« Par une décision du 15 juin 2018, le Conseil d’Etat considère que la loi ne fait pas obstacle “à ce que, dans certains cas, le contrat élaboré entre le département et le bénéficiaire du RSA [revenu de solidarité active] de façon personnalisée prévoie légalement des actions de bénévolat à la condition qu’elles puissent contribuer à une meilleure insertion professionnelle du bénéficiaire et reste compatible avec la recherche d’un emploi”. Annulant une décision de la cour administrative d’appel de Nancy, cet arrêt rend possible l’instauration encadrée par le département du Haut-Rhin “d’un dispositif de service individuel bénévole que pourraient effectuer les bénéficiaires du revenu de solidarité active à raison d’une moyenne de sept heures hebdomadaires et qui conditionnerait le versement de cette allocation”. Surtout, la haute juridiction, si elle renvoie l’affaire devant la cour administrative d’appel, relance la polémique sur le contenu des droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux.
La décision du département du Haut-Rhin d’imposer des heures de bénévolat hebdomadaires aux allocataires du RSA avait provoqué en 2016 l’indignation des réseaux associatifs de lutte contre l’exclusion. L’action bénévole procède par essence d’un choix individuel et citoyen en faveur d’une action d’intérêt général, engagement qui ne peut être que librement consenti. Certes, le contrat d’insertion signé par l’allocataire est, de par la loi, “librement débattu” et peut être utile à l’insertion. C’est ce que semble considérer le Conseil d’Etat en validant la délibération départementale, au motif que les dispositions de la loi “ne font pas obstacle à ce que, dans certains cas, le contrat élaboré de façon personnalisée prévoie légalement des actions de bénévolat à la condition qu’elles puissent contribuer à une meilleure insertion professionnelle”. Mais que veut dire “libre adhésion” pour une personne en difficulté soumise à la menace d’une suspension d’allocation ? Est-ce le rôle des associations utilisant un bénévole au RSA de le dénoncer en cas d’absence ? Le système proposé est donc fondamentalement contraire à la notion de “bénévolat”, à l’éthique du travail social et à la tradition française d’universalité des droits sociaux. Il introduit l’idée – dangereuse pour notre système de solidarité – d’une activité obligatoire, contrepartie “opposable” au versement des minima sociaux.
Contrairement aux idées reçues, les allocataires du RSA sont tenus de s’inscrire dans un parcours d’insertion pour continuer à bénéficier du RSA. Ils sont soumis, de par la loi, à des obligations d’insertion, à savoir “de rechercher un emploi, d’entreprendre des démarches nécessaires à la création de leur activité ou d’entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle”. Dans ce sens, le référent de la personne établit avec le bénéficiaire un contrat d’engagement réciproque qui doit être “librement débattu” et préciser les engagements réciproques en matière d’insertion. Cet engagement peut également consister en la mise en œuvre d’un projet personnalisé d’accès à l’emploi, sous la responsabilité de Pôle emploi, si la personne est jugée proche d’une insertion professionnelle. Le non-respect de ce contrat – ou du parcours – par le bénéficiaire est logiquement sanctionné par des mesures de suspension partielle de l’allocation encadrée dans le temps. De même, dans le cadre d’un accompagnement professionnel, le bénéficiaire ne peut pas refuser plus de deux offres “raisonnables” d’emploi en fonction de critères théoriquement définies avec la personne (caractéristiques de l’emploi, zone géographique, qualification requise, niveau de salaire, etc.). Laisser à penser que ces sanctions sont inexistantes ou insuffisantes en créant dans les contrats une obligation de bénévolat est une contrevérité qui alimente les discours malsains sur l’“assistanat” supposé et l’inefficacité des aides sociales pour sortir de la pauvreté, stigmatisant les politiques de solidarité et leurs bénéficiaires.
