidarité inter-résidents ». Dans sa recommandation n° 5 du 11 septembre 2014, la Cour des comptes préconisait « d’autoriser la modulation par les départements du tarif hébergement à la charge des résidents des Ehpad, selon leur prise en charge ou non, au titre de l’aide sociale ». « L’idée est intéressante mais s’expose, en l’état actuel du droit, au risque d’être qualifiée de pratique anticoncurrentielle et attentatoire à la bonne information des personnes accueillies. Pour la mener à bien, une disposition législative est indispensable », a considéré le sénateur Bernard Bonne dans son rapport.

Pour « construire un système lisible qui bénéficiera directement aux personnes concernées plutôt qu’aux structures », le Synerpa (Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées) est partisan « d’une déshabilitation des Ehpad majoritairement habilités à l’aide sociale » et de la « mise en place corrélative d’un surloyer solidaire ». Dans sa plateforme politique 2017-2022, le syndicat patronal propose également de fusionner les différentes aides existantes (ASH, aides au logement, aides de la Caisse nationale d’assurance vieillesse) pour créer « une allocation unique à l’hébergement en Ehpad », dégressive en fonction des revenus du résident. Fervent partisan – voire militant – du « surloyer solidaire » depuis 2015, le Groupe SOS (voir page 24), poids lourd de l’économie sociale et solidaire, a publié en mai dernier un plaidoyer intitulé « Relevons le défi du grand âge » afin de diffuser l’idée d’étendre « ce modèle économique, juste et innovant » aux Ehpad publics et associatifs qui le souhaitent.

Les opposants à ce modèle pointent les risques de dérives vers un « deux poids, deux mesures ». L’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) craint que, « dans le modèle proposé, tout accueil de personnes habilitées à l’aide sociale se traduise automatiquement par un surcoût pour les autres usagers. » L’Uniopss souligne également que ce « surloyer de solidarité » ne serait pas assumé par les résidents des établissements non habilités à l’aide sociale.

« L’inspection générale des affaires sociales a été missionnée, fin août, pour investiguer en profondeur sur le fonctionnement de l’ASH et sur l’habilitation à l’aide sociale, et formuler des propositions de réforme. Son rapport est attendu pour la fin octobre 2018. Il est fort possible qu’il vienne alimenter la concertation nationale “Grand âge et autonomie”, car la question la plus cruciale actuellement en Ehpad est celle du tarif hébergement », souligne Clémence Lacour, responsable relations institutionnelles à la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées (Fnaqpa).

Les règles en vigueur

Les établissements peuvent être habilités à l’aide sociale sur l’ensemble (habilitation totale) ou sur une partie de leurs places (habilitation partielle). Selon une étude de la Drees(1), dans le secteur public, une grande majorité des Ehpad sont sous habilitation totale (93 %), alors que ce n’est le cas que de 4 % des Ehpad privés à but lucratif. Près de 6 Ehpad privés lucratifs sur 10 n’ont aucune place habilitée à l’aide sociale. Dans le privé non lucratif, 91 % des établissements disposent de places habilitées et 3 Ehpad sur 4 sont habilités à l’aide sociale pour l’ensemble de leurs places.

Notes

(1) « Dépenses départementales d’action sociale en 2017 : un effritement inquiétant des marges de manœuvre » – Lettre de l’Odas – Mai 2018.

(2) « La prise en charge des aides à l’autonomie et son incidence sur la qualité de vie des personnes âgées et de leurs proches aidants » – HCFEA – Décembre 2017.

(1) « L’accueil des personnes âgées en établissement : entre progression et diversification de l’offre. Résultats de l’enquête EHPA 2015 »  – Septembre 2017, n° 20.

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