C’est en 1987 que, pour la première fois, le législateur a permis au secteur privé de participer à la construction et à la gestion des établissements pénitentiaires, comme une réponse à la surpopulation carcérale et à la vétusté d’une partie importante du parc. L’article 2 de la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire dispose que « l’Etat peut confier à une personne de droit public ou privé ou à un groupement de personnes de droit public ou privé une mission portant à la fois sur la conception, la construction et l’aménagement d’établissements pénitentiaires ». Ainsi, « les fonctions autres que celles de direction, du greffe ou de surveillance peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé », indique la suite de l’article. Ces trois exceptions ne figuraient pas dans le projet de loi initial. C’est le Conseil d’Etat, dans son avis sur le texte rendu avant l’examen au Parlement, qui a estimé qu’elles ne pouvaient pas être exercées par des sociétés privées dans la mesure où elles se rattachent à la souveraineté de l’Etat. En 1987, donc, naît la gestion déléguée. Le périmètre des compétences a évolué, lui, au fil du temps. En 2010, le législateur a décidé ainsi de confier l’accueil des familles au privé.
En 2002, le garde des Sceaux, Dominique Perben, a voulu lui aussi construire des prisons. N’en ayant pas les moyens, il a autorisé, via la loi de programmation pour la justice, de recourir à la procédure d’autorisation d’occupation temporaire-location avec option d’achat (AOT-LOA) pour la construction et la maintenance des établissements pénitentiaires. A compter de la prise de possession des lieux, l’Etat s’est engagé à verser un loyer défini dans la convention : le partenariat public-privé. Quelques mois plus tard seulement naît le contrat de partenariat – ou full-PPP –, avec l’ordonnance du 17 juin 2004. Elle a créé un package qui permet à l’Etat, par un contrat unique, de construire des établissements « clé en main », avec les services y attenants.
En 2008, le président de la République Nicolas Sarkozy a voulu élargir un peu plus les partenariats public-privé, et un projet de loi porté par son gouvernement a modifié l’ordonnance de 2004. La loi du 28 juillet 2008 a élargi les conditions de recours aux contrats de partenariat, qui auparavant se cantonnaient à l’urgence et à la complexité des projets. Ainsi, une troisième hypothèse de recours est ouverte aux personnes publiques : la performance économique ou l’intérêt économique du projet(1). Un argumentaire qui semble assez cocasse à l’heure actuelle.
En effet, en 2012, l’inspection générale des finances releva que « les acheteurs publics continuent de recourir aux partenariats public-privé pour s’affranchir des contraintes budgétaires ». Puis à deux reprises, la Cour des comptes dressa à son tour un bilan sans appel : les PPP sont un gouffre financier. Ils concernent aujourd’hui 10 % de la population pénale totale, dans 14 établissements. Parmi les titulaires de ces gros contrats qui représenteront à terme un coût de 2,1 milliards d’euros pour l’Etat, des sociétés comme Themis, Helios A ou encore Optimep 4 sont signataires. Les noms ne sont pas très explicites, mais derrière se cachent les plus grosses entreprises françaises du bâtiment : Bouygues, Spie Batignolles, Vinci et Eiffage(2). Bouygues possède ainsi 58 % du marché des partenariats public-privé.
Nicole Belloubet, ministre de la Justice, l’a affirmé plusieurs fois : les constructions des nouvelles places de prison seront réalisées non pas en partenariats public-privé, trop chers, mais avec un autre outil contractuel… Lequel ?
(1) Laurent Béteille, sénateur, rapport fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi relatif aux contrats de partenariat, déposé le 26 mars 2008.
(2) La société Eiffage, à l’origine de la société Optimep 4, a revendu 80,1 % de ses parts à un fonds d’investissement début 2012. Elle a conservé les 19,9 % du capital restant.
Bien que sollicitées et relancées, aucune entreprise du bâtiment titulaire d’un contrat en PPP n’a souhaité répondre à nos questions.