En précisant que “le bénéficiaire du RSA a droit à un accompagnement social et professionnel adapté à ses besoins et organisé par un référent unique”, la loi a créé une obligation d’accompagnement des allocataires sous la responsabilité du département. Pourtant, combien d’allocataires sont abandonnés par les pouvoirs publics après la signature de leur contrat ? Le constat de l’Observatoire national de l’action sociale (ODAS) est sans appel : les dépenses d’insertion des départements se réduisent en raison des contraintes budgétaires et du poids des dépenses affectées à l’allocation RSA. L’observatoire relève qu’en 2017 les dépenses d’insertion des départements n’ont représenté que 7 % des allocations versées au titre du RSA (soit 670 millions d’euros), quand la loi de décembre 1988 créant le revenu minimum d’insertion (RMI) obligeait les départements à consacrer aux politiques d’insertion sociale et professionnelle une enveloppe de crédits au moins égale à 20 % du montant des allocations versées. Pourtant, l’absence d’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi est souvent la cause d’un basculement dans l’exclusion durable. Dans ce contexte, l’engagement bénévole peut être utile dans un parcours d’insertion. Mais il ne remplacera jamais le soutien des travailleurs sociaux et des conseillers professionnels pour lever les freins à l’emploi, régler les difficultés d’accès aux droits fondamentaux comme le logement ou la santé.
Avec cet engagement bénévole comme étape obligatoire d’un parcours d’insertion, le département du Haut-Rhin a créé un précédent dangereux en introduisant la possibilité pour les départements de fixer unilatéralement sur leur territoire les conditions d’accès et de maintien de l’allocation. Or le RMI a justement été créé en 1988 pour garantir à toute personne en difficulté un minimum de ressources dans des conditions fixées par la loi et s’appliquant sur l’ensemble du territoire. La décision du département du Haut-Rhin ouvre donc une brèche : la possibilité d’un RSA “à la carte”, dont les conditions d’accès différeraient d’un département à l’autre en fonction des orientations politiques et de l’état des finances locales. Pour justifier ce choix, le conseil départemental évoque le principe constitutionnel d’autonomie et de libre administration des collectivités locales. Mais ce principe issu de la décentralisation ne peut remettre en cause le principe d’égalité d’accès à la protection sociale qui fonde la solidarité nationale.
Dans un contexte budgétaire très contraint, la tentation est grande pour certains départements de durcir les conditions d’accès et de maintien du RSA, mais aussi les contrôles et sanctions, pour réaliser des économies sur les dépenses d’allocation. Certains départements – souvent les plus pauvres – sont objectivement “étranglés” par la non-compensation par l’Etat des dépenses de solidarité. En 2017, malgré la légère baisse du nombre d’allocataires, la charge nette pour les départements au titre du RSA continue d’augmenter et est estimée à 4 milliards d’euros. La contribution de l’Etat au financement du RSA, qui était de 79 % en 2012, n’est plus aujourd’hui que de 58 %. Si le RSA est une prestation de solidarité nationale, son financement doit être intégralement assuré par l’Etat. Ce qui permettrait aux départements de retrouver des marges de manœuvre pour investir davantage dans les politiques d’insertion et d’accompagnement nécessaires au retour à l’emploi, à l’accès aux droits et à l’autonomie des bénéficiaires.
Le développement massif d’une offre d’insertion par l’activité économique (IAE) proposant aux allocataires une activité salariée, un accompagnement et un accès à la formation est une alternative crédible et efficace pour l’insertion professionnelle des allocataires du RSA. L’IAE crée de la richesse, participe au développement social des territoires tout en insérant les personnes les plus éloignées du marché du travail ordinaire. Regroupant près de 140 000 postes d’insertion, ce secteur d’activité orienté vers l’intérêt général permet de remettre les personnes en activité en s’appuyant sur les ressources économique et sociales des territoires. Pour lutter contre le chômage de longue durée, qui touche encore aujourd’hui près de 2,5 millions de personnes, l’IAE doit être considérée par l’Etat, les départements et les régions comme un investissement social d’avenir, pour l’accès à un emploi ordinaire, l’autonomie et la citoyenneté. »
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