SI LA PSYCHIATRIE A FAIT L’OBJET DE PLUSIEURS RAPPORTS ces dernières années, la psychiatrie des enfants et des adolescents n’a, de son côté, que très rarement été étudiée de manière spécifique. Et encore moins à l’échelle européenne. Ce qui prouve l’importance des travaux menés par le réseau Enoc et rendus publics le 21 septembre. Plus précisément, dans le cadre de sa 22e conférence annuelle sur le thème « Droits de l’enfant et bien-être, promouvoir la santé mentale », l’Enoc a publié un rapport visant « à apporter un premier aperçu européen de la situation relative à la santé mentale des enfants et des adolescents ».
Tout d’abord, cette étude montre que, en raison d’une définition propre à chaque pays et du fait que cette discipline recouvre de multiples domaines, les statistiques disponibles sur la santé mentale sont particulièrement diverses. « Les données sont parcellaires et ne permettent pas par conséquent de disposer d’une vision globale sur la santé mentale des enfants et des adolescents en Europe », peut-on notamment lire dans le rapport. Seule homogénéité constatée : « La santé mentale paraît peu considérée dans les enquêtes ou programmes nationaux des pays des institutions répondantes, en particulier s’agissant des enfants et adolescents », et ce alors même que pour chaque pays « la santé mentale constitue un enjeu majeur de santé publique ».
« On ne peut pas faire une comparaison linéaire, confirme Geneviève Avenard, la défenseure des enfants. On ne trouve pas un pays dans lequel tout est parfait. Selon le type de troubles (addiction, dépression, troubles alimentaires…), la situation des pays n’est pas la même. La réponse est donc sectorielle. De même, au regard des structures d’accueil et des réponses, aucun pays n’est homogène. » « En revanche, il est possible de dire que, d’une manière générale, les difficultés rencontrées en France (manque de personnels spécialisés, difficultés d’accès aux structures, non-respect des droits de l’enfant, stigmatisation…) se retrouvent, à des degrés divers, partout en Europe », ajoute-t-elle.
Malgré la difficulté d’obtenir des données homogènes, le rapport de l’Enoc permet de tirer certaines conclusions alarmantes. Ainsi, l’un des enseignements de cette étude est que, à l’échelle européenne, il y a des inégalités territoriales et sociales en matière de santé mentale et qu’elles tendent à s’aggraver. « Les principales inégalités territoriales sont : l’inégale répartition des spécialistes, le nombre insuffisant de professionnels de santé en particulier dans le secteur de la pédopsychiatrie, des services avec de longs délais d’attente », déplore ainsi le réseau européen des défenseurs des enfants. « S’y ajoutent les inégalités liées à la situation financière des familles. Là où l’offre existe, certaines familles n’ont pas de ressources suffisantes pour bénéficier d’une consultation auprès de psychologues, de médecins spécialistes ou encore de thérapeutes », s’inquiète encore l’Enoc. Et de constater que, par exemple, « au Monténégro, aucun établissement ne prend en charge les troubles psychiatriques chez les enfants et aucun professionnel spécialisé n’est accessible ».
Autre conclusion préoccupante : les services sont saturés, ce qui se traduit « par des délais d’attente particulièrement longs pour une première consultation et l’impossibilité d’offrir une prise en charge qui s’inscrive dans le temps ». Ainsi, « en France, les capacités d’hospitalisation en psychiatrie infanto-juvénile ne représentent que 5 % des capacités d’hospitalisations complètes alors que les enfants et adolescents suivis par ce secteur représentent 26 % de l’ensemble des patients suivis par ce secteur ». Ou encore, s’agissant des délais d’attente, le rapport indique qu’ils « peuvent aller jusqu’à 18 mois pour une prise en charge dans une unité de soins ambulatoires en Islande ».
