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“On ne voit pas assez les personnes handicapées dans la cité”

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La secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées livre sa vision de la société inclusive, compare la situation des personnes handicapées en France avec plusieurs pays étrangers et répond aux critiques sur les « logements évolutifs ».
Pourquoi vouloir distiller le handicap dans chaque politique plutôt que de faire une loi globale ?

Pour faire sortir le handicap du seul prisme de la santé. Si l’on veut que la personne soit citoyenne avant tout, elle doit entrer dans le droit commun. On a bien vu qu’avec une politique « handicap » à part depuis 1975, les résultats ne sont pas bons. Il faut irriguer toutes les politiques publiques. Le baromètre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a pointé du doigt le fait qu’il y ait seulement 0,6 % de personnes handicapées dans les médias, alors qu’elles représentent entre 10 et 12 millions de personnes parmi la population, et chaque Français est concerné, de façon directe ou non. La prise en compte du handicap dans les établissements spécialisés après-guerre a généré un système à part, et cette vision est restée. C’est pourquoi j’ai tenu à faire un tour d’Europe pour voir les bonnes pratiques inclusives et déceler les leviers possibles du changement.

Quelles sont les pratiques que vous voudriez retenir ?

Les pays d’Europe ayant banalisé le handicap dans leur société sont ceux ayant démarré très tôt sur l’école inclusive. L’enfant handicapé grandit et apprend avec les autres dans son quartier. Cela ne concerne pas que les pays scandinaves, on retrouve cette situation en Espagne et en Italie, où le « vivre ensemble » est plus naturel. Cependant, les problématiques d’insertion professionnelle sont les mêmes : le sujet majeur en Europe est l’accès à la qualification des personnes handicapées.

Comment le handicap est-il vu en France par rapport aux autres pays ?

Il y a encore beaucoup de regards compassionnels, car on ne voit pas assez les personnes handicapées dans la cité, ce qui empêche d’avoir un regard naturel. Plutôt que de rénover des établissements vieillissant, innervons les centres-villes avec du logement inclusif, des habitats partagés pour que la personne puisse circuler, accéder aux lieux de vie, et qu’on prenne conscience que cette population existe.

Privilégier l’habitat évolutif à l’inclusif a déçu les associations… Il y a aussi des cas absurdes où des parties communes d’immeuble sont aménagées mais où l’ascenseur n’existe pas. Pourquoi la loi « elan » ne règle-t-elle pas ces situations ?

Ce n’est pas vrai. Les associations qui sont autour de la table avec nous depuis un an ont totalement accepté le fait qu’il est beaucoup plus intéressant d’avoir un logement qui réponde aux besoins de tous. Les choses ont coincé sur le quota de 10 % de logements qui devront être directement en accessibilité. Les garanties financières et techniques nécessaires pour faire évoluer ces logements et assurer une rapidité de réponse des bailleurs sont dans la loi et seront précisées par décret. Le financement des travaux sera garanti pour les bailleurs sociaux, mais j’entends totalement les inquiétudes du côté du privé. Le 100 % accessible n’était une réalité que pour les immeubles R + 4. Quand on construit à R + 3, il n’y a pas d’ascenseur même si les logements sont accessibles. Cette question n’est pas du ressort législatif mais réglementaire, nous y travaillons avec le Premier ministre. Ce sera la vraie victoire, qui doublera l’offre de logements accessibles et évolutifs. Nous fixons cette limite à R + 3 car il faut que cela soit rentable pour le constructeur. C’est une réponse pragmatique.

Beaucoup de personnes n’anticipent pas leur future dépendance, et se retrouvent confrontées à un handicap dû au vieillissement. Peut-on faire évoluer les mentalités ?

Si on donne plus de visibilité aux situations de handicap, on fait comprendre aux Français que cela peut leur arriver demain sans dramatiser les choses. Un chantier va être ouvert avec Agnès Buzyn à la rentrée sur la prise en compte de la dépendance. Il faut qu’on puisse rapprocher les besoins des personnes handicapées vieillissantes et des personnes âgées. Un autre chantier est l’accès au droit puisque, aujourd’hui, en France, il faut prouver sa situation de handicap en passant en permanence des évaluations. C’est l’objet du rapport d’Adrien Taquet « Plus simple la vie », qui va jusqu’à parler de « harcèlement administratif », et dont nous expertisons les propositions afin d’annoncer rapidement des grands axes de simplification. Si un handicap est stable et déjà évalué, il faut ouvrir certains droits à vie. Il s’agit de rétablir la confiance entre personnes et administration, même si « confiance » peut vouloir dire « contrôle ».

Qu’en est-il de l’amélioration de l’accès aux soins des personnes handicapées ?

A ce sujet, on constate un problème de prévention : pour un diagnostic d’un cancer du sein pour une femme en établissement médico-social, la tumeur sera dix fois supérieure à celle d’une personne en ville… Il y a un manque d’accompagnement vers le soin, d’adaptation des cabinets médicaux, de recours à des complémentaires pour minimiser les restes à charge. Les professionnels doivent pouvoir sortir des établissements, aller vers l’hôpital. Et à l’inverse ils doivent pouvoir se déplacer des hôpitaux vers les établissements médico-sociaux. Beaucoup de personnes handicapées n’ont pas recours à une complémentaire par usure sociale car les dossiers sont complexes. C’est interpellant sur la capacité de l’Etat à accompagner les plus fragiles dans l’exercice de leurs droits. Ce n’est pas la prestation qui fait défaut mais le recours à cette prestation. Nous n’avons pas à rougir en France de l’aide financière apportée aux personnes, mais il ne faut pas oublier le chaînon manquant de l’accompagnement.

Un décret(1) permet de moduler les dotations des établissements médico-sociaux en fonction d’objectifs qui tiennent plus du respect d’un taux d’occupation maximal que de l’inscription dans un parcours de vie. N’est-ce pas un frein pour que ces établissements s’inscrivent dans le cadre de la « réponse accompagnée pour tous » ?

Non, c’est un outil de négociation avec chaque établissement. On ne peut pas se contenter de dire qu’il y a des milliers de personnes sans solution alors qu’il y a des places vacantes. C’est l’optimisation maximale des ressources du pays au service des personnes handicapées. Si les associations gestionnaires pensent que c’est un frein, on pourra en rediscuter.

Sophie Cluzel

Diplômée de Sup’ de Co’ Marseille, Sophie Cluzel fonde plusieurs associations de scolarisation d’enfants handicapés, avant de présider la Fnaseph et d’administrer l’Unapei.

Notes

(1) Décret n° 2018-519 du 27 juin 2018.

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