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Une stratégie loin de convaincre

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Un an après le lancement de la stratégie quinquennale « Logement d’abord », qui vise à accélérer l’accès au logement pour les plus démunis, les objectifs fixés sont encore loin d’être atteints. Invitées aux assises nationales de la Fédération des acteurs de la solidarité les 27 et 28 septembre, les associations ont fait part de leurs interrogations, voire de leurs inquiétudes.De notre envoyée spéciale à Amiens.

LORS DE SON LANCEMENT par Emmanuel Macronen septembre 2017, le plan quinquennal « Logement d’abord » avait été salué par les associations. Cela faisait près de dix ans qu’elles l’appelaient de leurs vœux, au vu des bons résultats que cette stratégie a produits dans les pays scandinaves en matière de réduction du sans-abrisme. Un an plus tard, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et les quelque 700 congressistes issus du milieu associatif se sont essayés à un premier bilan, alors que la situation est loin d’être favorable pour les plus démunis. La population des sans-abri a en effet crû de moitié en 10 ans, les accueils de jour restent débordés, tandis qu’on introduit ici et là des restrictions pour l’accueil des familles dans les dispositifs d’hébergement d’urgence. Et malgré un plan spécifique mené par la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) pour prévenir les expulsions locatives, les chiffres sont pour le moment « catastrophiques », selon Florent Gueguen, directeur de la FAS, avec 140 000 familles sous le coup de procédures.

« Logement d’abord », qui vise à permettre un accès au logement direct et rapide des personnes les plus défavorisées en renforçant l’accompagnement, avait pourtant opéré un réel changement de paradigme. Jusque-là, la logique des « parcours en escalier », qui institue un passage obligé des personnes sans abri par des dispositifs d’hébergement d’urgence avant de pouvoir accéder à un logement, entraînait la saturation des dispositifs et, souvent, des allers-retours des personnes entre la rue et l’hébergement.

Une concurrence avec l’hébergement ?

« 80 à 85 % des personnes qui ont bénéficié d’un dispositif de type “Logement d’abord” sont encore dans leur logement deux ans après, explique Louis Gallois, président de la FAS. Ce sont souvent des personnes dont on a pensé qu’il n’était pas possible qu’elles y accèdent, que cela irait trop vite et qu’il fallait qu’elles prennent l’“escalier”. Quand on leur offre une possibilité de logement et que celui-ci est accompagné, cela marche. »

Alors que tous les acteurs associatifs s’accordent à dire que les objectifs fixés par « Logement d’abord » vont dans le bon sens – 40 000 prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) par an, 10 000 pensions de familles et 40 000 intermédiations locatives d’ici à 2022 –, nombre d’entre eux expriment la crainte d’une mise en concurrence de cette politique avec celle de l’hébergement, rabotée par des restrictions budgétaires de l’ordre de 57 millions d’euros sur quatre ans. Pourtant, les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) sont les acteurs privilégiés de l’accompagnement et de l’insertion des publics les plus démunis vers le logement. « Cette mise en difficulté du secteur des CHRS va se traduire par moins d’accompagnement et va donc impacter le programme “Logement d’abord” », souligne Louis Gallois. D’autant que, pour Florent Gueguen, le système de financement de l’accompagnement social est « bloqué », car issu d’un fonds alimenté par les pénalités de la loi « Dalo » payées par l’Etat – qui varie fortement d’une année sur l’autre et ne donne pas aux associations une visibilité budgétaire pour l’année – et par les départements, dont les ressources sont en baisse.

Autre source d’inquiétude pour les associations, le secteur du logement social, fragilisé par la réduction de loyer de solidarité (RLS) décidée par le gouvernement pour compenser la baisse des aides personnalisées au logement (APL). « On est pour l’instant dubitatifs, voire même inquiets pour la réalisation d’un certain nombre d’objectifs du plan, notamment sur la production : l’environnement économique du logement social est un frein à l’investissement des bailleurs pour atteindre les objectifs de l’Etat de 40 000 PLAI par an, souligne Florent Gueguen. Objectif qui n’est déjà pas assez ambitieux pour nous : la moyenne actuelle est de 35 000 PLAI par an, et l’on n’est même pas sûrs que l’Etat y parviendra, car la réduction du loyer de solidarité entraîne une baisse non seulement des capacités d’investissement des bailleurs sociaux, mais aussi de leurs dépenses de fonctionnement, d’entretien du parc et d’accompagnement des locataires. »

