Elles sont complexes parce qu’elles répondent à des besoins qui sont complexes : il y a des prestations pour les adultes handicapés, pour les personnes âgées, des prestations qui sont majorées pour les familles monoparentales… Ces prestations tiennent compte de la complexité des situations. Elles ne peuvent être considérées comme coûteuses que si l’on cesse de faire de la lutte contre la pauvreté un objectif prioritaire. On peut d’ailleurs s’interroger sur les réformes des prestations sociales menées ces dernières années. Chaque réforme est annoncée à budget constant, sans effort additionnel des gouvernements successifs pour lutter contre la pauvreté. On est surtout sur des reformatages de prestations techniques et peu efficaces pour lutter contre la pauvreté. A partir du milieu des années 1990, on a assisté à un décrochage entre l’évolution des minima sociaux et les salaires médians. Les revalorisations récentes sont restées ponctuelles et insuffisantes.
Le versement social unique permettrait de supprimer, ou au moins de réduire, le non-recours aux droits puisqu’il automatiserait des prestations. Aujourd’hui, les droits sont quérables : il faut les demander et remplir des formulaires, ce qui peut s’avérer particulièrement complexe et chronophage pour des personnes précaires qui multiplient les petits boulots. Une telle réforme coûterait donc assez cher mais serait pour le coup une réelle simplification. Un problème, souligné par les associations, demeurerait toutefois : le RSA et la prime d’activité sont calculés au plus près des revenus d’activité des personnes, cela peut avoir tendance à amplifier les variations de revenus pour les plus précaires. Pour que le versement social unique soit vraiment un progrès, il faudrait trouver le moyen de lisser ces variations de revenu qui précarisent.
Le rapport de France Stratégie semble privilégier encore une réforme à budget constant. La presse fait état de l’annonce d’importantes économies de frais de gestion. Il faut se méfier de ces annonces. Quand les réformes se multiplient, comme c’est le cas aujourd’hui, elles en occasionnent au contraire davantage : il faut sans cesse s’adapter aux nouvelles règles, cela entraîne des frais de réorganisation. Avec une réforme à budget constant, si certains y gagnent, il y a forcément des perdants. Ceux-ci seront, d’après le rapport, concentrés chez les chômeurs de longue durée qui perçoivent l’allocation de solidarité spécifique. Ce qui est terrible, c’est que l’on soit dans le décompte des ménages perdants et gagnants alors qu’il s’agit de ménages déjà précaires. Compte tenu des efforts qu’a faits le gouvernement pour les plus riches, on s’attendrait à ce qu’il n’y ait pas de perdants parmi les plus pauvres. Une réforme progressiste des prestations sociales réclame des moyens pour faire sortir ces derniers de la pauvreté, sans dégrader la situation d’autres ménages précaires.
Si ce qui semble ressortir du rapport de France Stratégie est bien mis en place, ce sera certainement décevant du point de vue de la lutte contre la pauvreté. La simplification ne sera qu’apparente puisque l’allocation sociale unique restera, fort heureusement, une allocation différenciée pour tenir compte des situations des personnes handicapées, âgées, ou des situations familiales. Le mode de calcul sera toujours complexe. Le projet d’ASU est technique, loin d’une réforme ambitieuse qui consisterait à remettre les minima sociaux au-dessus du seuil de pauvreté, et à personnaliser davantage les droits sociaux. Les conditions de ressources calculées sur le revenu du foyer renvoient de nombreuses personnes en couple à la solidarité familiale du conjoint quand elles ne font pas partie d’un ménage pauvre. En raison des inégalités de revenu entre femmes et hommes, les femmes sont particulièrement concernées. S’il est normal de prendre en considération le ménage, en particulier s’agissant des allocations logement, cela pose problème s’agissant des revenus d’activité et du soutien au revenu des chômeurs. Les réformateurs ne se posent pas la question de la personnalisation des droits sociaux dans un système socio-fiscal qui reste très familialisé. Si on avait commencé par personnaliser l’impôt, cela aurait été plus favorable à l’égalité et on aurait pu envisager de personnaliser davantage la future ASU.