Dans un contexte de crise du secteur sanitaire, social et médico-social, de nombreuses associations souffrent et beaucoup dépérissent chaque année (déficits, cessations de paiement ou liquidations judiciaires). Les écueils sont nombreux : contraintes financières, diminution des subventions de l’Etat et des collectivités territoriales, inflation législative et réglementaire, difficile renouvellement de la gouvernance, concurrence du privé lucratif…
« Le secteur médico-social, qui fonctionne pour une grande part à partir de financements publics et de conventions passées avec la puissance publique, est sans doute celui qui a été le plus chahuté par les mutations récentes. Plus de 92 % des associations du secteur mentionnent des difficultés liées à une contraction des ressources publiques, à la baisse des subventions publiques en particulier et à la généralisation des appels d’offres », soulignait, dès 2012, l’étude du cabinet d’audit Deloitte intitulée « Les associations entre mutations et crise économique. Etat des difficultés ». Michel Abhervé, consultant-formateur sur les questions de l’économie sociale et solidaire (ESS) reconnaît « une fatigue associative dans le domaine sanitaire, social et médico-social ». « Il y a une lassitude interne, les associations ont du mal à renouveler leurs dirigeants associatifs alors que la moyenne d’âge est de 70 ans dans les conseils d’administration. Par ailleurs, elles disposent d’une faible latitude de décision puisque le vrai patron c’est bien souvent l’agence régionale de santé ou le service du conseil départemental. De fait, quand il y a une difficulté de gestion, un incident, un mauvais climat relationnel, un aléa, certaines associations ne sont pas armées et n’ont pas forcément envie de se battre », explique-t-il. « Il y a un mouvement de regroupement qui intervient parfois en amont, de façon volontaire et organisée entre les associations. Mais quand on intervient trop tard, quand on a laissé s’accumuler les déficits, cela se termine au tribunal. »
« Il y a pratiquement une association en faillite par semaine dans le sanitaire, le médico-social ou le social », rappelle Bernard Bensaid, président-directeur général du Groupe DocteGestio qui s’est constitué, essentiellement, à la suite des opérations de reprise et d’adossement de structures en difficulté. Depuis six ans, ce groupe privé lucratif s’est spécialisé dans les reprises et le soutien de structures en difficulté, avec sa branche médico-sociale Amapa, notamment dans le cadre de procédures de redressement judiciaire. « Le Groupe DocteGestio reprend des associations ou des mutuelles en difficulté. On peut les reprendre soit en conciliation, soit en adossement, soit en cession. Le plus simple est en adossement. L’association vient nous voir et nous apportons les compétences et les fonds nécessaires à son redressement. Au début de son histoire, DocteGestio a repris des associations en difficulté à la suite des décisions du tribunal. Depuis quelques trimestres maintenant les reprises se font de gré à gré avant même le tribunal », précise Bernard Bensaid.
« L’activité de reprise du Groupe ne connaît guère de répit. L’année dernière, la taille du Groupe dans le champ de la santé a quasiment doublé. Nous n’entrevoyons pas de pause », ajoute Guy Fontaine, directeur général adjoint en charge de la communication, du développement et des ventes du Groupe DocteGestio. Avec 256 établissements implantés partout en France et une croissance de 35 % par an, le chiffre d’affaires du groupe DocteGestio s’élèvera à 400 millions d’euros en 2018. « Les établissements et services que nous reprenons sont exsangues. Souvent leur trésorerie n’existe plus, ou est insuffisante pour financer l’activité. Le soutien du groupe est donc souvent dans l’immédiat un soutien financier pour régler les salaires, les cotisations sociales, les fournisseurs. Ensuite, nous avons nos propres processus de gestion que nous déployons et qui s’appuient sur des centres supports : ceux-ci permettent de mutualiser, de faire des économies d’échelle et surtout de permettre aux opérationnels de se concentrer sur leur fonction essentielle qui est l’accompagnement, le soin. C’est déjà énorme car en période de redressement judiciaire, la part administrative prend le pas sur l’opérationnel. Et le fait d’appartenir à un groupe, de ne plus être isolé, permet de retrouver les capacités à développer l’activité », souligne Guy Fontaine.