Vu de la Dihal, et vu de Bercy…

« Tout fonctionne comme s’il y avait deux “Logement d’abord”. Un porté par la Dihal, qui a fait du bon boulot, et un autre vu du côté de Bercy, qui ne cesse de faire des économies sur l’hébergement », estime René Dutrey, secrétaire général du Haut Comité au logement des personnes défavorisées.

« Il ne suffit pas de fixer une stratégie, quand bien même elle serait bonne, voire très bonne. Il va falloir mettre des moyens, martèle Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Si on réduit de 3 milliards et demi les APL pour les ménages d’un côté et pour la capacité de production des bailleurs de l’autre, le risque est qu’on sorte effectivement des personnes du mal-logement, mais qu’on en fasse tomber d’autres. L’année dernière, une faiblesse était déjà apparue dans les statistiques de production. Celle-ci va sans doute repartir pour les PLAI, mais quelle est la politique de construction globale ? »

Et les chiffres apportés en clôture des assises de « Logement d’abord » par Julien Denormandie, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires, ne sont pas de nature à rassurer davantage le secteur associatif. Alors que seulement 2,5 % des logements sociaux bénéficient à des personnes en sortie de centres d’hébergement, Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, s’était engagé à augmenter ce taux de 30 %. S’il y a eu cette année 8 800 attributions supplémentaires, l’objectif n’a pas été atteint. D’après le secrétaire d’Etat, 40 000 PLAI devraient bien être construits d’ici à la fin de l’année, mais en ce qui concerne les 40 000 intermédiations locatives sur cinq ans, seules 2 600 ont pour le moment été mises en place. Même constat du côté des pensions de famille : seules 2 régions sur 13 atteignent actuellement les objectifs assignés par l’Etat. Quant aux logements dédiés en priorité aux personnes ayant obtenu le statut de réfugiés, seuls 6 000 logements ont été identifiés pour environ 10 000 réfugiés, alors que le gouvernement visait 20 000 réfugiés logés cette année.

« La copie n’est pas parfaite », reconnaît Julien Denormandie, s’excusant de ne pas encore avoir d’éléments de réponse sur certains points. « Notre détermination est absolue pour mener ces politiques à leur terme. Des mesures de modifications pourront être prises en concertation avec les associations, poursuit-il. On le constate, certains centres d’hébergement n’arrivent pas à absorber cette restriction budgétaire, il faut que l’on trouve des mesures de correction. Dans le cadre du plan pauvreté, nous avons obtenu des budgets supplémentaires sur l’accueil, avec un certain nombre de priorités : la sortie de la pauvreté et de l’hébergement d’urgence vers le logement, en priorisant les familles et les femmes. Sur l’année prochaine, 20 à 25 millions d’euros seront déployés, et nous verrons comment utiliser une partie de ces financements pour soutenir les CHRS qui sont en difficulté alors qu’ils portent ces priorités d’actions. »

Reste la question majeure de l’articulation de cette stratégie. Un an après son lancement, les territoires en sont encore à s’interroger sur sa mise en place. « On compte 60 mesures formulées à l’infinitif : il s’agit davantage de buts que d’objectifs opérationnels, souligne Philippe Dumoulin, président de la FAS Hauts-de-France. Il n’y a pas de calendrier posé et tout est laissé à l’initiative locale. 24 territoires ont répondu à l’appel à manifestation d’intérêt et vont se lancer dans une mise en œuvre accélérée, mais il faut que la stratégie se diffuse sur l’ensemble des territoires. Ce n’est pas encore le cas. Cela devrait être à l’Etat de préciser les articulations entre préfecture, direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et tous les acteurs, associations et bailleurs. » Or, Julien Denormandie l’a assuré, l’Etat se cantonnera à son rôle de « facilitateur », devant parfois reconnaître qu’il « n’a pas la capacité d’agir autant que les acteurs » dans certaines politiques publiques.

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