Automatiser l’ouverture des droits, raccourcir les délais pour l’accompagnement des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), identifier un « référent unique » censé aiguiller l’allocataire et mettre du liant entre les différents acteurs de l’aide sociale… Autant de propositions formulées mercredi 5 septembre dans deux rapports distincts commandés par Edouard Philippe en vue de nourrir la stratégie de lutte contre la pauvreté et qui pourraient durablement changer le paradigme en termes d’accompagnement social. Si ces propositions interviennent trop tard pour être reprises telles quelles dans le plan « pauvreté » que le Président devait présenter jeudi 13 septembre, ces rapports aboutissent cependant « aux mêmes constats », et « renforcent » les décisions prises par le gouvernement, d’après Agnès Buzyn, ministre de des Solidarités et de la Santé.
Partant du constat que « six mois après une demande de RSA, 40 % des bénéficiaires n’ont toujours pas été orientés vers un accompagnement » et qu’au bout de deux ans, « ils sont encore 13 % à être totalement livrés à eux-mêmes », Claire Pitollat, députée des Bouches-du-Rhône, et Mathieu Klein, président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, ont présenté 50 propositions pour favoriser l’insertion des bénéficiaires du RSA. Ils plaident avant tout pour une meilleure coordination et un décloisonnement entre les différents acteurs du champ social « pour augmenter leur potentiel d’action ». « Cette articulation doit permettre de dépasser le phénomène de segmentation des publics entre des parcours incohérents, portés par des institutions elles-mêmes mal coordonnées, qui conduit à des stratégies non articulées pour ne pas dire parfois contradictoires », soulignent-ils.
Si le tableau dressé est connu de longue date, selon Alexis Goursolas, responsable du service « stratégie et analyse des politiques publiques » à la Fédération des acteurs de la solidarité, les mesures proposées vont dans le bon sens. « L’enjeu de l’accompagnement est essentiel. Mais il ne doit ni être segmenté entre différents acteurs coupés les uns des autres, ni être séquencé. Il faut sortir de cette approche séquentielle : quand la personne a été recrutée, on a tendance à penser que tout est réglé. Or les personnes comme l’employeur peuvent avoir besoin d’une aide à la prise de poste et à l’insertion. C’est ce qu’on retrouve dans l’idée d’avoir du tutorat en entreprise. C’est l’un des points très importants pour nous. On a l’impression d’avoir été vraiment entendus sur ces questions. »
Les 40 autres préconisations sont issues d’une deuxième mission sur « le versement de la juste prestation sociale », confiée à la députée d’Ille-et-Vilaine Christine Cloarec et au sociologue Julien Damon(1). Ils devaient plancher notamment sur la faisabilité d’une allocation sociale unique – fusion entre plusieurs minima sociaux dont le RSA, la prime d’activité et l’allocation aux adultes handicapés – alors qu’une première réforme en vue du versement social unique (harmonisation des dates de versement et des modes de calcul des aides sociales) est d’ores et déjà privilégiée. Selon les auteurs du rapport, les prestations sociales devraient être « plus réactives afin de s’adapter aux évolutions des situations [des allocataires] ». Mais plutôt qu’une allocation sociale unique – sur laquelle le rapport préconise de poursuivre les réflexions –, il s’agirait d’abord d’unifier les bases ressources sur lesquelles s’appuient les calculs pour les différentes aides sociales et d’automatiser les mises à jour des situations. Autant de « sources potentielles d’économies de dépenses indues et de frais de gestion », qui pourraient être réinvesties dans l’accompagnement et le contrôle des bénéficiaires.
« Un scénario volontariste serait d’aboutir, à l’horizon 2022, à un référent unique, un numéro unique d’identification et de gestion, des prestations à barèmes harmonisés, un point d’entrée unique et un dossier social unique consultable par les usagers et partagé entre les institutions. De telles transformations faciliteraient la vie des usagers et celle des organismes. Elles auraient un impact crucial sur l’accès aux droits », soulignent-ils.
« Tout ce qui va dans le sens de l’harmonisation, de la simplification et qui permet de lutter contre le non-recours nous semble très positif, estime Alexis Goursolas. Pourtant, nous parlons ici de minima très différents les uns des autres : sur quelle base les harmoniser, est-ce qu’on ferait alors plus de perdants que de gagnants ? Il y a un travail très précis à mener, avec pour nous l’enjeu qu’il n’y ait pas de recul de droits pour les plus précaires. »
« La simplification ne doit pas être un moyen de baisser les montants des prestations, souligne Alexis Goursolas. Il faudrait même faire l’inverse : beaucoup de minima sociaux ont des montants très faibles. Nous proposons qu’en cas de fusion, l’on puisse harmoniser les minima sur des niveaux estimés, en 2017 lors de la campagne présidentielle, à 850 € par mois pour une personne seule pour s’assurer qu’il y ait une vraie progression des pouvoirs d’achat. »
« Le gouvernement communique beaucoup sur le fait que l’on met trop d’argent sur les prestations et pas assez sur l’accompagnement, poursuit-il. Or il ne faut pas opposer les deux. On ne se nourrit pas d’accompagnement. Retrouver un emploi nécessite de gérer des dépenses quotidiennes pour être en de bonnes conditions. Or le plan “pauvreté” tel qu’il est annoncé ne va pas augmenter les ressources des personnes pauvres et risque de diminuer leur pouvoir d’achat par le gel des allocations familiales et des retraites. »
Constat partagé par le collectif Alerte. Avec un plan « pauvreté » doté de 4 milliards d’euros dont la moitié est prévue pour la prévention et l’autre pour l’accompagnement, les moyens ne semblent pas être à la hauteur des besoins selon François Soulage, président du collectif. D’autant que la question des moyens alloués aux départements – en première ligne pour l’accompagnement – reste brûlante. « Alors qu’un certain nombre de départements font face à une explosion du coût du RSA à mesure de l’augmentation du nombre d’allocataires, l’imparfaite compensation par l’Etat entraîne une ponction sur les autres budgets départementaux, dont celui réservé à l’accompagnement », explique Alexis Goursolas. Le département de la Seine-Saint-Denis met en garde, dans un communiqué, contre une stratégie « pauvreté » qui risque de « n’être qu’un coup d’épée dans l’eau ».
Le premier rapport, rédigé par deux responsables politiques, présente 50 propositions axées sur la réinsertion et le second, présenté par une députée et un sociologue, affiche 40 préconisations articulées autour de l’allocation unique.
Privilégier une logique opt out (ouverture des droits à défaut d’un refus explicite d’ouverture) à une logique opt in (choix préalable avant une ouverture de droits), c’est également ce que préconisent Christine Cloarec et Julien Damon dans leur rapport. De quoi permettre de réduire le non-recours au droit qui atteint 30 % pour le RSA.
(1) Voir p. 32, la « Rencontre » avec Julien Damon, qui explique les nouveaux visages de la pauvreté.