« LA LOI “ELAN” CONSTITUE L’ATTAQUE LA PLUS VIOLENTE DEPUIS 32 ANS (et la loi “Méhaignerie”) menée par un gouvernement contre le logement des classes populaires », a réagi l’association Droit au logement (DAL) suite à l’accord de la commission mixte paritaire (CMP) du 19 septembre. Réunissant 14 députés et sénateurs, la CMP a abouti à la version finale du projet de loi, après plusieurs mois de débats dans les deux chambres. La fronde des associations n’a pas été apaisée par le déplacement d’Edouard Philippe consacré à la loi « Elan », le 26 septembre, au cours duquel le Premier ministre a annoncé que la présence d’un ascenseur dans les immeubles neufs serait rendue obligatoire à partir de trois étages, et non plus quatre.
« L’ascenseur à partir de trois étages, cela fait 30 ans que c’est prévu dans la loi, mais le décret d’application n’avait jamais été pris… C’est une annonce pour mieux faire passer le rétablissement des quotas de logements accessibles dans la loi “Elan”. Une mesure qui, elle, nous fait remonter 40 ans en arrière », déplore Henri Galy, président du Comité pour le droit au travail des handicapés et l’égalité des droits. Jusqu’alors, les logements neufs devaient tous répondre aux normes d’accessibilité handicap. Ce taux de 100 % de logements accessibles est inscrit dans la loi depuis 1975, date de la fin des quotas, jugés intrinsèquement discriminants. L’article 18 du projet de loi « Elan » acte le retour à ces quotas. Entre l’Assemblée nationale, favorable à 10 % de logements accessibles, et le Sénat, proposant 30 %, s’est joué un débat que Henri Galy qualifie de « marchandage pitoyable ». La CMP a coupé la poire en deux : ce sera 20 %. Soit une réduction de 80 % des logements neufs soumis aux normes « handicap ». Les manifestations des associations appelant au retrait de cet article n’auront pas eu d’effet, pas plus que les prises de position du défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme.
« Une obligation de quota de logements accessibles contreviendrait aux principes même d’une société inclusive. Elle aurait pour effet d’assigner une partie de la population à des lieux non choisis », écrivait le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) dans un avis du 15 mars dernier. Le CNCPH demandait de préciser la notion de « logements évolutifs » inscrite dans le projet de loi « Elan ». Selon le texte final, si seuls 20 % des logements neufs doivent être accessibles, 100 % doivent être « évolutifs ». « Concrètement, les volumes et équipements seront conçus de sorte qu’ils puissent être modifiés facilement et à moindre coût, comme par exemple le déplacement d’une cloison ou la réversibilité d’une baignoire en douche », a expliqué le cabinet de Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, dans un communiqué, précisant que « l’accessibilité des parties communes, du séjour et des toilettes est garantie ». Reste la question du coût de ces travaux. « Une cloison à casser, un plafond à refaire, une douche à changer… Pour couvrir ces frais, les bailleurs sont certes aidés par des financements, mais ceux-ci mettent 6 à 18 mois à arriver », explique Henri Galy. « Des travaux, même simples, exigent de faire appel à un professionnel, impliquent des frais, des demandes de subventions, des délais… » De quoi faire basculer le choix des bailleurs entre un locataire valide pouvant emménager immédiatement, et un autre en situation de handicap ayant besoin d’aménagements.
Les associations ont tenté, en vain, de limiter l’impact de la régression sur les normes d’accessibilité. « Nous avions fait passer un seul amendement au Sénat : intégrer dans l’éligibilité au DALO [droit au logement opposable] les personnes handicapées qui sont dans un logement non accessible et ont besoin d’en changer. Le Sénat l’a voté. Mais la CMP l’a supprimé, sans aucune explication ! », raconte Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre. « Refuser aux personnes handicapées un logement accessible… On est abasourdis. On s’était dit que c’était au moins l’occasion pour eux de se rattraper un peu sur le volet accessibilité », regrette-t-il.
Autre point de friction, le volet sur les squats et les expulsions. L’article 58 ter supprime la trêve hivernale pour les occupants sans titre. « On revient à la situation qui prévalait à la loi “Alur”, lorsque les préfectures expulsaient pendant l’hiver », explique Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL. « Depuis 2014, c’est au juge, non plus à la préfecture, de prendre la décision. Mais le projet de loi “Elan” redonne la main aux préfectures. Comme avant, on va expulser en plein hiver. » Les occupants sans titre pourront également se voir supprimer le délai de deux mois entre le commandement de quitter les lieux et l’expulsion effective. Les associations disent pourtant avoir « échappé au pire ». Elles ont obtenu l’abandon de la pénalisation des squatteurs (à hauteur d’un an de prison et 1 500 € d’amende) réclamé par le Sénat, ainsi que l’entrée des logements vacants dans la catégorie des domiciles et résidences secondaires.
