« CETTE SEMAINE, JE NE SERAI PAS LÀ, tu seras tout seul avec maman, je repars avec tonton Jeff. Tu vas où ? demande l’enfant. A Blois, dans une grande maison pour les fous… C’est quoi un fou ? Euh, c’est des gens qui, à un moment dans leur vie, ont eu un petit quelque chose qui s’est cassé dans leur tête. » La grande maison dont il s’agit est la clinique psychiatrique de La Chesnaie, dans le Loir-et-Cher, qui accueille une centaine de personnes atteintes de troubles mentaux, des psychoses pour la plupart. Fondée en 1956, elle fait partie de ces établissements – tout comme la clinique de La Borde (créée par le docteur Oury et située dans le même département) – qui ont ouvert leurs portes vers l’extérieur et ont contribué à faire disparaître l’asile au profit de la psychothérapie institutionnelle. Une pratique fondée sur le « vivre ensemble », où les médecins ne portent pas de blouse blanche et où soignants et soignés partagent les activités quotidiennes. Aurélien Ducoudray et Jeff Pourquié, se sont immergés à La Chesnaie, où ils ont animé un atelier BD et partagé la vie des malades. De cette expérience, ils ont tiré une bande dessinée, La troisième population. Ils y racontent, avec humour et sensibilité, les hommes et les femmes qu’ils ont rencontrés. Jean-Jacques, qui se sent électrisé, Manuel, qui se dit coupable du suicide d’une jeune femme parce qu’il lui a mal indiqué le rayon qu’elle cherchait à Auchan, Jeanine, qui est obsédée par son rendez-vous chez le coiffeur pendant les réunions avec l’équipe, Rose, qui a interrompu son traitement et qui crie partout qu’on lui a volé sa sacoche… Ça discute, ça délire, ça tourbillonne ! Au bout d’un moment, on ne sait plus qui sont les narrateurs, les patients, les soignants… Une joyeuse confusion qui définit ce lieu atypique, où la barrière entre le dedans et le dehors, le normal et le pathologique, est presque invisible. A La Chesnaie, « on marche beaucoup, on trottine, on cavale, on crapahute, on traîne du pied, on clopine, on flâne, on trépigne, on tourne, on se retourne, on détourne… », dit une planche du livre. On vit, quoi !
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