La simplification n’est pas une fin en soi. C’est probablement une bonne chose pour clarifier le système, le rendre plus transparent, pour que les personnes qui sont éligibles à des minima sociaux le sachent et puissent y accéder. Mais la complexité est inhérente au système français en général – on la retrouve dans l’impôt, dans la sécurité sociale – et elle a du sens. Une règle en économie dit qu’il y a autant d’instruments politiques et économiques que d’objectifs politiques et économiques. L’aide sociale dédiée aux personnes handicapées, pour laquelle il faut mesurer le niveau de handicap et les besoins au quotidien, est à la fois spécifique et justifiée. Si l’on décide de fusionner la plupart des aides dans un super revenu de solidarité active (RSA), cela n’empêche pas que l’on puisse garder certaines particularités.
Le taux de non-recours pour les aides sociales principales (en général de un tiers pour le RSA) n’est pas plus élevé que dans d’autres pays avec des minima sociaux généreux comme la Finlande. Les taux de non-recours sont plus élevés en Allemagne, et se situent entre un tiers et la moitié des potentiels bénéficiaires. En France, les taux de non-recours étaient élevés, voire catastrophiques pour le RSA activité – l’ancienne prime d’activité – parce qu’il concerne de faibles montants. Les démarches en ligne ont permis de remédier en partie au problème, qui se pose moins dès lors qu’une allocation est identifiée dans l’esprit des citoyens. Une aide unique pourrait encore davantage clarifier les choses mais il faut qu’elle s’accompagne d’une communication adéquate de l’Etat.
Une telle réforme serait a priori intéressante, mais va-t-on se retrouver avec une réformette qui ne prévoit qu’une diffusion a minima ? Ou alors va-t-on tout fusionner avec le danger de ne plus avoir un système assez souple et flexible pour s’ajuster aux besoins spécifiques de certains ? Il faut repenser et mettre à plat tout le système et expliquer à quoi servent les différentes aides. La base de calcul des conditions de ressources est différente selon les aides, c’est absurde. Cela n’aide pas en termes de lisibilité du système, ni en termes de justice sociale. Il faut recalculer les barèmes en fonction d’un niveau de revenus qui serait le même pour tous les minima sociaux. De ce point de vue, une plateforme unique pour connaître sa situation, ses droits à la formation et aux aides sociales pourrait être envisageable, c’est une proposition que nous avons formulée au sein du Conseil d’analyse économique. Le portail mes-droits.gouv.fr est déjà un point de départ.
Le gouvernement doit montrer qu’il solidifie le système existant. L’énorme erreur consisterait à agir dans la continuité de la communication qui a été faite il y a trois mois à propos du « pognon de dingue » que représenteraient les aides sociales. Si dans la continuité de ce discours, le gouvernement fait en sorte de tout simplifier, afin que le système coûte moins cher en étant plus efficace tout en sabrant dans les aides, on pourrait dire qu’il aurait raté de faire valoir son versant social. On peut commencer par simplifier les minima sociaux, mais il y aussi des services non monétaires, qui relèvent de l’accompagnement social, qu’il ne faudrait pas oublier de consolider. Il faut maintenir les droits auxquels les personnes peuvent accéder et avoir des allocations plus transparentes pour diminuer le non-recours. Le système marchait très bien avant, il faut le dire et le redire. Il est très efficace en termes de baisse de la pauvreté. Il s’agit de l’un des trois plus onéreux au monde, avec la Finlande, mais quand on considère le ratio entre l’utilisation de 2,5 à 3 points du PIB et la baisse de la pauvreté en France, on peut estimer qu’il s’agit d’un des meilleurs d’Europe voire du monde. On entend souvent que les systèmes anglo-saxons sont efficaces, alors qu’ils coûtent plus cher (jusqu’à 4 points du PIB) tout en obtenant au final une pauvreté plus importante que la nôtre.