Les textes (deux décrets et trois arrêtés) instituant en France l’activité d’infirmier en pratique avancée(IPA) ont été publiés le 19 juillet au Journal officiel. Une naissance au forceps après d’intenses tractations entre les syndicats infirmiers, ceux de médecins et leurs ordres respectifs sur le périmètre d’intervention, les prérogatives et le niveau d’autonomie de ce nouveau métier. Un épilogue qui laisse, toutefois, un goût d’inachevé pour les représentants du corps infirmier. « Même si les textes auraient pu aller plus loin en donnant davantage d’autonomie aux futurs IPA, la création de ce nouveau professionnel de santé constitue une réelle avancée pour la profession, mais surtout pour l’amélioration de l’accès aux soins », a commenté Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers. Face au « vieillissement de la population », à « l’explosion des maladies chroniques » et à « l’inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire », l’IPA contribuera « à combler un déficit dans l’offre de soins », s’est-il satisfait. Pour sa part, Cécile Barrière, infirmière coordinatrice au sein du réseau gérontologique Alp’Ages coordination et membre du comité de pilotage du GIC-Repasi (réseau de la pratique avancée en soins infirmiers) de l’ANFIIDE, explique : « Le système de santé français est très médico-centré. Parvenir à tout bousculer en une seule fois est un exercice périlleux. Enormément de concessions ont été faites. Ces textes sont l’étape du “pied dans la porte”, et nous allons pouvoir montrer que l’IPA peut faire encore plus. Aujourd’hui, la profession qui reste le plus à convaincre de l’intérêt de la pratique avancée est celle d’infirmier. »
Alors que les premières formations ont vu le jour en septembre dernier, le gouvernement s’est engagé à former 5 000 IPA avant la fin du quinquennat, en 2022. Pour l’heure, l’IPA peut intervenir dans trois domaines : pathologies chroniques stabilisées ou polypathologies courantes, oncologie et maladies rénales chroniques.
Dans un second temps, ce champ d’intervention devrait être élargi en 2019 à la santé mentale et la psychiatrie et « à d’autres domaines », selon la direction générale de l’offre de soins (DGOS). Certains ont déjà déploré que la gérontologie ne figure pas dans les domaines d’intervention. Dans une position adoptée le 6 avril 2017, le Conseil national de l’ordre des infirmiers considérait : « Les patients vieillissants polypathologiques nécessitent une réflexion devant la complexité des parcours de prise en charge. L’IPA est à même de réaliser la coordination du parcours de soins et des différents acteurs intervenant dans celui-ci (professionnels de santé, mais aussi acteurs du champ social et médico-social). L’IPA favorise l’individualisation du projet de soins, en tenant compte de l’environnement au sens large de la personne âgée en perte d’autonomie. »
Infirmière en pratique avancée en gérontologie (IPAG) depuis neuf ans au sein d’une équipe mobile de gériatrie du centre hospitalier de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), Christine Lenouvel critique : « En diluant la gérontologie dans le module “pathologies chroniques stabilisées et polypathologies courantes en soins primaires”, le ministère n’a pas pris en considération les spécificités de la prise en charge du sujet âgé. C’est un virage que l’on a raté au niveau français. La question est de savoir si les facultés mettront assez de gérontologie dans leurs enseignements. Il est incompréhensible que le ministère n’ait pas créé ce domaine d’intervention de la gérontologie alors qu’il était expérimental tout comme la cancérologie. »
Il faut préciser que les infirmiers en pratique avancée en gérontologie ont joué le rôle d’éclaireurs, puisqu’il existait déjà deux master 2 en sciences cliniques infirmières comportant une spécialité « infirmière de pratique avancée en gérontologie » (à l’université d’Aix-Marseille-EHESP et à celle de Paris-Diderot). « On a montré que les compétences étaient là et que la spécialité “gérontologie” était nécessaire. Toutes les maladies chroniques et polypathologies ne concernent pas que des patients âgés et on n’a pas les mêmes problématiques chez une personne âgée. La pratique avancée en gérontologie est déjà reconnue dans d’autres pays », souligne Pascal Lambert, infirmier libéral de pratique avancée en gérontologie, titulaire depuis 2012 du master sciences de la santé, mention « sciences cliniques infirmières », spécialité « infirmier de pratique en gérontologie », délivré par la faculté de médecine de Marseille et l’EHESP.