Une disposition assez inédite, cette fois pour les occupants signataires d’un bail, fait réagir : la commission mixte paritaire a confirmé la proposition des sénateurs permettant aux bailleurs de résilier le contrat de location de toute une famille si l’un des membres a été condamné pour trafic ou détention de stupéfiants. « C’est une double peine, une peine collective, qui ne fait qu’aggraver la situation sociale et déplacer le problème, s’indigne Manuel Domergue de la Fondation Abbé-Pierre. Cette porte ouverte nous inquiète. Un logement c’est un droit, pas une récompense pour bons élèves. »
Concernant les expulsions pour impayés, le secrétaire d’Etat à la cohésion des territoires, Julien Denormandie, a mis en avant lors des Assises du Logement d’abord « un volet de la loi qui vise à prévenir les expulsions », grâce à la « mise en coordination entre procédures d’expulsion et procédures de surendettement ». Le plan global de remboursement proposé par la commission de surendettement prévaudra sur la décision du juge qui accorde les délais pour régler les impayés. Mais pour en bénéficier, encore faut-il que la commission statue sur la « bonne foi » des ménages endettés ; or celle-ci est conditionnée à la reprise du paiement de leur loyer. Jean-Baptiste Eyraud, du DAL, met en garde contre des mesures faussement positives : « A partir du moment où la commission statue négativement parce qu’un ménage ne peut pas payer, tous ces dispositifs lui passent sous le nez. On s’inquiète d’une expulsion plus rapide des ménages les plus pauvres. » De fait, le projet de loi « Elan » prévoit « dans le cas contraire », c’est-à-dire celui d’un défaut de paiement ou d’une non-sollicitation des délais de paiement, « de faire exécuter immédiatement l’expulsion ».
S’agissant des types de contrats, le projet de loi « Elan » acte la création d’un « bail mobilité meublé » pour les locataires en mutation ou en formation professionnelle. « Rien ne dit que ça ne va s’appliquer qu’à ces personnes », souligne Manuel Domergue. « Le risque, c’est que ce soient les précaires qui alignent les baux précaires. » D’une durée de huit mois au maximum, ce contrat n’autorise pas de renouvellement de bail, ni de possibilité de réclamer la mise aux normes du logement. « C’est le même raisonnement que dans l’entreprise : faut-il faciliter le licenciement pour encourager l’embauche ? Faut-il précariser le bail pour augmenter l’offre de logements ? », pointe le directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre.
La loi « SRU » (relative à la solidarité et au renouvellement urbains), qui oblige les communes à disposer de 25 % de logements sociaux, est également retouchée. Les communes entrées dans le dispositif après 2015 bénéficieront d’un délai supplémentaire de 15 ans. De plus, certaines mesures permettent de gonfler les chiffres du logement social. Les logements en location accession et ceux loués en bail réel solidaire seront pris en compte dans le décompte « SRU ». Le projet de loi « Elan » prévoit également de mutualiser, à l’échelle intercommunale, l’objectif de 25 %, dès lors que les communes comptent chacune déjà au minimum 20 % de logements sociaux. Une mesure d’« expérimentation », mais qui relève, selon Jean-Baptiste Eyraud du DAL, d’une « idée générale d’édulcoration de la loi “SRU” ».
Parallèlement, le projet de loi « Elan » ouvre la possibilité de la privatisation du financement du parc HLM. Avec la baisse des APL et celle des aides à la pierre, déjà engagée sous le gouvernement Hollande, les recettes des bailleurs sociaux se tarissent. « On les met à genoux, et derrière on fait appel à des investisseurs privés », résume Jean-Baptiste Eyraud. Les bailleurs sociaux ne s’appuieront plus seulement sur les aides à la pierre, leur fonds propre, le livret A ou les ventes de logements : le projet de loi « Elan » leur permet de faire appel à des capitaux privés. « Le lent processus de marchandisation du logement social s’est accéléré. Nous allons vers un modèle libéral et plus précaire, tant pour les bailleurs que pour les locataires. On passe d’une logique sociale à une logique de gestion patrimoniale », s’inquiète le porte-parole du DAL.
Les objectifs de vente de HLM sont rehaussés à 40 000 par an, contre 8 000 aujourd’hui. Pour permettre aux municipalités de trouver l’équilibre entre ces objectifs et l’exigence des 25 %, les logements vendus resteront dans le décompte SRU dix ans, au lieu de cinq. Pour l’association de consommateurs Consommation, logement et cadre de vie, ce n’est « ni plus ni moins qu’un détournement de l’esprit de la loi. Cela conduit à gonfler artificiellement la taille du parc HLM, sans garantie d’une reconstitution de l’offre. » Contrairement à la version initiale du texte, l’avis des maires sera requis pour ces ventes de logements sociaux, mais uniquement dans les communes carencées n’ayant pas atteint les 25 % imposés par la loi « SRU ». « Encourager la vente de ces logements à des investisseurs privés relève de la grande braderie et ne peut remplacer un financement public pérenne des bailleurs sociaux », tranche le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Le texte sera voté à l’Assemblée nationale le 4 octobre puis par le Sénat, avant son passage devant le Conseil constitutionnel, pour une promulgation mi-octobre.
• Plus que 20 % des logements neufs soumis aux normes handicap.
• Objectif annuel de ventes HLM : 40 000 (8 000 actuellement).
• Suppression de la trêve hivernale pour les occupants sans titre.
• Expulsion des familles dont l’un des membres a été condamné pour trafic ou détention de stupéfiants.
• Création d’un « bail mobilité meublé ».
• Les bailleurs sociaux pourront faire appel à des capitaux privés.