Tout le monde est d’accord pour dire que c’est beaucoup plus pertinent d’associer l’accompagnement à l’emploi à un accompagnement social. D’ailleurs, ça se pratique déjà et depuis longtemps ! Par exemple, la quasi-totalité des conseils départementaux (tous sauf deux) ont signé des conventions avec Pôle emploi pour mettre en place l’« accompagnement global à l’emploi », un dispositif qui s’appuie sur la collaboration d’agents de Pôle emploi et de travailleurs sociaux dans le suivi des bénéficiaires du RSA. C’est un fonctionnement très apprécié par les professionnels et les bénéficiaires. Pour autant, on ne peut pas affirmer que cette modalité d’accompagnement peut répondre aux problématiques de tous les bénéficiaires, comme semble l’affirmer le gouvernement. Cette vision de l’insertion est simpliste et dangereuse.
Cette vision simpliste de l’insertion est une forme de violence institutionnelle, car elle nie les populations les plus vulnérables. En polyvalence de secteur, j’accompagne par exemple une personne toxicomane. C’est un accompagnement très complexe, pluridisciplinaire, qui nécessite l’intervention de divers professionnels et institutions. Il faudra des mois, sûrement des années, avant de pouvoir envisager un projet professionnel… Sans évoquer des situations aussi complexes, rappelons que la demande du RSA intervient souvent après une longue période de chômage, qui fragilise considérablement les gens. Accompagner, c’est prendre en compte toutes ces réalités, ces vulnérabilités pour construire un parcours d’insertion. Cela ne peut pas fonctionner à l’injonction. Or, dans le schéma d’orientation des bénéficiaires du RSA que prône le plan « pauvreté », il y a trois parcours d’insertion possibles : le parcours emploi-compétence, la « garantie d’activité » (qui ressemble d’ailleurs à l’« accompagnement global à l’emploi », mais sera réservé à 300 000 personnes par an… Lesquelles ?) et l’insertion par l’activité économique. Que fait-on avec les bénéficiaires qui ne sont pas en capacité, avant plusieurs mois ou années, de se mobiliser dans un projet professionnel ?
Là encore, ça ne correspond pas à la réalité. Quand une personne demande le RSA, l’agent de la CAF qui instruit son dossier l’oriente vers Pôle emploi ou vers les services sociaux du département. Quand l’orientation est faite vers le conseil départemental, en général, le service RSA (qui n’est pas le service social !) envoie un courrier au bénéficiaire pour lui demander de prendre rendez-vous avec un assistant de service social dans un délai de deux mois. Une fois que la personne fait la démarche, rien ne garantit que les services concernés seront en mesure de lui proposer un rendez-vous immédiat, car la plupart sont débordés, faute de moyens. Ensuite, il y a le temps de l’évaluation et de l’élaboration du parcours d’insertion. Les délais, jugés trop longs, sont intrinsèquement liés aux moyens financiers et humains disponibles. Je ne vois rien dans le plan « pauvreté » qui pourrait répondre à cela.
C’est dit clairement : en échange d’un « véritable droit à l’accompagnement », garanti par l’Etat et mis en œuvre avec les collectivités territoriales, l’allocataire aura « le devoir d’agir pour son insertion ». En parallèle, le plan « pauvreté » prévoit la création d’un « revenu universel d’activité » qui, après deux refus d’emploi, pourrait être coupé. Depuis la création du RSA, les politiques publiques partent du principe qu’une part des bénéficiaires n’est pas active dans la recherche d’emploi. Le plan « pauvreté » vient confirmer cette vision à la fois stigmatisante et disqualifiante des allocataires du RSA qui, face à nous, travailleurs sociaux, expriment leur désespoir de ne pas pouvoir travailler. En tant qu’assistants de service social, nous devrons rester vigilants et refuser de voir notre logique d’intervention, fondée sur une nécessaire relation de confiance avec les personnes accompagnées altérée par la menace d’une sanction.