En août dernier, le Groupe DocteGestio affichait au compteur une quarantaine de cessions judiciaires à son profit par les tribunaux. A l’horizon 2023, il entend devenir « le premier opérateur national global sanitaire et médico-social, à domicile et en institution, sur l’ensemble du territoire national », et ambitionne de sauver 20 000 emplois et de générer 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. « Le point fort du groupe, c’est une méthode éprouvée qui a, depuis plusieurs années, convaincu les tribunaux de grande instance (pour les associations) et les tribunaux de commerce (pour les sociétés commerciales) de France. Cette méthode et ce savoir-faire sont reconnus et les tribunaux savent que le Groupe DocteGestio a sauvé plus de 8 000 emplois ces six dernières années. Il faut quand même se rappeler qu’avant le démarrage de l’aventure du groupe dans le champ de la santé en 2012, il avait moins de 100 salariés. Et dans cette méthode, qui séduit les tribunaux, il y a en effet cette volonté du groupe de reprendre le plus possible de salariés. Ce que savent aussi les tribunaux, c’est qu’après des années de reprise, il n’y a jamais eu de plan social au sein du groupe, jamais eu de licenciements économiques. Les emplois repris sont des emplois pérennisés, à l’exclusion évidemment de la rotation ordinaire des salariés », considère Guy Fontaine. Et d’ajouter : « Le redressement d’une structure sera d’autant plus facile ou d’autant plus difficile que les tutelles accompagneront ou pas le projet de redressement. Là où cette coopération, ce partenariat, n’est pas aussi volontaire, le redressement est plus long, plus difficile. Et c’est dommage, parce qu’en réalité, ce sont les salariés, les personnes fragiles et leurs familles qui en pâtissent. »
Avec 15 000 salariés, 480 établissements et services et 850 millions d’euros de chiffre d’affaires, le Groupe SOS, poids lourd de l’économie sociale et solidaire (ESS), doit son développement essentiellement à la reprise d’associations en difficulté. Il s’est doté d’un groupement d’intérêt économique appelé Alliance Gestion, chargé de piloter la stratégie du groupe et qui permet de centraliser toutes les fonctions supports : les ressources humaines, les finances, le juridique, la communication, les achats mutualisés… « DocteGestio est plutôt dans la reprise sur décision de justice après au moins redressement judiciaire et parfois liquidation judiciaire tandis que le roupe SOS est plus dans la diversification de ses activités. Le Groupe SOS est plus dans la stratégie et DocteGestio dans les opportunités à saisir », juge Michel Abhervé.
« Les critères qui nous conduisent à procéder à une reprise d’association au sein du groupe ne sont pas très nombreux. On a repris au sein du groupe des associations très différentes par leurs métiers, leur taille, leur localisation géographique, leurs difficultés… On s’assure, d’une part, que sur leur cœur de métier les associations ne sont pas devenues obsolètes, c’est-à-dire que leur manière d’accompagner, de soigner demeure pertinente. On s’assure, d’autre part, que même si les difficultés du moment sont parfois très importantes, un retour à l’équilibre est possible. Notre solution est purement ESS, c’est ce qui nous distingue d’un certain nombre d’acteurs qui ont des positions qui se rapprochent du privé lucratif. Tout est in fine détenu par les associations », précise Antoine Rouillé d’Orfeuil, directeur général du Groupe SOS. « On a repris des acteurs très en difficulté, certains avaient 600 salariés d’autres 2 700. Quand on fait la somme de ces chiffres, on est sur des milliers d’emplois préservés », ajoute-t-il.
« Je le dis et je le répète aux dirigeants de structure en difficulté : “N’attendez pas qu’il soit trop tard ! Epargnez à vos salariés l’angoisse de longs mois de redressement judiciaire. Epargnez aux personnes fragiles et à leurs familles, l’expérience d’une lente et inexorable dégradation de la qualité de service et d’accompagnement. N’attendez pas, dès les premières difficultés, pour chercher un partenaire à qui vous adosser ou un repreneur à qui céder l’activité” », insiste, pour sa part, Guy Fontaine.
Un appel qui risque de faire grincer des dents certains acteurs du secteur associatif très critiques sur cette politique de reprise des associations par des groupes du privé lucratif. « Nous voyons ici ou là des groupes avec des capacités financières puissantes venir récupérer à la barre du tribunal des associations exsangues, ces groupes ne sont pas là par altruisme, ils ne viennent pas pour relancer la machine. Non, ils sont là intéressés par le patrimoine immobilier des structures et pour avoir la main mise sur notre secteur. Avec chaque association qui disparaît, c’est un îlot de démocratie locale qui s’en va notamment dans des territoires reculés et isolés où l’association d’aide à domicile est un des derniers vecteurs de lien social », critiquait Julien Mayet, alors président d’USB domicile – Union syndicale des employeurs de la branche de l’aide à domicile –, lors de la rencontre nationale des acteurs de l’aide à domicile, en mars 2017.
Les outils juridiques les plus courants permettant le regroupement des associations sont :
• le mandat de gestion qui consiste, pour une des structures, à confier à une autre structure le pouvoir de la diriger pendant un temps donné sans que cela ait vocation à perdurer ;
• l’apport partiel d’actifs. Il s’agit du transfert de l’ensemble des droits et obligations qui portent sur une branche complète et autonome d’activité ;
• la fusion entraîne la substitution complète de la structure absorbée au profit de la structure bénéficiaire, laquelle va assurer la poursuite de l’ensemble de ces droits et obligations.