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Une dépense qui se veut utile

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Annoncée le 13 septembre, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté vise avant tout à ramener les personnes vers l’activité, sans engager de dépenses supplémentaires pour augmenter les minima sociaux, hors prime d’activité, dans une logique de retour sur investissement.

« Le nouveau visage de la pauvreté est préoccupant », martèle l’Elysée, lors d’un briefing en amont de la présentation officielle de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. « Il est incarné par trois millions d’enfants, un tiers des familles monoparentales, cinq millions de personnes éligibles à l’aide alimentaire. Et notre système social contient cette pauvreté mais ne rompt pas sa reproduction. » Ayant constaté que l’ascenseur social était bien en panne – une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques estimait en juin qu’il fallait six générations en moyenne, soit 180 ans, pour qu’un descendant de pauvre atteigne le revenu moyen –, l’exécutif a fondé sa stratégie sur deux axiomes : « prévenir la pauvreté » pour éviter sa transmission générationnelle, et « remettre l’emploi au cœur des minima sociaux ».

Et effectivement, ce plan « pauvreté » ne sera pas « un plan charité », comme l’a précisé Emmanuel Macron. La revalorisation de la prime d’activité de 50 % au niveau du Smic, l’une de ses promesses de campagne, coûtera 3,9 milliards d’euros, soit près de la moitié des 8,5 milliards d’euros consacrés à cette stratégie sur quatre ans. Elle devrait bénéficier à 3,2 millions de ménages en permettant un gain pouvant aller jusqu’à 80 € par mois. Mis à part ce coup de pouce destiné à des personnes déjà en activité, les seules annonces d’augmentation de minima sociaux concernent l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et le minimum vieillesse. Concernant ce dernier, Alain Villez, président de l’association Les Petits frères des pauvres, déplore que ce soit « le seul moment où l’on ait parlé de vieillesse dans le plan pauvreté. Si le seuil de la pauvreté est autour de 1 000 €, même après les trois augmentations successives, qui avaient déjà été promises par le candidat Macron, le minimum vieillesse serait de 900 € en fin de mandat, ce qui reste en dessous. On n’a par ailleurs nullement fait état de la lutte contre l’isolement et la solitude, alors que les personnes les plus isolées ont souvent des revenus modestes, liés à une perte d’autonomie. Une situation que l’on retrouve le plus souvent chez les personnes âgées pour qui le revenu est inférieur au seuil de pauvreté. Ce sont les grands oubliés du plan. »

La revalorisation de l’aah reste insuffisante

Allain Villez rappelle au passage que si les plus de 60 ans ne représentent que 10 % des pauvres – une minorité « d’un million de personnes, dont 560 000 bénéficiaires du minimum vieillesse » –, le non-recours existe en raison des répercussions sur la succession : « Beaucoup de petits propriétaires ne demandent pas cette prestation car ils ne veulent pas hypothéquer leur maison. » La revalorisation de l’AAH, de son côté, n’est pas non plus nouvelle puisqu’elle avait déjà été entérinée lors du comité interministériel du handicap, en septembre 2017. Si elle atteindra les 900 € au 1er novembre 2019, plusieurs associations alertent sur le fait qu’elle ne concernera pas l’ensemble des titulaires, excluant par exemple ceux qui vivent en couple ou les bénéficiaires d’une pension d’invalidité. Et ici aussi, « la revalorisation de l’AAH, si importante soit-elle, reste insuffisante pour permettre aux bénéficiaires de sortir du seuil de pauvreté », fait remarquer Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH).

On retrouve la philosophie globale du plan « pauvreté » dans l’idée de la création d’un revenu universel d’activité à l’horizon 2020, que le Président a appelé de ses vœux au musée de l’Homme dans son discours du 13 septembre. Il le souhaite « simple, équitable et transparent », mais pas « sans condition d’activité » en contrepartie. Issu de la fusion du « plus grand nombre de prestations sociales pour enfin apporter une réponse unique pour s’assurer que des gens vivent dignement », il viendra « avec des droits et des devoirs » (notamment la signature d’un contrat), et ses bénéficiaires ne pourront pas refuser « plus de deux offres raisonnables d’emploi ». Cette prestation unique, attribuée sous condition de ressources, devrait inclure au minimum le revenu de solidarité active (RSA), l’aide personnalisée au logement (APL), et la prime d’activité. L’AAH, selon Arnaud de Broca, devrait également faire partie de ce socle commun. « Elle s’adresse pourtant à des personnes qui sont pour la plupart d’entre elles dans l’incapacité de travailler et d’avoir une activité », note-t-il. « Cela pose donc la question du sort réservé aux personnes vivant sous le seuil de pauvreté et ne pouvant pas se procurer un emploi. »

La création de ce revenu universel d’activité devrait s’accompagner, la même année, de la mise en place d’un service public d’insertion, avec pour objectif un guichet unique pour le bénéficiaire. Une simplification administrative pour mettre fin au « cauchemar bureaucratique », supposée permettre l’instruction et l’orientation de la demande dans le délai d’un mois. « C’est aujourd’hui le parcours du combattant, avec intervention de la région, de la commune, de la mission locale, de Pôle emploi… C’est le bazar ! », indique François Soulage, président du Collectif Alerte. « Si le dispositif se met en place, on aura un seul chef de file déclenchant les différents systèmes. »