Présent lors de la remise du rapport, Jacques Toubon, le défenseur des droits, a estimé que « de nombreuses situations non respectueuses des droits des jeunes ont été relevées dans cette enquête. Il y a par exemple l’absence de consentement des enfants et des adolescents, le déficit d’informations délivrées aux patients mineurs ainsi qu’à leurs représentants légaux, l’absence de dispositif en faveur de la participation des jeunes. ». Et d’en cibler une plus particulièrement : « Nous avons aussi fréquemment observé la présence de patients mineurs dans des services pour adultes. » « Cette situation est inhérente à l’absence de structures appropriées et à la pénurie de lits en pédopsychiatrie avec des territoires qui en sont totalement dépourvus, explique l’Enoc. Les jeunes sont hospitalisés dans des conditions qui ne permettent pas toujours de garantir leur intérêt supérieur et d’offrir une prise en charge dans des services adaptés à leur âge avec des professionnels formés à la pédopsychiatrie. »
Et de citer l’exemple de l’Italie où, « face à la pénurie de lits (seulement 325 lits au niveau national), il a été admis dans certaines régions, que les plus de 16 ans puissent accéder à des services pour adultes, mais cela est parfois le cas également pour des moins de 16 ans quand aucune autre solution n’a été trouvée. Ainsi, en fonction des régions, entre 10 et 30 % des admissions des mineurs sont faites au sein d’un service pour adultes. » Selon Jacques Toubon, « la conclusion de ce rapport est que l’on ne peut pas considérer les enfants comme des adultes ». « Il faut prendre en charge leurs besoins spécifiques. Ce sont des individus en développement, ils doivent donc être pris en charge par des personnels spécialement formés pour leur apporter des réponses adaptées, estime encore le défenseur des droits. Cela peut paraître évident mais en réalité ça ne l’est pas tant que ça partout en Europe. »
« Il y a toutefois des éléments positifs dans ce rapport, notamment des bonnes pratiques, poursuit-il. Des programmes de prévention et de promotion sont développés dans des formes variées dans tous les pays membres. Ils s’adressent aux personnes qui en ont le plus besoin et s’efforcent notamment de proposer des prises en charge en dehors des hôpitaux de manière à ce que ces jeunes continuent à être (ou deviennent) inclus dans la société. » Le rapport de l’Enoc met ainsi en avant le programme « Express Yourself » dispensé en Irlande du Nord pour les jeunes âgés de 14 à 18 ans : « Il permet à des professionnels de la santé mentale et du bien-être de dispenser des formations dans les établissements scolaires. Les participants reçoivent une certification de premiers secours en santé mentale. Cette approche vise à permettre aux enseignants et également aux élèves de devenir des défenseurs de la santé mentale dans leur école en mettant en pratique ce qu’ils ont appris. »
A l’issue de cette conférence, l’Enoc a publié ses recommandations appelant « les gouvernements, la Commission européenne et le Conseil de l’Europe à entreprendre les actions nécessaires pour assurer le droit des enfants de jouir du meilleur état de santé possible ». Adoptées à l’unanimité et prises en étroites collaboration avec les enfants présents au colloque, ces recommandations débutent par une définition de ce qu’est la santé mentale. Il s’agit « d’un état de bien-être qui permet aux enfants de se développer et de prendre conscience de leur personnalité unique et de construire leur identité propre, de réaliser leur potentiel, de faire face aux défis de grandir ; de se sentir aimé, en sécurité et accepté comme un individu unique et d’être capable d’être heureux, de jouer, d’apprendre et de participer à la vie de famille et de la communauté ».
Cette définition se poursuit comme suit : « Protéger et encourager la santé mentale chez les enfants est un élément essentiel de la promotion de leurs droits, y compris de leur intérêt supérieur, et présente de nombreux avantages : cela donne aux enfants une meilleure opportunité de vivre une vie heureuse et accomplie et leur permet de tirer le meilleur parti de leur enfance et du fait de grandir, afin d’être des adultes productifs et heureux. Les bénéfices que cela apporte à la société sont également énormes. » Ceci étant posé, l’Enoc fait donc sept propositions :
• l’introduction et la mise en œuvre de stratégies nationales relatives aux enfants ;
• la mise en œuvre de lois, réglementations et normes en matière de santé mentale, basées sur les droits de l’Homme ;
• combattre la stigmatisation par le biais de la sensibilisation et de la prévention ;
• promouvoir les écoles saines, inclusives et centrées sur l’enfant ;
• développer des soins de santé mentale spécialisés, complets et de proximité pour les enfants ;
• assurer la mise à disposition des services hospitaliers fondés sur les droits de l’enfant ;
• introduire des indicateurs européens afin de favoriser une meilleure compréhension de la santé mentale de l’enfant.
Concrètement, Jacques Toubon considère « qu’il faut que la prise en charge ne se limite pas au champ de la psychiatrie, c’est-à-dire à la technique médicale ». Selon lui, « il faut absolument articuler le sanitaire et le social. Il faut introduire tous les facteurs qui peuvent expliquer la maladie mentale. Il faut enfin dire qu’il y a en chacun un droit égal à une bonne santé mentale » Et de conclure : « Il va falloir maintenant que notre réseau se batte pour que les autorités compétentes au niveau national ou local prennent en compte ces propositions et qu’elles les fassent avancer. Nous avons devant nous une responsabilité importante car il est absolument indispensable que dans nos sociétés il n’y ait pas d’invisibles, de laissés-pour-compte. Il faut que partout nous fassions valoir les droits à l’égalité pour tous et toutes, et en particulier pour les plus petits. »
• Des situations disparates en Europe. Mais une constante : peu de moyens en personnel qualifié et en structures.
• Pénurie de lit en pédopsychiatrie.
• En France, seulement 5 % des capacités d’hospitalisations complètes sont consacrées à la psychiatrie infanto-juvénile.
• En Islande, jusqu’à 18 mois d’attente pour une prise en charge en soins ambulatoires.
• Droits des jeunes peu respectés avec absence de leur consentement par exemple.
• L’Enoc fait 7 propositions pour « protéger et encourager la santé mentale » des mineurs.
Fondée en 1997, l’Enoc est une organisation sans but lucratif réunissant des institutions indépendantes en charge de la promotion et de la protection des droits de l’enfant tels qu’ils sont formulés dans la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE). Composé de 42 membres dans 34 Etats, sur le territoire du Conseil de l’Europe (23 de ces Etats faisant partie de l’Union européenne), ce réseau est, entre autres, chargé de développer des stratégies pour la mise en œuvre des recommandations issues de la CIDE et de promouvoir au niveau international l’établissement d’institutions indépendantes des droits de l’enfant dans les pays où elles n’existent pas encore.