Fort de son expérience en libéral, Pascal Lambert est convaincu que l’IPAG « peut servir de référent » dans la prise en charge gérontologique, notamment à domicile. « Avec l’évaluation gérontologique multidimensionnelle, je prends du temps qu’un médecin ne peut pas prendre. Cela évite d’envoyer des personnes âgées en hôpital de jour ?, note-t-il. Dans le respect du parcours de soins du patient coordonné par le médecin traitant, l’IPA apportera son expertise et participera à l’organisation des parcours entre les soins de premier recours, les médecins spécialistes de premier ou deuxième recours et les établissements et services de santé ou médico-sociaux. » Quel sera, demain, le positionnement de l’IPA par rapport à l’infirmière coordinatrice (Idec) ou au médecin coordonnateur en Ehpad ?
« Former des IPA dans le parcours gérontologique a du sens, surtout compte tenu de la démographie médicale et des besoins dans les structures telles que les Ehpad, considère Cécile Barrière. Mais dire que l’on va mettre des IPA en Ehpad alors que l’on manque de professionnels pour les soins, ça n’a, pour le moment, pas de sens. Les Ehpad auront toutefois besoin de professionnels de mieux en mieux formés. Un IPA dans une institution permettra une montée en compétences de tous les professionnels qui y travaillent. Quand les Ehpad veulent avoir des infirmiers de nuit pour éviter les hospitalisations en urgence, un IPA apportera une formation clinique en plus, un échelon d’expertise supplémentaire avant l’appel aux urgences. »
Christine Lenouvel, quant à elle, témoigne : « On intervient en Ehpad pour faire de la formation afin de lutter contre les motifs inappropriés d’adressage aux urgences, d’aider les équipes à analyser les situations et de favoriser les hospitalisations en direct dans les services de médecine gériatrique. » Avant d’énumérer : « La plus-value de l’IPA en gérontologie en Ehpad est réelle. Ce professionnel peut effectuer l’évaluation gériatrique standardisée à l’entrée du nouveau résident, repérer les problématiques nutritionnelles, de chute, les risques de confusion, effectuer les bilans de mémoire, lister les médicaments inappropriés pour le sujet âgé. Et remonter tous ces éléments au médecin traitant ou au médecin coordonnateur. » Puis de pointer : « Créée en 2017, l’Association française des infirmiers en pratique avancée en gérontologie a interpellé l’Etat. Nous avons le soutien des médecins gériatres au niveau hospitalier et de directions d’établissements. Nous essayons d’obtenir également le soutien des gériatres de la Société française de gériatrie et gérontologie. » Un nouveau chapitre de négociations à ajouter à l’histoire – déjà mouvementée – de cette jeune profession ?
Selon la définition de 2008 du Conseil international des infirmiers, « une infirmière qui exerce en pratique avancée est une infirmière diplômée qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession. Les caractéristiques de cette pratique avancée sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer ».
Le décret du 18 juillet 2018 précise que la pratique avancée recouvre des activités d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage ; des actes d’évaluation et de conclusion clinique, des actes techniques et des actes de surveillance clinique et paraclinique ; ainsi que des prescriptions de produits de santé non soumis à prescription médicale, des prescriptions d’examens complémentaires, des renouvellements ou des adaptations de prescriptions médicales.
La formation, ouverte aux titulaires d’un diplôme d’Etat d’infirmier ou d’une équivalence européenne, durera deux ans. Elle a commencé depuis septembre 2018 dans plusieurs universités (Bordeaux, Caen, Limoges, Paris, Rouen, Toulouse…).