La conséquence induite par ces deux dispositifs serait de libérer du temps que les travailleurs sociaux pourront affecter à un accompagnement plus important là où ils sont aujourd’hui submergés par la paperasse. Une demande qu’ils formulent depuis des années, explique Isabelle Bouyer, déléguée nationale d’ATD quart monde. « Il faut pouvoir de nouveau écouter le projet de ces personnes qui veulent aussi que les travailleurs sociaux puissent lever le nez de leurs écrans d’ordinateur. »

Dans cette même optique de renforcement de l’accompagnement, d’autres mesures d’insertion – 1,04 milliard d’euros leur sont consacrés – sont prévues par le plan « pauvreté ». D’une part, la « garantie d’activité », qui combine suivi social et insertion par Pôle emploi dans le cadre de l’accompagnement global, ainsi que par des opérateurs privés et associatifs choisis par appels d’offres, pour 300 000 allocataires par an. D’autre part, les contrats d’insertion par l’activité économique, qui seront étendus à 100 000 salariés supplémentaires, dont Isabelle Bouyer relève qu’ils « peuvent aider, mais ne constituent pas un emploi pérenne. Cela peut être un tremplin, mais qu’est-ce qu’on propose derrière ? Les gens ont besoin de sécurité pour sortir leurs enfants de la pauvreté. » Elle préfère mettre l’accent sur d’autres expérimentations à destination des personnes éloignées du marché du travail et dans lesquelles l’Etat devrait investir pour les généraliser, notamment les « territoires zéro chômeurs de longue durée ».

Des mesures pour la jeunesse

Pour éviter que l’on n’assassine d’autres Mozart en devenir, l’accent sera mis sur la prévention dès l’enfance. 1,24 milliard d’euros seront destinés à mettre en place un plan de formation des professionnels de la petite enfance, 300 centres sociaux supplémentaires, 100 centres et maisons de santé dans les quartiers prioritaires, des maraudes associant l’aide sociale à l’enfance (ASE) et l’Etat, des petits déjeuners offerts, la tarification sociale dans les cantines… Deux mesures phares : l’accueil chez une assistante maternelle grâce à un tiers payant, et en crèche, où 90 000 places devraient être réservées aux enfants en difficulté avec des bonus financiers incitatifs pour les collectivités. Sur ce point, Tanguy Desandre, président de Maplaceencrèche, dénonce « une escroquerie. Avec la nouvelle convention d’objectifs et de gestion de la caisse d’allocations familiales, les subventions ont diminuées de 80 % pour une très grande partie des crèches. On présente un plan ambitieux contre la pauvreté, alors qu’on est en réalité face à une coupe budgétaire qui sanctuarise simplement des places pour ces populations. »

Enfin, 493 millions d’euros seront consacrés à la formation de la jeunesse, notamment pour ramener les « NEET » (Not in Education, Employment or Training), ces 60 000 jeunes invisibles, dans la formation ou l’apprentissage jusqu’à 18 ans. La « garantie jeunes », destinée aux 16-25 ans pris en charge par des missions locales qui les accompagnent vers l’emploi pendant un an, en complément d’une allocation mensuelle, devrait toucher 500 000 bénéficiaires d’ici 2020. « Cela concernera 100 000 jeunes par an au total », prévient François Soulage. « Une fois qu’ils ont bénéficié de la garantie, que font-ils ? En complément, 300 000 jeunes devraient être accueillis dans le parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie, qui n’accorde pas ou peu d’indemnisation financière. »

Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, est quant à lui critique sur les contrats « jeunes majeurs », destinés à prolonger leur prise en charge par l’ASE jusqu’à 21 ans. « Le Président évoque un chiffre de 50 millions pour sa contractualisation avec les départements. En Seine-Saint-Denis, le dispositif nous coûte 35 millions… » Reste donc à voir si ce plan « pauvreté » s’est donné les moyens de ses ambitions.

En résumé

• 3,9 milliards d’euros pour revaloriser la prime d’activité de 50 % au niveau du Smic.

• Soit un gain de pouvoir d’achat de 80 € par mois pour 3,2 millions de ménages.

• Un revenu universel d’activité à l’horizon 2020 sous condition d’activité.

• Création d’un guichet unique pour l’insertion.

• Une « garantie d’activité » qui combine suivi social et insertion dans l’emploi.

• Mettre l’accent sur la petite enfance et la formation des jeunes « invisibles ».

Des moyens ambitieux ?

« Je ne balaye pas le montant affiché, mais il faudra vérifier qu’il ne s’agit pas de recyclage ou de redéploiement », soulève Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis. « Je ne peux néanmoins m’empêcher de les comparer aux 25 milliards allégeant la fiscalité des plus riches, avec la suppression de l’ISF, la flat tax… D’autant que les plus modestes payent déjà la baisse des APL, la désindexation des allocations, le relèvement de la CSG… On ne peut pas vouloir renforcer l’accompagnement individualisé et en même temps supprimer des contrats publics en affaiblissant les collectivités locales, ou du personnel à Pôle emploi. Si les départements sont en difficulté sur l’accompagnement, c’est parce que depuis 2004 la compensation par l’Etat du RSA ne cesse de faiblir. »

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