Les discours des « sachants » sur les personnes atteintes de troubles autistiques continuent à être stigmatisants et discriminants. On assimile toujours l’autisme à une maladie, à un handicap, voire même à un fléau, ce qui ne permet pas de nous attribuer une place dans la société. Notre voix est marginalisée, notre parole confisquée. On ne nous entend pas. Les comités de pilotage, qui font que l’Etat alloue 7 milliards d’euros par an à l’autisme selon la Cour des comptes, rassemblent principalement des représentants d’associations nationales gestionnaires d’établissements et des psychiatres. Les uns veulent orienter l’argent public vers des outils de normalisation ; les autres continuent à ne voir l’autisme que sous l’angle d’une pathologie. On nous considère comme des patients, pas comme des citoyens. Parler de société inclusive implique de s’occuper de l’autisme hors les murs. Or, en France, la majorité des enfants autistes sont placés en institution.
Les troubles du comportement ne définissent pas l’autisme, mais découlent plutôt de l’exclusion et de la maltraitance dont il est l’objet. L’autisme est une minorité cognitive. Aujourd’hui, on parle surtout de « spectre autistique », termes assez nébuleux pour dire qu’il y a autant de formes d’autisme que d’autistes et qui distinguent les autistes de haut niveau et de bas niveau. Cette classification ne veut pas dire grand-chose. L’autisme est une neurofamille qui regroupe des personnes ayant une perception différente du monde causée par un câblage neuronale dissemblable. Parmi ces « neurodivergents », il y a ceux dont les signes se voient très clairement et ceux qui arrivent à les dissimuler. On me met dans la catégorie des autistes « légers » parce que je porte un costume et une cravate et que j’écris des livres. Mais si on m’avait vu à 6 ans, on m’aurait sûrement classé autiste « sévère ». Sans l’insistance de ma mère, je n’aurais jamais pu intégrer le cours préparatoire. L’instituteur ne voulait pas de moi parce que je ne verbalisais pas, je criais énormément et je faisais des gestes répétitifs. On juge les autistes par rapport à des critères correspondant à la « normalité » mais non adaptés à eux. C’est comme si l’on évaluait un poisson à sa capacité à grimper à un arbre ! Les autistes sont déficitaires sur le plan de la communication et des interactions sociales, mais ils ont une autre forme d’intelligence.
La priorité est que tout passe par l’Education nationale. La stratégie nationale pour l’autisme, annoncée en avril dernier, va dans le bon sens. Il faut miser sur les points forts des autistes afin qu’ils aient un avenir. Il n’y a pas que l’intelligence sociale. Il est donc fondamental qu’ils aillent à l’école le plus tôt possible pour développer leurs capacités. Mais cette dernière doit se réformer : on ne peut pas demander à un autiste de ne plus être autiste. Ce n’est pas à lui de s’adapter à l’école mais à elle de s’adapter à lui. Le meilleur accompagnement est celui qui vise à rendre les autistes autonomes, avec des supports pédagogiques adéquats, de la psychomotricité fine, etc. Quelques structures spécialisées l’ont bien compris et proposent des accompagnements à la carte et des méthodes alternatives. Par exemple, certains autistes non verbaux apprennent plus facilement la langue des signes que la langue parlée. L’Italie, la Grande-Bretagne ou la Suède ont fait le pari de l’école intégrative depuis longtemps. Chez nous, il arrive que l’aide sociale à l’enfance veuille retirer un enfant à ses parents pour défaut de soins quand ils refusent de l’envoyer en institution.
Pas du tout. C’est méconnaître l’autisme que de considérer qu’un enfant qui crie ou qui refuse qu’on lui coupe les ongles est maltraité par ses parents et doit être placé. De même, c’est très bien d’avoir des auxiliaires de vie scolaire pour accompagner les enfants à l’école, mais elles n’ont reçu aucune formation et sont rémunérées 600 € par mois. Le manque de considération pour ce métier finit par se résumer à du gardiennage, ce qui n’aide pas l’enfant à évoluer. C’est pareil pour les psychologues et les psychiatres : les nouvelles générations de médecins voudraient être mieux formées, mais elles n’ont que deux heures sur l’autisme dans leur cursus. Il y a encore des « psy » qui pensent que si les enfants sont autistes, c’est de la faute de leur mère…
Cela peut aider pour désamorcer une situation de crise. Mais ce qui sous-tend cette approche est que les autistes deviennent comme tout le monde. Vous n’avez pas le droit d’exister dans la société autrement ! Avec la méthode ABA (analyse appliquée du comportement), des interventions précoces intensives (de trente heures par semaine durant deux ans) sont proposées pour apprendre aux enfants à se comporter. Mais c’est presque du dressage, et c’est assez brutal. Aux Etats-Unis, des travaux suggèrent que cela génère des post-traumas : à force de se conformer à un moule qui n’est pas le leur et de réprimer leur comportement, certains autistes finissent par exploser à l’âge adulte. On est dans la rééducation, pas dans la pédagogie, au même titre que l’on a essayé, à une époque, de rééduquer les homosexuels pour qu’ils deviennent hétérosexuels.
Ils peuvent être d’excellents linguistes, alors même qu’ils ne sont pas loquaces dans la vie. Beaucoup sont très forts en informatique, en codage, en exploitation des données… Ils ont une mémoire visuelle impressionnante et voient des détails que personne ne distingue. Ils ont également une hyperacousie qui leur permet d’exceller dans les métiers du son. Ils ne peuvent pas faire plusieurs choses à la fois. En revanche, ils sont capables de se concentrer pendant des heures et des jours sur une chose ou un travail. Leurs compétences vont être prisées dans le monde de demain, notamment en matière d’intelligence artificielle et de Big Data. De nombreux « cerveaux » de la Silicon Valley ont des troubles autistiques. Le créateur de Facebook en est un.
est l’auteur d’Autisme : j’accuse ! (éd. L’Iconoclaste, 2018, 17 €). Il est devenu comédien après s’être inventé un personnage pour que son autisme soit insoupçonnable. En 2013, il avait déjà publié L’empereur, c’est moi (éd. L’Iconoclaste, 2013), dans lequel il racontait ses difficultés d’enfant et d’adolescent autiste.